Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

La coopération transfrontalière, aujourd’hui et demain
© Shane Rounce /Unsplash
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La coopération transfrontalière, aujourd’hui et demain

Que ce soit dans le nord de la France ou en Flandre belge, plusieurs protagonistes politiques et autres veulent davantage de coopération transfrontalière, tout en constatant encore de nombreuses difficultés. Le journaliste Nicolas Montard s'est mis à l'écoute de quelques acteurs clés des deux côtés de la frontière. Ils esquissent le cadre général et offrent sans hésitation quelques propositions concrètes.

«Franchement, qui aurait pu croire que nous disposerions des plots de béton sur nos frontières? Je n’aurais jamais imaginé participer à une cérémonie de réouverture des frontières».

Trois ans après la fermeture pendant plusieurs mois de la frontière franco-belge lors de la première vague de la crise sanitaire, les élus qui ont l’habitude de travailler de part et d’autre n’en reviennent toujours pas d’avoir vécu un tel moment… trente ans après l’ouverture européenne de 1993. «Sur notre zone frontalière, nous avons une culture commune», assure Christine Gilloots, vice-présidente de l’agglomération dunkerquoise et maire de Bray-Dunes, ville la plus au nord de l’Hexagone… jumelée avec La Panne (commune située juste au-delà de la frontière). «Nous avons bien vu avec la pandémie combien cela peut être fragile.»

Christine Gilloots: Entre le Dunkerquois et la Belgique, nous avons une culture commune

A posteriori, cependant, cette fragilité n’a pas eu que de mauvais côtés, car elle a obligé les politiques et institutions à réagir face à l’arrêt brutal de la libre circulation. «Nous avons inventé des solutions, des réponses nouvelles très rapidement grâce à la qualité de nos réseaux et de nos liens avec les Belges», confirme Sylvie Labadens, conseillère déléguée en charge des relations internationales au département du Nord. «Le COVID a révélé un déficit d’informations de part et d’autre de la frontière sur les règles sanitaires», renchérit Loïc Delhuvenne, directeur de l’agence de l'Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai. «Le rôle de notre agence a été de diffuser cela. Et nous nous sommes rendu compte qu’il était nécessaire de réexpliquer des faits transfrontaliers. En cela, le COVID a joué un rôle catalyseur.»

La crise sanitaire et ses conséquences auraient pu faire chanceler la coopération transfrontalière, mais ça n’a pas été le cas. Les élus que nous avons interrogés (sollicités, Martine Aubry, présidente de l’Eurométropole, et Jan Jambon, ministre-président du gouvernement flamand, n’ont pas donné suite) en sont d’ailleurs convaincus: il faut aller encore plus loin dans la coopération. Mais avant toute chose, comment la jugent-ils, cette coopération, sur la partie flamande?

«Nous sommes voisins, il n’y a pas de frontière physique, mais il reste une frontière administrative et juridique, notamment sur l’emploi transfrontalier», avance Elien Declercq, responsable des relations avec le nord de la France à la province de Flandre-Occidentale, tout en rappelant que la coopération transfrontalière ne se limite pas aux plus proches voisins et s’articule aussi avec le Pas-de-Calais (par exemple, pour la promotion des circuits de mémoire autour de la Grande Guerre).

François Decoster, vice-président de la région Hauts-de-France chargé des relations internationales et maire de Saint-Omer, aime quant à lui donner cet exemple: «Malgré la proximité géographique, la facilité de l’échange, la communauté historique et linguistique, nous ne sommes pas au niveau de coopération auquel nous devrions être. L’indicateur le plus évident est l’apprentissage de la langue: quand dans l’académie de Strasbourg 98% des élèves apprennent l’allemand en primaire, nous sommes ici à moins de 1% d’apprentissage du néerlandais! C’est révélateur d’une distance malgré les contacts fréquents et leur facilité.»

La culture plébiscitée

Quand vous les interrogez sur les actions de coopération transfrontalière intéressantes actuellement, tous ces acteurs citent spontanément des événements autour de la culture, voire le sport et le tourisme.

Reconnaissant en creux que travailler main dans la main sur d’autres secteurs, si cela existe bien entendu, est moins évident. «Chaque élu a déjà de nombreuses occupations dans son propre pays», remarque Christof Dejaegher, bourgmestre de Poperinge, qui s’investit fortement avec les communes françaises.

«Donc, pour les opérations transfrontalières, il faut toujours trouver très vite des points gagnant-gagnant. Ça fonctionne souvent très vite sur le culturel, le tourisme, le sportif, c’est bien plus difficile sur l’économie.»

Christof Dejaegher: Pour les opérations transfrontalières, il faut toujours trouver très vite des points gagnant-gagnant

La culture reste aussi un sujet idoine pour expérimenter ou avancer sur le transfrontalier, confirme Sylvie Labadens, du côté du département du Nord: «la culture est un sujet idéal pour toucher toutes les catégories et tous les âges de la population, les impliquer… Elle dépasse les frontières et travailler la culture commune c’est aussi travailler le sentiment d’appartenance à un même territoire.»

