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littérature compte rendu

Amitié, passion sexuelle, amour : «L’Année du chien» de Stefan Brijs

30 mars 2020 5 min. temps de lecture

Le roman L’Année du chien de l’auteur flamand Stefan Brijs (° 1969) est l’histoire d’une amitié, qui toutefois met en question l’amitié entre homme et femme.

Pour Ava, Flamande de 29 ans, le plus important dans la vie est la passion. Le problème est que ce sentiment résiste mal à la vie de couple. À part quelques aventures de courte durée, Ava a vécu plusieurs années avec un jeune homme, qui, certes, l’attire encore, mais avec lequel elle a rompu parce que la passion avait cédé le pas au train-train quotidien. Depuis, elle est retournée vivre chez sa mère avec laquelle elle s’entend mal. Elle souffre de son état de célibataire.

À la recherche d’un autre amour passionnel, elle se contente de quelques escapades érotiques impulsives. Régulièrement, elle va à la cinémathèque dans sa ville de province, où son père en tant que professionnel de l’histoire du cinéma prend en charge les introductions aux films projetés. Pas contente de son travail de fonctionnaire à Bruxelles – elle est médecin du travail à la Société nationale des chemins de fer belges -, elle s’inscrit à un stage de médecine humanitaire à Haïti. Malheureusement, elle y contracte le typhus dès la première semaine et retourne gravement malade en Belgique.

La vie turbulente d’Ava nous est racontée par Paul, le narrateur de Zonder liefde (Sans amour), roman de Stefan Brijs qui paraît en traduction française sous le titre L’Année du Chien. Paul a 27 ans et il est professeur de néerlandais et d’anglais. Ava se lie d’amitié avec lui après une rencontre à la cinémathèque de leur petite ville. Paul souffre lui aussi des conséquences d’une déception amoureuse. Il est en plein divorce après avoir – sans se douter de rien – été trompé pendant de longs mois par sa femme qu’il connaissait depuis son adolescence. Désabusé, il ne croit plus en l’amour. Cependant, contrairement à Ava, il a la nostalgie de la vie de couple qui rythmait sa vie. Le train-train détesté par Ava le contenterait. La solitude lui pèse, il boit beaucoup, mais continue à enseigner.

Il a heureusement son chien mais trouve aussi une consolation dans son amitié avec Ava, qui, après les disputes avec sa mère, n’hésite jamais à s’installer pour de courtes périodes chez lui, dans la chambre d’ami bien entendu. Avec elle, Paul peut parler littérature, aller au cinéma et au restaurant. Il désire souvent le contact physique avec Ava, qu’il compare à toutes les femmes qu’il rencontre, mais il reste sage. Le lecteur ne saura jamais si Ava se doute du désir de Paul. Si pour Ava cette amitié avec Paul peut vraiment en être une, puisque pour elle l’attrait sexuel n’y joue pas de rôle, il est clair que Paul s’adapte aux limites posées par Ava, afin de ne pas perdre cette «présence féminine» dans sa vie.

Durant l’année que dure leur amitié, Ava vient très régulièrement chez Paul pour se reposer de ses mésaventures. Puisque le lecteur connaît tous les sentiments du narrateur, il n’est pas surpris quand Daniel, le nouvel amant d’Ava, accuse Paul d’être amoureux d’elle. Daniel est un Wallon rustre, illettré et intuitif, idéalisé par Ava qui se prend volontiers pour Lady Chatterley. Ce ne sont, hélas!, pas les seuls stéréotypes qu’on rencontre dans ce roman.

Le lecteur apprend les aventures d’Ava de seconde main et par le biais du désespoir, de la solitude et parfois de la jalousie de Paul. L’ennui s’installe facilement, car les rapports subjectifs que Paul fait de leurs conversations ternissent les choses spectaculaires vécues par Ava. L’état d’esprit du narrateur Paul fait tache sur tout le texte. Le personnage est convaincant, mais c’est au détriment de l’attrait de la fiction. L’absence de suspense n’empêche pas Brijs de retrouver sa plume à la fin en évoquant la scène de jalousie que fait Daniel quand il voit Ava et Paul ensemble dans la rue. Cette scène directe sort le lecteur de l’ennui qui s’est instauré au fil de la restitution d’une année de dialogues, de dîners et de promenades avec le chien, dans une ambiance peu vraisemblable pour deux jeunes personnes, même dans les années 1990.

Un point de vue narratif unique pour relater l’histoire d’une amitié, tout en mettant en question l’amitié entre homme et femme tout court, est un défi en soi. En optant pour un narrateur dépressif qui est dans le fond à la recherche d’un rapprochement physique et d’une nouvelle partenaire de vie pour combler le vide et pour booster son ego, Brijs s’est en quelque sorte tiré une balle dans le pied.

Le thème reste flou: amour, passion et attrait sexuel ne sont pas clairement distingués. L’Année du chien n’est pas un roman sur l’amour, ni sur l’amitié, en revanche on y lit que l’attrait sexuel empêche la complicité qui est à la base de l’amitié – chose qu’on savait déjà. En tirer la conclusion que l’amitié entre femme et homme n’est pas possible serait une énorme erreur. On ne voit pas où Brijs veut en venir. Les titres de grands livres et de films, les belles phrases et les observations justes ne compensent pas ce thème flou, l’absence d’intrigue et le narrateur prévisible.

Dans Taxi Curaçao, l’avant-dernier roman de Brijs à avoir été traduit en français, le choix du narrateur était déjà le point faible; néanmoins, ce roman me semble toujours intéressant pour ce qu’il apporte sur l’histoire récente de cette île des Caraïbes. Avec L’Année du Chien, l’auteur a récidivé quant au choix du narrateur en nous proposant en même temps un contenu peu intéressant. Il me reste à exprimer l’espoir que le Stefan Brijs de Le Faiseur d’anges et de Courrier des tranchées, deux romans traitant de grands thèmes de l’humanité dans un style impeccable, nous revienne, quitte à attendre quelques années.

STEFAN BRIJS, L’Année du chien (titre original: Zonder liefde), traduit du néerlandais par Daniel Cunin, éditions Héloïse d’Ormesson, Paris, 2020, 256 p. (ISBN 987 2 35087 71 16).
Dorien-Kouijzer

Dorien Kouijzer

critique et journaliste culturel

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