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L'Union européenne devant les enjeux du siècle qui s'ouvre
Société

L'Union européenne devant les enjeux du siècle qui s'ouvre

Compte rendu d'un livre de Luuk van Middelaar

En 2012, le philosophe politique néerlandais Luuk van Middelaar publiait un livre remarqué, Le Passage à l’Europe, dans lequel il décrivait la naissance d’un ordre politique européen. Plus qu’une suite du Passage à l’Europe, son dernier ouvrage en est le complément.

La Communauté européenne des origines, rappelle Van Middelaar, a été bâtie pour répondre à ce qu’il appelle “la Promesse”: “Plus jamais la guerre”. Par conséquent, l’Europe a été édifiée sur base d’une approche fonctionnaliste, visant à dépolitiser le processus de décision et à en évacuer le conflit, par le biais de la réglementation et de la patiente recherche du compromis. Les Européens ont pensé que cette “politique de la règle”, ainsi que la qualifie Van Middelaar, suffirait à les protéger des passions mauvaises et des soubresauts de l’histoire. Or, celle-ci n’a pas dit son dernier mot, contrairement à ce que d’aucuns avaient prophétisé après la chute du rideau de fer.

L’auteur de Quand l’Europe improvise détaille comment la crise de l’euro, la crise ukrainienne, celle des migrants et le double choc provoqué par le Brexit et l’élection de Donald Trump ont montré les limites de la politique de la règle et mis en lumière la nécessité pour l’Union européenne de passer à une “politique de l’événement”. C’est-à-dire: la mise en place de processus qui permettent aux leaders européens de prendre les décisions rapides que réclame l’urgence de la situation.

Luuk van Middelaar est un fin connaisseur des rouages de la mécanique européenne, dont il a pu étudier le fonctionnement de l’intérieur: il fut le conseiller et la plume du premier président permanent du Conseil européen, Herman Van Rompuy. De ce poste d’observation privilégié, le Néerlandais a examiné comment les vingt-huit ont manœuvré, à tâtons, pour endiguer et résoudre ces crises qui ont ébranlé l’Union européenne jusque dans ses fondements.

Cette nouvelle façon de faire de la politique européenne n’est pas sans conséquence pour l’exercice du pouvoir dans l’Union, pointe Van Middelaar. Le Conseil européen, l’institution des chefs d’État et de gouvernement de l’Union, s’est résolument installé dans la cabine de pilotage, aux côtés de la Commission. À cet égard, la réflexion de Luuk van Middelaar invite à dépasser la traditionnelle distinction entre les approches communautaires et intergouvernementales. Selon lui, ce ne sont pas deux, mais trois types d’architecture qui dessinent la construction européenne: le fonctionnalisme, la parlementarisation (un rôle principal accordé au Parlement européen) et l’intergouvernementalisme (les États membres sont les acteurs principaux). L’auteur s’élève d’ailleurs contre le procès souvent intenté à la méthode intergouvernementale par la “sphère bruxelloise”, notamment à la Commission et au Parlement européen, méfiants vis-à-vis de l’expression des intérêts nationaux.

Le mérite du livre de Luuk van Middelaar est de s’écarter du prêt-à-penser européen.

C’est là un des trois tabous européens qu’il est temps de lever, souligne Van Middelaar. Oui, chacun des pays de l’Union européenne a le droit de défendre ses intérêts propres. Oui, certains États membres sont “plus égaux” que d’autres. Et oui, enfin, l’évolution du monde oblige l’Europe à se pencher sur la question de la frontière. Question primordiale, en ce sens qu’elle recouvre celles liées à l’identité, à la souveraineté et celles des intérêts proprement européens, qu’il faut défendre face à des rivaux.

Aussi, avance Van Middelaar, faut-il sortir de l’illusion longtemps entretenue que l’Europe progresse sur une voie tracée d’avance, balisée par les traités et menant “à une union sans cesse plus étroite” fantasmée. Il est au contraire essentiel d’accorder une place à une opposition politique au sein de l’Union, afin d’offrir une variété de choix possibles. Pour Luuk van Middelaar, on ne peut cantonner dans la catégorie des “mauvais Européens” ceux qui, dirigeants politiques ou citoyens, contestent les règles et le fonctionnement de l’Union. Ni leur seriner “qu’ils n’ont pas compris” ce qui est bon pour eux. La politique européenne doit devenir “un théâtre”, insiste-t-il, où peut s’exprimer la contradiction légitime aux choix politiques de l’Union, faute de quoi le champ de la contestation sera entièrement occupé par ceux qui veulent sa perte.

Le mérite du livre de Luuk van Middelaar est de s’écarter du prêt-à-penser européen. Il ne verse ni dans l’europtimisme béat, ni dans les lamentations sur l’état de l’Union. Le Néerlandais pose la nécessité d’armer l’Union pour qu’elle puisse répondre aux enjeux du siècle qui s’ouvre, sans pour autant être aveuglée par la “foi en l’Europe”. L’Europe a plus que jamais besoin d’hommes et de femmes qui s’interrogent sur son devenir.

LUUK VAN MIDDELAAR, Quand l’Europe improvise (titre original : De nieuwe politiek van Europa), traduit du néerlandais par Daniel Cunin, éditions Gallimard, Paris, 2018, 414 p. (ISBN 978 2 07 273492 2).
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