Des points à améliorer

Comment améliorer la coopération transfrontalière dans les prochaines années? Première piste évidente, la langue! Dans le Dunkerquois, la Communauté urbaine subventionne désormais des ateliers linguistiques organisés par les communes. Mais, si les Français sont pointés du doigt pour leur évident retard dans l’apprentissage du néerlandais, les Belges jettent une pierre dans leur jardin et appellent à la vigilance: «si la majorité des Belges néerlandophones parle un peu français pour l’avoir appris à l’école, c’est plus difficile chez les plus jeunes, beaucoup plus influencés par la culture anglo-saxonne», prévient Christof Dejaegher. «Et, à Poperinge, je pense qu’il est plus important de parler français qu’anglais!»

Pour l’élu, cet apprentissage des langues, via des cours des deux côtés de la frontière, ne s’accélérera que si les barrières administratives actuelles et les sacro-saints programmes nationaux sont adaptés: «On devrait pouvoir développer des projets scolaires expérimentaux en zone frontalière sur ce sujet majeur.»

Point essentiel au développement d’une vraie culture transfrontalière, la mobilité est rapidement mise en avant. Elle est jugée clairement insuffisante. «Sur l'ensemble des trajets transfrontaliers de l’Eurométropole, 5% seulement sont effectués en transports en commun publics, il y a un véritable problème», affirme Loïc Delhuvenne. Des projets de développement de lignes de bus sont en cours. La ligne Ypres-Armentières est en cours d’expérimentation, celle de Poperinge à Hazebrouck était toujours attendue au moment où nous écrivions ces lignes, accusant un an de retard sur le calendrier initial.

Cette ligne, qui permet de connecter la ville belge au réseau grande vitesse hexagonal, illustre toute la difficulté du transfrontalier qui se niche parfois dans les détails, rapportent les acteurs du transfrontalier.

Considérée comme rurale (à la différence de Ypres-Armentières), elle nécessite des bus avec des ceintures de sécurité. Or, celles-ci ne sont pas obligatoires en Belgique. Le bourgmestre de Furnes, en charge du projet financé la première année par la province de Flandre-Occidentale, confiait début janvier 2023 au quotidien La Voix du Nord «qu’un opérateur belge avec un bus équipé de ceintures de sécurité est actuellement recherché pour que la liaison puisse fonctionner quotidiennement» à partir du 1er juillet 2023. «La mobilité est le vrai enjeu frontalier», abonde Elien Declercq. «C’est le vrai défi qui rejaillit sur le tourisme, l’emploi, le shopping, la formation, etc. Mais avec les questions de tarifications et législations, le sujet reste complexe, notamment parce qu’il y a des niveaux de compétences différents selon les pays, et ils ne sont pas forcément symétriques entre institutions…»

Elien Declercq: La mobilité est le vrai enjeu frontalier

La réflexion de la conseillère flamande illustre un verrou que les politiques et acteurs transfrontaliers interrogés aimeraient voir sauter, au moins alléger dans un futur proche. Les gouvernances sont trop complexes. Pour un projet comme la transformation du poste-frontière de Callicanes (entre Godewaersvelde et Poperinge), on trouve la province de Flandre-Occidentale, l’association Regionaal Landschap Westhoek, les communes de Godewaersvelde et de Poperinge, l’agence d’urbanisme et de développement du Pays de Saint-Omer - Flandre intérieure, la Communauté de communes de Flandre intérieure, etc.

Pas toujours facile de s’y retrouver dans la multiplicité des partenaires quand, en plus, les strates décisionnaires n’ont pas les mêmes niveaux de compétences d’un côté et de l’autre. Et il y a une certaine méconnaissance: «Les Belges en général connaissent mieux les infrastructures françaises que l’inverse. Les Français doivent peut-être faire un peu plus d’efforts», sourit le bourgmestre de Poperinge. D’aucuns évoquent alors la création d’autres strates ou instances pour faciliter la gestion des dossiers.

«Les départements et les provinces ne peuvent pas tout régler», explique Sylvie Labadens du département du Nord. «Pourquoi pas un traité franco-belge ou la création d’un comité de concertation? Améliorer la coopération transfrontalière franco-belge est surtout une question de gouvernance pour mieux se coordonner, mieux fluidifier les échanges.»

Sylvie Labadens: La culture est un sujet idéal pour toucher toutes les catégories et tous les âges de la population, les impliquer

Christof Dejaegher, lui, estime que cette strate supérieure pourrait être une sorte de zone internationale, à la législation particulière, qui aurait aussi le mérite d’atténuer les concurrences territoriales transfrontalières. «Si une grande entreprise veut s’installer entre Poperinge et Hazebrouck, chaque pays essaiera logiquement de tirer son avantage, c’est naturel. L’idée est qu’une zone internationale, avec des règles différentes, pourrait faciliter ce genre d’implantations».

