Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

«La géographie du visible et de l'invisible»
© D. Pas - «AfricaMuseum», Tervuren.
© D. Pas - «AfricaMuseum», Tervuren. © D. Pas - «AfricaMuseum», Tervuren.
Le passé colonial
Société
Histoire

«La géographie du visible et de l'invisible»

La Belgique et son histoire coloniale

Le musée royal d'Afrique centrale, aujourd'hui AfricaMuseum, de Tervuren (près de Bruxelles) est un point saillant d'une configuration que l'on peut appeller «la géographie du visible et de l'invisible de l'impensé colonial».

L'impensé colonial, l'invisibilisation de l'histoire coloniale, ce sont les poussières que l'on cache sous le tapis, le cadavre dans les placards, le secret de famille inavouable d'une nation belge tout juste créée en 1830, puis marquée au fer rouge, au début des années 1900 et du fait du scandale des mains coupées, par le sceau de l'entreprise coloniale léopoldienne. En résulta une campagne internationale de dénonciation, qui a flétri durablement son image et constitue pour la Belgique un boulet qu'elle traîne depuis avec ressentiment.

Ce traumatisme originel gît quelque part dans l'inconscient collectif et provoque ce qui se passe quand des traumatismes ne sont pas traités: le déni, l'incompréhension, la colère, la souffrance psychique, la culpabilité, la rancoeur... Et points culminants: le racisme institutionnalisé contre les Congolais ou les Noirs en général et jusqu'à des agressions physiques. Il est à noter que plusieurs agressions récentes ont atteint des niveaux jamais vus. Tout d'abord, citons le cas, en février 2017, un jeune afrodescendant de seize ans, Naithy. A la suite du prétexte très léger qu'il n'aurait pas payé son ticket (ce qui était d'ailleurs faux), il s'est fait poignardé par un chauffeur de bus, qui, pour ce faire, a abandonné son véhicule pour se lancer à ses trousses. Le 19 août 2018, lors du concert de clôture du festival Pukkelpop à Hasselt, chef-lieu du Limbourg belge, deux jeunes filles noires ont été cernées et menacées par un groupe de jeunes belges, qui leur ont tiré les cheveux et les ont frappées. Le plus incroyable, c'est que ce faisant, ils chantaient.

Le lien du chant avec la colonisation était évident, puisque le refrain en était: Handjes kappen, de Congo is van ons (Couper les mains, le Congo est à nous). Peu de temps après, à la gare d'Aarschot, petite ville du Brabant flamand, un adolescent noir de quinze ans a été projeté sur les rails à l'approche d'un train, après avoir été provoqué à plusieurs reprises sur le quai par un homme et deux femmes manifestement racistes. Pour finir (mais la liste n'est pas exhaustive), tout le monde en Belgique a en mémoire le souvenir de Cécile Djunga, la présentatrice météo d'origine congolaise de la RTBF, chaîne de télévision publique francophone. Le 5 septembre 2018, elle a posté une vidéo sur Facebook, où, fondant en larmes, elle a relaté la manière dont elle avait été harcelée par des messages haineux de spectateurs, du fait de sa couleur de peau.

L'impensé colonial, l'invisibilisation d'une partie de l'histoire belge a donc débouché sur un visible déchaînement de haine... Qui démontre à suffisance que tenir sous le boisseau l'histoire coloniale est périlleux et irresponsable, en termes de vivre-ensemble et de bien-être social. Mais, si ces agressions sont entrées largement dans le champs médiatique, il manque la grille de compréhension pour les lire, les décoder et, surtout, les combattre.

C'est ce défi que relève désormais, avec un volontarisme exemplaire, une génération d'activistes belges et / ou belgo-afrodescendants. Pour ce faire, ils s'attaquent à l'héritage physique de la colonisation, qui empêche une invisibilisation totale du passé colonial.

On peut diviser cet héritage physique en quatre espaces: le quartier Matongé à Ixelles (Bruxelles); les hommages disséminés dans la géographie urbaine belge à des personnages coloniaux; les legs de Léopold II, le «Roi-Bâtisseur», à la Belgique de nombreux bâtiments et parcs; parmi lesquels le plus emblématique est l'ex-musée royal d'Afrique centrale, qu'il faut donc examiner à part.

