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littérature compte rendu

«Le trophée» de Gaea Schoeters: Un chasseur sachant chasser…

12 décembre 2022 4 min. temps de lecture

Dans Le trophée, Gaea Schoeters (1976°) raconte l’histoire de Hunter White, un richissime investisseur new yorkais fervent pratiquant de la chasse aux trophées. Premier roman de Schoeters à être traduit en français, Le trophée nous entraîne dans une course poursuite machiavélique.

La chasse au trophée consiste à abattre les animaux les plus convoités de la savane africaine. Ils sont qualifiés de big five (le lion, le léopard, l’éléphant, le rhinocéros noir et le buffle), une formule imaginée par Ernest Hemingway dans son ouvrage Les Neiges du Kilimandjaro. Une fois la bête tuée, les chasseurs américains et européens, fiers comme Artaban, reçoivent chez eux sa tête empaillée pour l’exhiber tel un trophée.

L’histoire commence quand Hunter White arrive quelque part en Afrique australe pour chasser la seule proie qui lui manque pour compléter son palmarès: un vieux rhinocéros noir. Pour ce dernier trophée, comme pour les quatre autres obtenus les dernières années, il a payé plus de trois cent mille dollars à son fidèle guide et chasseur professionnel Van Heeren, patron d’un safari de chasse de gros gibiers.

Un mâle alpha

Hunter White est «un homme, un vrai», qui n’utilise pas «de fusils légers et modernes» à l’instar de ses collègues. Non, lui possède un 577 Nitro Express «à gros calibre». Quand il effleure son arme, «une vague d’excitation le parcourt, que lui procure le désir tendu vers la chasse de demain». Dans cette nuit chaude où «l’atmosphère se charge d’électricité», les deux acolytes, gin tonic en main, sont comme «deux écoliers fébriles à la veille du bal de fin d’année [salivant] à la perspective de l’aventure qui les attend».

Notre héros-financier est sûr de lui: «son» rhinocéros à tache noire, il ne le loupera pas, pour rien au monde. Il ramènera sa carcasse transformée en joli trophée pour son épouse. Après tout, ne doit-il pas son prénom au fameux chasseur des années quarante, J. A. Hunter, responsable du massacre de plus de mille rhinocéros?

En proposant une narration documentée, Schoeters place ingénieusement la chasse aux trophées dans son contexte historique, culturel et actuel

Le prédateur est prêt: «Depuis ce promontoire, où il se tient dressé au sommet de la chaîne alimentaire, il domine tous ses concurrents». Le lendemain, les pisteurs et les traqueurs (des natifs qui marchent à l’avant pour protéger le client-aventurier) annoncent à notre spéculateur financier que «son» rhinocéros est repéré. Joie! La fine équipe se met en route. Alors que Hunter White a son futur trophée dans le viseur, prêt à appuyer sur la détente, le mastodonte se prend une balle. Pas la sienne non, mais celle d’un braconnier. L’homme est fou de rage, il hurle à la mort: «[…] c’est le cri primal d’un prédateur à qui on a volé sa proie».

Volé de surcroit par un vilain braconnier qui, quand il tue, commet «un crime odieux». Contrairement à la chasse pratiquée par White et ses semblables, qui constitue «une forme de conservation de la nature» qualifiée de «sport noble». Pour que son client ne rentre pas bredouille chez lui, Van Heeren lui propose une chasse d’un tout autre genre que l’on ne vous dévoilera pas ici.

À travers «les valeurs» d’un personnage antipathique, pour ne pas dire rebutant, Gaea Schoeters nous plonge dans les mécanismes de pensée d’un chasseur blanc considérant l’Afrique «comme une grande réserve naturelle créée par Dieu pour son bon plaisir». La prostitution enfantine, les ravages du sida et de la drogue, le manque de nourriture et l’accès à l’eau potable, l’injustice subie par les bushmen (une communauté ancestrale) sont des sujets dont il n’a que faire. Sa connaissance de la région «se limite à un savoir détaillé des lois sur la chasse et l’obtention et trophée».

Ce polar noir est bien plus qu’une fiction à l’intrigue palpitante. L’autrice propose une narration documentée lui permettant de placer ingénieusement la chasse aux trophées dans son contexte historique, culturel et actuel.

Gaeta Schoeters tisse habilement une toile dans laquelle le lecteur anti-chasse se retrouve à envisager et à considérer cette pratique autrement. Couronné par le prix Sabam for Culture en 2020 et par une mention spéciale du Prix littéraire européen, Le Trophée est un thriller glaçant qui tord brillamment le cou aux idées reçues.

Lisez ICI les deux premiers chapitres parus en prépublication sur les plats pays en 2021.

Gaea Schoeters,
Le trophée, traduit du néerlandais par Benoît-Thaddée Standaert, éditions Actes Sud, collection «Actes noirs», 2022.
Mélanie Huchet c Haleh Chinikar

Mélanie Huchet

journaliste - critique d'art

photo © Haleh Chinikar

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