Ce «choc de simplification», pour reprendre une démarche initiée par l’État français il y a quelques années, doit aussi profiter aux usagers, qui ont parfois le sentiment de se heurter à un mur quand ils envisagent une autre action que d’aller faire des courses de l’autre côté de la frontière. Loïc Delhuvenne, à l’Eurométropole, verrait par exemple d’un bon œil l’avènement de maisons France-Belgique du type de celles qui existent sous le nom de France Services. Des lieux où le Français ou le Belge pourrait se rendre pour faire sauter tous les verrous administratifs, juridiques d’un emploi, d’un déménagement, d’une scolarisation de l’autre côté de la frontière… «C’est même une quasi-nécessité dans ce contexte où il reste des blocages administratifs majeurs.»

Loïc Delhuvenne: Sur l'ensemble des trajets transfrontaliers de l’Eurométropole, 5% seulement sont effectués en transports en commun publics, il y a un véritable problème

Preuve que les enjeux transfrontaliers s’inscrivent parfaitement dans ceux du monde du XXIe siècle, une place importante semble désormais donnée à l’environnement, un phénomène en partie accéléré par l’accident industriel de Tereos à Escaudœuvres, qui a pollué l’Escaut jusqu’en Belgique. «Il y a une véritable prise de conscience ces derniers temps de l’enjeu de l’eau, un espace commun qui doit être mieux étudié, sauvegardé», confirme Loïc Delhuvenne.

Un effort à accentuer, insiste Elien Declercq: «La pollution de l’air, de l’eau, la gestion des paysages sont vraiment des problématiques à prendre en compte et sur lesquelles nous avons l’obligation de trouver des solutions. Car elles n’ont pas de frontières». Et Declercq d’évoquer l’exemple de la partie française des Moëres, souvent inondée. La précédente convention avec l’État belge sur ces canaux traversant la frontière remontait à 1890! «Avec le projet Mageteaux, nous avons pu revoir cette convention et mettre en place un dispositif d’écoulement avec une station de pompage en Flandre ainsi qu’une vanne aux 4 Écluses à Dunkerque.» Un dispositif concret sur la coopération transfrontalière qui doit se multiplier dans la gestion commune des paysages, sur les bassins de l’Yser, de la Lys, des monts de Flandre, des bassins partagés entre France et Belgique.

Une problématique que connaît bien la maire de Bray-Dunes, Christine Gilloots, dans un autre domaine: «Nos dunes vont être classées Grand site de France, mais elles continuent en Belgique. Là aussi, une coopération est nécessaire.»

Les habitudes de travail et les rencontres

À écouter la plupart de nos interlocuteurs, la coopération transfrontalière doit passer à un niveau supérieur en irriguant tous les domaines.

C’est le sentiment de François Decoster pour la région Hauts-de-France: «Pour ce mandat (qui a débuté en 2021), j’ai proposé d’orienter la stratégie internationale dans le sens d’un plus grand travail avec nos voisins, belges, mais aussi anglais, néerlandais, allemands. Il faut des habitudes dans tous les secteurs. L’idée, c’est aussi de passer à tout l’exécutif régional le message que chaque action politique étudiée doit intégrer dans sa réflexion le transfrontalier et la manière dont cette politique peut avoir une action concrète sur le transfrontalier. Ça peut se faire dans tous les domaines: la santé, l’économie, etc. Voyez l’économie. Dans l’Audomarois, l’exportation de nos PME, en dehors d’Arc International, est en dessous de la moyenne nationale. Donc, la question internationale est primordiale: nous avons le marché de la Belgique juste à côté et celui des Pays-Bas dans son prolongement. Il pourrait y avoir plus de sens à collaborer sur ces terres plutôt qu’à l’autre bout de la France. Mais vu la différence de langue, de culture, d’organisation, les entrepreneurs ‘s’autofreinent’. C’est à nous de les accompagner. À la fin de mon mandat de vice-président au Conseil régional, cette coopération devra être plus naturelle.»

François Decoster: Chaque action politique étudiée doit intégrer dans sa réflexion le transfrontalier et la manière dont cette politique peut avoir une action concrète sur le transfrontralier

Si la coopération doit pénétrer toutes les politiques, elle doit aussi reposer sur un principe de base: les liens entre élus. S’ils existent, avec déjà des réunions régulières, il faut qu’ils soient renforcés. «Les liens entre élus sont majeurs dans le transfrontalier, ce sont eux qui font bouger les choses», insiste Elien Declercq, qui pointe un travail permanent et sans cesse renouvelé avec le jeu des alternances électorales des deux côtés de la frontière. «Les rencontres sont essentielles», ajoute Christof Dejaegher, également président du Conseil provincial de Flandre-Occidentale, citant un proverbe néerlandais: «un bon voisin est beaucoup plus important qu’un ami de vingt ans». Un proverbe qui s’applique parfaitement à la coopération transfrontalière.

Cet article a initialement paru dans Septentrion n° 7, 2023.
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