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M.C. Escher, génie des mondes impossibles, s’expose à la Monnaie de Paris

14 novembre 2025 10 min. temps de lecture

L’institution muséale accueille et inaugure la première rétrospective de l’œuvre du visionnaire néerlandais dans la capitale française. Sur cinquante ans de carrière, Maurits Cornelis Escher a su conjuguer savamment l’art avec les mathématiques et la philosophie, l’abstraction et les paradoxes, les figures géométriques et les illusions d’optique.

«Nous adorons le chaos parce que nous aimons produire de l’ordre». C’est sans doute l’une de ses citations les plus célèbres qui définit le mieux son œuvre et sa vision. Chez lui, la rigueur scientifique se fond dans l’imaginaire poétique, repensant la nature même du temps et de l’espace.

Maurits Cornelis Escher dit M.C Escher (1898-1972) a changé la perception visuelle au sein des arts. Graveur, graphiste, dessinateur, ce natif de Leeuwarden, aux Pays-Bas, a créé un univers fait de distorsion, de surréalisme, d’illusion, de paradoxe, et par extension, nourri de réflexions existentielles. Ses œuvres aux géométries infinies ont ouvert à des royaumes parallèles. Au-delà des mathématiciens et des chercheurs, il est parvenu à toucher un large public au fil du temps, avec ses conceptions impossibles, envoûtantes et ludiques.

La Monnaie de Paris, plus ancienne institution française en activité, incarne le savoir-faire dans l’art de la gravure et de la frappe. Elle accueille donc naturellement cette première rétrospective d’envergure, coproduite par la société Arthemisia et la plateforme Fever, pour retracer ses expérimentations à travers ses diverses techniques.

«Je suis vraiment ravi qu’il y ait enfin cette grande rétrospective à Paris, après Rome et Toulouse», explique Jean-Hubert Martin, historien de l’art et co-commissaire avec Federico Giudiceandrea. «Après avoir montré plusieurs œuvres d’Escher dans l’exposition Une image peut en cacher une autre au Grand Palais en 2009, j’ai milité pendant une quinzaine d’années pour convaincre les musées parisiens de lui dédier une exposition personnelle, alors qu’il est mondialement connu. Je me suis longtemps cassé le nez».

Transcender les limites

L’établissement public fait ainsi la lumière sur ce maître du trompe-l’œil à travers ses œuvres les plus célèbres, comme Main avec sphère réfléchissante (1935), Jour et Nuit (1938), Métamorphose II (1939-1940), Mains dessinant (1948), Lien d’union (1956) et sa série des Emblemata.

Pour M.C. Escher, l’art et la science se mettent au diapason. Les mathématiques, la philosophie, la géométrie et la logique prennent vie dans un langage qu’il façonne à travers ses gravures et ses dessins. Le design, le graphisme et la communication visuelle font partie des premiers secteurs à avoir été touchés par ses jeux de distorsion, ses pavages infinis du plan en deux ou trois dimensions, ses métamorphoses inattendues et ses structures spatiales improbables.

Car la question reste entière: comment fait-il pour que tout se transforme, converge en un centre et se dilue dans un espace et un temps qui ne semblent plus exister?

«Je le compare souvent à Dalí», souligne le conservateur. «Il a également été marginalisé par les historiens d’art pour les mêmes raisons qu’Escher: il utilisait la perspective. Le dogme établi par l’avant-garde de la modernité du XXe siècle définissait le tableau comme une surface sur laquelle on joue. On n’essaie plus de créer une profondeur avec la perspective à point de fuite unique. C’est un passé dont on ne veut plus dépendre. Dalí en est le meilleur exemple. Sa personnalité était telle qu’il a rejeté tout état de vassalité face à André Breton. Il a été exclu du mouvement surréaliste très vite. On ne pouvait le mettre sous le boisseau d’aucun mouvement ni dogmatisme. Il est resté un artiste unique et indépendant, comme Escher».

Des Pays-Bas aux voyages

Le parcours retrace ainsi ses premières rencontres décisives avec des personnalités de premier plan qui l’ont soutenu. À l’exemple de Samuel Jessurun de Mesquita (1868-1944). Ce représentant du mouvement art nouveau néerlandais a été son professeur à l’École d’architecture et d’arts décoratifs de Haarlem.

Très vite, il l’encourage à explorer le domaine du graphisme. Mais déjà dans ses premières œuvres, Escher montre un vif intérêt pour la nature environnante et la fait se confondre avec des vues d’horizons lointains, combinant structures géométriques et éléments naturels.

Dans les années 1920, il s’éprend de l’Italie et dessine les monuments, les paysages, la flore et la faune qu’il capture durant ses multiples voyages. En 1923, il quitte les Pays-Bas pour s’installer à Rome. Ses rencontres déterminantes se poursuivent avec le graphiste suisse Joseph Haas Triverio, qui l’introduit auprès des galeries d’art et l’accompagne dans ses expéditions transalpines.

En 1935, la montée du fascisme l’écœure et l’intime de quitter la botte. Il s’installe alors en Suisse, puis en Belgique avant de revenir définitivement aux Pays-Bas en 1941. Dans l’intervalle, il visite la France et s’amourache de la Corse. Il capture l’île de Beauté entre dessins et photos à partir desquels il crée des estampes, des gravures sur bois et des lithographies.

Entre métamorphoses et tessellations

Au sein de l’espace muséal, ses pérégrinations graphiques se prolongent à travers ses fameuses tessellations. C’est en découvrant les décorations mauresques en Espagne, dans le palais médiéval d’Alhambra à Grenade, qu’il décide d’explorer les motifs ornementaux des bâtiments en subdivisant le plan, comme les tesselles de mosaïque aux formes polygonales.

