Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Chanceler et perdre l’équilibre entre utopie et réalisme
Société

Chanceler et perdre l’équilibre entre utopie et réalisme

Compte rendu d'un livre de Philippe Van Parijs

Belgium. Une utopie pour notre temps est un exercice d’équilibre entre la réflexion libre et les limites du possible. Philippe Van Parijs arrive-t-il au bout de sa corde de funambule pour atteindre la terre promise d’une Belgique meilleure?

Avant d’entamer l’esquisse de sa vision d’avenir, Philippe Van Parijs (° 1951) veut démontrer que la Belgique n’éclatera pas. Il examine tous les scénarios possibles et conclut que chacun d’eux est tellement inacceptable pour une des parties qu’il n’est pas réalisable sans violence. Prenons l’idée d’une Flandre et d’une Wallonie indépendantes en supposant que la capitale actuelle, Bruxelles, reviendrait aux Flamands. Le produit national brut par habitant en Wallonie n’équivaudrait alors plus qu’à la moitié de celui de la Flandre.

Qu’un tel appauvrissement ne soit pas acceptable pour la Wallonie, comme l’avance Van Parijs, je le crois volontiers. Mais quid du scénario inverse, celui où Bruxelles rejoindrait la Wallonie? Bruxelles compte pour pas moins de 19 % du produit intérieur brut national. Pour ces raisons économiques, lâcher la capitale serait une folie pour tout Flamand rationnel, selon l’auteur. Mais ne se limite-t-il pas trop, dans le cas présent, à ce qui est réaliste dans la situation actuelle? Dans ce scénario, n’est-il pas plausible qu’une partie importante de l’activité économique se déplace vers la Flandre?

S’agissant des possibilités de scinder la Belgique, Van Parijs se laisse de toute évidence guider par le réalisme plutôt que par la réflexion libre. Les points de référence sont ici les carcans du présent, et non les projections osées. Une Belgique qui éclate n’est manifestement pas son utopie.

Pourtant, Van Parijs reconnaît les multiples fissures qui traversent le pays, causées par ce qu’il appelle le «sinistre défi de John Stuart Mill». L’économiste anglais écrivit en 1861 qu’au sein d’un peuple dénué de sentiment d’appartenance commune, en particulier s’il lit et parle des langues différentes, l’opinion publique unie, qui est nécessaire au fonctionnement de la démocratie représentative, n’existe pas.

Van Parijs admet que Mill touche là une corde sensible. Un pays qui fonctionne exige un demos qui dispose d’une agora commune, d’un espace public partagé. En Belgique, écrit-t-il, cette agora commune s’est affaiblie à un rythme accéléré. Son utopie est axée sur la reconsolidation de cet espace public partagé. La langue est un élément crucial à cet égard. Car le dialogue permanent entre les citoyens ne peut fleurir que s’ils ont une langue en commun.

Belgium est un ouvrage pétri de lucidité qui avance des idées ambitieuses sur la manière de consolider la Belgique. Cependant, l’auteur ne réussit pas complètement l’exercice d’équilibriste

Pourquoi, dès lors, ne pas faire en sorte que tous les Belges soient bilingues? Infaisable, juge Van Parijs. Les faits nous montrent que les enfants flamands maîtrisent de moins en moins le français, tandis que les francophones méprisent le néerlandais. Pourtant, il n’existe pas, aux yeux de l’auteur, d’objection de principe à une exigence absolue de bilinguisme, par exemple en faisant de ce critère une condition nécessaire à la réussite de l’examen final de l’école secondaire. Mais encore une fois, ce sont des arguments économiques - l’obstacle du coût - qui l’emportent.

Étrange. Si on veut maintenir un pays uni, est-ce trop demander que chacun apprenne la langue de l’autre et que l’on investisse dans cet apprentissage? Ici aussi, le philosophe bascule du côté du réalisme et laisse peu de place à l’imagination.

Il préfère couper court au profit de sa solution: l’anglais, une langue de plus en plus pratiquée comme deuxième langue et qui sert de langue véhiculaire dans les groupes plurilingues car elle est la langue dite «maximin»: non pas celle que la majorité des participants à une conversation parlent le mieux, mais celle qui est la mieux maîtrisée par le participant qui la connaît le moins bien.

Je suis d’avis, pour ma part, qu’une langue commune est tout au plus une condition indispensable, mais jamais suffisante, à l’émergence d’un peuple qui se sente uni. Et qu’en maniant une deuxième langue, on se sent toujours un peu étranger, jamais membre à part entière de la communauté. Mais Van Parijs consacre pratiquement tout son chapitre intitulé Un demos belge pour le 21e siècle à un plaidoyer pour l’anglais.

Belgium est un ouvrage pétri de lucidité qui avance des idées ambitieuses sur la manière de consolider la Belgique. Cependant, l’auteur ne réussit pas complètement l’exercice d’équilibriste. Quand il aborde des scénarios qui ne lui plaisent pas intuitivement, ce sont des arguments réalistes, économiques qui font pencher la balance. Quand il traite les options qui remportent ses faveurs, en revanche, il donne un peu trop libre cours à son imagination.

PHILIPPE VAN PARIJS, Belgium. Une utopie pour notre temps, volume 4 - n° 2121 de Transversales, Académie royale de Belgique, Bruxelles, 2018, 188 p. (ISBN 978 2 8031 0647 9).
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