Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

Jean-Marie Gantois dans un rôle de victime
Les Pays-Bas français

Jean-Marie Gantois dans un rôle de victime

Le nom de Jean-Marie Gantois (1904-1968) ne dit plus grand-chose à la plupart des gens, mais lorsque c’est le cas, rappelle souvent le contexte de controverse suscité par cette personnalité militante de Flandre française. L’historien Éric Vanneufville lui a consacré un ouvrage, intitulé curieusement L’abbé Gantois, l’histoire. L’historien veut étudier les idées de Gantois à travers les écrits et déclarations de ce dernier, sans émettre de jugement. Michiel Nuyttens veut voir s’il y est parvenu.

Vanneufville n’avait pas l’intention de publier une biographie scientifique. L’auteur désirait avant tout étudier le personnage de Gantois et ses convictions à partir de ses écrits et de ses déclarations. L’intention était noble mais, disons-le tout de suite, la mission a échoué. Pour des raisons incompréhensibles, il n’a pas puisé dans le fonds «De Franse Nederlanden» (Les Pays-Bas français) issu de la bibliothèque de Jean-Marie Gantois, acquise en 1969 par la bibliothèque de la KU Leuven à Courtrai, qui est la source d’information par excellence sur le sujet. En dépit de quelques notes en bas de page, peu soignées, l’ouvrage ne comporte aucune bibliographie. Il apparaît rapidement que l’auteur a ignoré ou tu l’existence de certains livres ou articles, pourtant essentiels à son étude.

Gantois n’est pas un scélérat

En substance, Éric Vanneufville nous livre quatre chapitres thématiques dans lesquels il peine à démontrer que Gantois n’avait pratiquement rien du scélérat que certains en ont fait.

Le premier chapitre, intitulé «Le Nord et le Sud, germanité et latinité», rend compte des idées bien connues de Gantois à l’égard du concept de Grande Flandre, qui s’étendrait de l’Ems à la Somme. Le chapitre se termine sur la question de savoir s’il s’agit d’un mythe ou de la réalité. Les liens de sang manifestes entre les peuples habitant ces régions ne peuvent être, selon l’auteur, scientifiquement prouvés, mais n’est-ce pas le propre des études portant sur les périodes antérieures à l’an mil ? Il va de soi que Vanneufville sait aussi parfaitement que l’histoire des Francs, des saxons et des Frisons reste encore largement méconnue et il préfère passer sous silence l’état de la recherche concernant le recul de la frontière linguistique. Fidèle à la ligne de pensée de Gantois, il s’empresse d’exposer l’histoire de la francisation brutale menée par les rois de France et les républicains jacobins.

Vanneufville estime exagéré de dire que Gantois était un raciste pur

Un deuxième chapitre, «Idéalisme et idéologie», couvre un large spectre de sujets. Le lecteur n’y trouvera pas d’idées nouvelles ou novatrices, mais des affirmations depuis longtemps dépassées ou pour le moins suspectes : le Comité Flamand de France, présenté ici pour la énième fois comme une association vieillotte, a connu un développement inédit après la Première Guerre mondiale ; Lemire n’était pas le grand militant flamand que Gantois a fait de lui, mais a au contraire conseillé à son ami Camille Looten de freiner la fougue de ce séminariste ; les pseudonymes énumérés ici sont également ceux utilisés par Nicolas Bourgeois ; Vanneufville ne prend pas la peine de renvoyer le lecteur aux rapports des services de renseignement dans lesquels c’est Gantois qui est en effet visé. Fort heureusement, pouvons-nous lire, Gantois n’a jamais fait du Vlaamsch Verbond van Frankrijk (Ligue flamande de France) une formation militaire des nazis, si tant est qu’il l’eût jamais pu. Et que penser des inepties du livre de Gantois Le Règne de la race (1936) ? Certes, il croyait à l’inégalité des races, mais surtout à l’égalité de tous les hommes devant Dieu. On peut y voir «un certain racisme», mais Vanneufville estime exagéré de dire que Gantois était un raciste pur. Il avait sans doute peu d’affinités avec les gens simples, mais son opposition à la centralisation jacobine montre combien il était attaché aux libertés locales. Nous ne savons pas ce que nous devons entendre précisément par là. Gantois est demeuré un nanti, fils de médecin, sans responsabilité ni engagement social, et sans même être curé d’une paroisse. C’est la vérité que ses admirateurs doivent admettre.

Gantois admirait la culture et la civilisation allemandes

Le troisième chapitre est intitulé «Contre la France et pour l’Allemagne». L’auteur ne s’intéresse pas seulement aux conflits militaires que Gantois a décrits, mais surtout à l’aversion de l’abbé pour la dépersonnalisation imposée par l’État français, d’où la perte des valeurs de la culture autochtone. Or ce sont précisément ces valeurs qui ont été bien mieux préservées en Allemagne. Gantois admirait la culture et la civilisation allemandes. Cette admiration suffit-elle à en faire un collaborateur ? Il y a bien eu quelques éléments suspects : son plaidoyer auprès de la Militärverwaltung à Bruxelles en faveur de l’incorporation du nord de la France dans un ensemble thiois et surtout la lettre adressée à Hitler le 10 décembre 1940, dans laquelle il déclarait que les Bas-Allemands souhaitaient leur retour au Reich. Il est révélateur pour l’ensemble du livre que Vanneufville continue de mettre en doute l’authenticité de cette lettre. Gantois a certes commis quelques imprudences, mais il ne faut pas, estime l’auteur, en exagérer la portée.

Un rôle de victime

Dans le quatrième chapitre, intitulé «Audience et réputation», Éric Vanneufville expose l’influence de Gantois. Celle-ci n’a jamais été importante, mais, à l’évidence, elle a encore diminué après son procès en 1946, à l’issue duquel il a été condamné à cinq ans de prison. L’auteur ne peut s’empêcher de pousser Gantois dans un rôle de victime, montrant que tout le monde était contre lui : l’establishment français, les milieux catholiques bien-pensants, etc. Bien que Gantois ait adhéré à l’idée d’un fédéralisme européen, son rôle est devenu insignifiant après 1950. Là encore, Vanneufville édulcore la réalité en évoquant la notoriété internationale de l’abbé Gantois : ses liens d’amitié avec le prêtre et poète Cyriel Verschaeve et avec le peintre Albert Servaes, (sans parler du plus modéré Vital Celen avec son impertinence envers le Comité pour la Flandre française (KFV) à Waregem), son adhésion à la Société des lettres néerlandaises (MNL) à Leyde et l’hommage qui lui a été rendu à Male pour son soixantième anniversaire en 1964. Ultime moment de gloire, car quelques années plus tard l’abbé Gantois est mort dans des circonstances suspectes.

Dans sa conclusion, Vanneufville nous surprend de nouveau : bientôt, l’élévation du niveau de la mer, des collines de l’Artois aux Pays-Bas néerlandais, rendra vitale la coopération entre les peuples. Un vieux rêve de l’abbé Gantois pourrait-il ainsi finir par devenir réalité ?

Éric Vanneufville, L'Abbé Gantois, l'histoire, Yoran Embanner, Fouesnant, 2020, 144 pages - ISBN 978-2-36747-065-8
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