Les figures géométriques se répètent ainsi à l’infini «sans chevauchement ni espaces vides». Cette découverte devient l’une de ses signatures. C’est à partir de cette technique qu’il crée ses métamorphoses à la fin des années 1930. Il transforme dès lors «un être ou un objet en un autre de nature différente», généré par la modification et la succession de plusieurs tesselles.

L’Air et l’eau (1938), Jour et Nuit (1938), Métamorphose II (1939-1940), Reptiles (1943), ou encore Miroir magique (1946) font partie de ses porte-étendards en la matière. Ces œuvres jouent avec les éléments antithétiques comme avec l’idée qu’un lézard peut devenir une ruche, un poisson, un oiseau, puis un cube, ou un toit.

«Une grande partie de son travail reste artistique, où l’intuition joue un très grand rôle. C’est le plus formidable», précise Jean-Hubert Martin. «Escher est un artiste réfléchi, rationnel, qui pense comme un scientifique, et en même temps est capable de dépasser la réalité et de s’imaginer dans des sphères oniriques».

Œuvres multifacettes

L’exposition se distingue d’ailleurs au sein de la quatrième section avec des créations inédites. En 1950, la Banque centrale des Pays-Bas l’invite à concevoir de nouveaux billets pour les coupures de 10, 25, 50 et 100 florins. Ses dessins allient portraits de grands scientifiques néerlandais, motifs géométriques et divisions du plan.

Le billet de 10 florins représente Antoni van Leeuwenhoek (1632-1723), pionnier de la microbiologie. Sur celui de 25 florins figure Simon Stevin (1548-1620), ingénieur et mathématicien. Celui de 100 florins est dédié à Christiaan Huygens (1629-1695), savant et théoricien considéré comme un homologue de Galilée.

Mais ce projet ne verra jamais le jour, jugé trop complexe pour la circulation courante et infaisable avec les contraintes techniques des machines. À proximité sont également présentées des pièces commémoratives, frappées pour le centenaire de sa naissance en 1998, elles aussi jamais exposées.

Les cinquième et septième sections sondent plus avant son goût pour les compositions spatiales, les sphères, le triangle de Penrose, les surfaces réfléchissantes ou topologiques comme le ruban de Möbius, ce fameux objet qui laisse supposer deux faces, mais n’en révèle qu’une seule. Escher continue ainsi de s’amuser avec les paradoxes, les miroirs, les déformations de perspective et les représentations de l’infini.

Et plus encore avec les architectures, où l’image en apparence cohérente s’avère en réalité impossible, comme En haut et en bas (1947), La maison aux escaliers (1951), Equipartition spatiale (1952), Relativité (1953), Exposition d’estampes (1956), Belvédère (1958), Monter et descendre (1960), Cascade (1961).

Son escalier magique se fait même quête de sens et exprime la difficulté des êtres à se comprendre et à se rejoindre, tout en démontrant les capacités illimitées de l’imagination humaine.

Du précurseur aux héritiers

La rétrospective se clôt sur deux segments centrés sur ses travaux de commandes en tant que graphiste et, surtout, sur l’engouement qu’il provoque dès la seconde partie du XXe siècle, grâce à des publications sur son travail dans des magazines comme Time et Life.

En 1954, il se rapproche davantage de la communauté scientifique et académique dans le cadre de l’exposition de ses gravures au Congrès international des mathématiciens à Amsterdam, où il développe ses réflexions au-delà du champ visuel. Il s’intéresse également aux cristaux et à la cristallographie. «Le fait d’être adoubé par les scientifiques le rejette automatiquement de l’histoire de l’art et des historiens», souligne le curateur.

Sa première rétrospective personnelle a lieu en 1968 au musée du conseil de La Haye, dans le cadre de son 70e anniversaire. Il faudra attendre 2002 pour voir s’ouvrir dans cette même ville le musée Escher, sis dans un ancien palais royal du XVIII siècle.

«Les institutions d’art moderne ont été aussi réticentes à montrer son œuvre, car son travail était classé dans la catégorie des sciences. Beaucoup l’ont considéré comme un amusement pour scientifiques», insiste-t-il. «Escher a pratiqué la gravure, un genre mineur, et n’a jamais fait de peinture. Je le compare ici à Vasarely dont la carrière est proche. Comme lui, il a commencé en tant que graveur et graphiste, mais en s’installant à Paris, il est passé à la peinture abstraite. Le succès a été total. Escher n’a jamais fait cela. Dans leurs espaces, beaucoup de musées scindent leurs catégories entre beaux-arts et cabinets d’art graphique. Ils collectionnent des œuvres originales, mais pas de gravures. Ce facteur a amplifié sa marginalisation. Certains historiens soutiennent encore qu’il n’est pas un artiste sérieux».

À l’heure où les disciplines se croisent, se fondent et se confondent, la production riche et éclectique de M.C. Escher trouve sa pleine raison d’être à la Monnaie de Paris.

Sommités, monde du cinéma, de la musique, de la publicité, et même hippies… Tous se sont inspirés de ses œuvres. D’aucuns savent que Christopher Nolan a puisé dans ses gravures, détournant celles précitées plus haut pour ses films Inception (2010) et Interstellar (2014). La lithographie Relativité fait sans doute partie des conceptions ayant le plus nourri le grand et petit écran, comme Labyrinthe, Matrix, le premier volet du Seigneur des Anneaux ou encore la série coréenne Squid Game. Son œuvre moderne ne cesse ainsi de se multiplier à l’infini.

L’exposition M.C. Escher est présentée du 15 novembre 2025 au 1er mars 2026 à la Monnaie de Paris.

Nathalie Dassa

Nathalie Dassa

journaliste

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