Ces dernières années, la géographie du visible et de l'invisible a été sérieusement remaniée dans le sens de plus d'ouverture et de moins de non-dit.

À propos de ces quatre lieux de polarisation d'une mémoire coloniale ailleurs invisibilisée, des actions se sont multipliées, entretenant une actualité continuelle sur le sujet. Procèdons à un rapide récapitulatif: la polémique à propos de l'hommage à rendre au Roi-Bâtisseur Léopold II, que les organisateurs liés à la ville de Bruxelles ont dû annuler, en toute hâte, en décembre 2015, ce qui n'a pas empêché que la fameuse statue de Léopold II à cheval ne soit badigeonnée de rouge; celle sur le changement de nom du quartier Matongé en quartier des Continents, en juin 2016, que la bourgmestre Dominique Dufourny, membre du MR (parti libéral de Belgique francophone) a préféré prudemment démentir ; ...le point d'orgue étant, en juin 2018, l'érection d'une place Lumumba, en bordure de Matongé, grâce aux efforts conjugués d'une galaxie d'associations afrodescendantes et belges alliées, qui l'exigeaient pour contre-balancer la quantité de noms de rue, de squares et de boulevards donnés à des personnages controversés de l'histoire coloniale...

Si ces premiers combats se sont donc résolus positivement, celui qui concerne l'ancien musée royal d'Afrique Centrale, rebaptisé l'AfricaMuseum depuis sa réouverture début décembre 2018, n'est pas encore achevé. Le musée, qui avant sa fermeture, voyait défiler 30 000 élèves chaque année dans ses murs, est effectivement un enjeu crucial, au niveau du public scolaire. Si celui-ci était généralement privé d'une information minimale sur les questions coloniales, généralement brossée en un paragraphe dans les livres d'histoire de fin de secondaire, il n'en demeurait pas moins exposé aux messages les plus éculés de la propagande léopoldienne, quand il visitait ce qu'on a appelé «le dernier musée colonial d'Europe» . Rien n'y avait été changé depuis la fin des années 1950!

Décoloniser ce musée, malgré les bonnes intentions affichées par son directeur Guido Gryseels, relevait pratiquement du pari impossible et cela d'autant plus que la collaboration entamée entre le musée et un groupe d'experts afrodescendants, mandatés par des associations africaines, a rapidement tourné au vinaigre.

Le budget de rénovation général du musée ne le permettait pas de toute façon. Sur un budget de 67 millions d'euros, 66 millions étaient réservés à l'aspect architectural. La rénovation du musée a été beaucoup plus un ravalement de façade d'un bâtiment ancien, menacé par l'effondrement, qu'un véritable projet pionnier de décolonisation muséale, comme l'a fait croire une communication tous azimuths, habile et fort bien faite. Si tel était le cas, il est évident qu'un budget beaucoup plus conséquent qu'un million d'euros aurait été mis en oeuvre pour l'aspect muséal. Tous les moyens de cette rénovation sont donc allés principalement dans une architecture pharaonique que n'aurait pas désavoué un certain... Léopold II!

Les activistes afrodescendants et belges alliés n'ont pas ménagé leurs efforts, non seulement pour dénoncer la supercherie, mais ils s'inscrivent désormais dans le débat sur la restitution des oeuvres culturelles, spoliées aux pays africains au début de leur colonisation. Ce débat était beaucoup moins audible en Belgique que dans d'autres pays européens, mais le Comité féminin et afrodescendant de veille anti-raciste BAMKO a contribué à le faire désormais connaître dans les médias et les parlements en Belgique et a donné ainsi d'autres perspectives à la réouverture de l'AfricaMuseum.

La géographie du visible et de l'invisible a été sérieusement remaniée dans le sens de plus d'ouverture et de moins de non-dit. Les associations afrodescendantes et belges alliées ont donc fait en quelques années un travail absolument remarquable pour réinscrire les questions de la mémoire coloniale dans l'agenda socio-politique belge.

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