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arts compte rendu

Rinus Van de Velde, le voyageur de salon à Bozar

Par Ian Mundell, traduit par Alice Mevis
3 mars 2022 6 min. temps de lecture

Désormais trop célèbre pour être encore considéré comme l’étoile montante de la scène artistique flamande, Rinus Van de Velde présente une sélection de ses dernières œuvres dans l’exposition très en vue Inner Travels à Bozar de Bruxelles.

La toute première œuvre d’Inner Travels (« Voyages Intérieurs ») est un train. À première vue, il s’agit d’un train électrique des plus ordinaires, de ceux qui font halte à chaque petite gare de province entre Bruxelles et, disons, Louvain, où Van de Velde est né en 1983. À l’entrée de l’exposition, le train vous fait face, et vous vous retrouvez pris dans la lumière de ses phares qui traversent une colonnade pour éclairer le vestibule.

Il s’agit de Prop, Train (2021), une reconstitution grandeur nature extrêmement réaliste en carton, bois et autres matériaux. De loin, seule la manière dont les feuilles de plastique qui servent de fenêtres gondolent chaque fois que quelqu’un monte à bord trahit son caractère artificiel. À l’intérieur, les poubelles sont remplies de déchets, les cendriers de mégots de cigarette, et on trouve un manteau en peau de mouton et un Walkman oubliés sur l’un des sièges vides.

Prop, Train est à la fois un élément-clé de l’exposition et un immense leurre. Commençons par son aspect trompeur: Inner Travels fait partie du festival d’arts Europalia, qui se tient tous les deux ans en divers lieux à travers la Belgique. Généralement, Europalia sélectionne un pays en particulier et s’y consacre entièrement, mais pour cette édition, les organisateurs ont fait le choix du thème plus vaste de Trains & Tracks (Trains et Voies). On dirait donc que Prop, Train a été spécialement commandé pour l’exposition: il s’intègre tellement bien dans le thème qu’il semble n’y avoir aucune raison de s’y attarder. Le seul autre lien avec les chemins de fer parmi les autres œuvres choisies de Van de Velde est un dessin représentant deux hommes adultes allongés sur le sol, occupés à jouer avec un train électrique miniature.

Ce style d’œuvre est d’ailleurs celui que les gens associent le plus souvent à Van de Velde : de grands dessins au fusain, comportant chacun une inscription manuscrite énigmatique en bas de page. Dans le cas de cette œuvre de 2010 –la plus ancienne de l’exposition– l’inscription est la suivante: «Everyone who reproduces that which drives him to creation with directness and authenticity belongs to us» («Quiconque reproduit ce qui le mène à la création avec simplicité et authenticité est des nôtres»). Ce dessin fait partie intégrante d’une série imaginant une amitié fantasmée entre Van de Velde et l’artiste soviétique Vladimir Mayakovsky, même si l’inscription est en réalité du peintre expressionniste allemand Ernst Ludwig Kirchner.

L’autobiographie imaginaire est un autre trait caractéristique du travail de Van de Velde, une manière pour lui d’échapper à la monotonie de la vie réelle et d’explorer sa relation avec le monde de l’art, l’histoire –en fait avec à peu près tout ce qui se trouve en dehors de son atelier, où il admet passer la majeure partie de son temps. Son statut autoproclamé de voyageur imaginaire est également mis en avant par les conservateurs de l’exposition Inner Travels comme un lien supplémentaire avec le thème Trains & Tracks d’Europalia.

Prop, Train est un élément-clé de l’exposition car cette œuvre permet au visiteur de s’immerger physiquement dans le monde de Van de Velde; elle constitue une sorte de passage de l’autre côté du miroir plutôt insolite sur le moment, mais qui finit par prendre tout son sens au cours de la visite. Au fur et à mesure que vous vous déplacez à travers l’expo, vous découvrez d’autres décors: un sac-à-dos en carton, une voiture à taille réelle, une scène de crash d’avion au milieu de la jungle, et enfin, une machine remplissant une pièce entière. Tout cela est plutôt déconcertant jusqu’à ce qu’on se retrouve finalement face à La Ruta Natural (2019-2021), un court-métrage de 13 minutes dans lequel la plupart de ces décors apparaissent.

Dans ce court-métrage, un homme portant un masque en caoutchouc représentant Rinus Van de Velde se déplace délibérément à travers une série de scènes reliées par le genre de logique onirique qui permet de passer à travers des écrans de télévision ou encore de déverrouiller des portes avec une carotte. Il apparait au volant de la voiture –tant le modèle à taille réelle qu’un modèle miniature sur une montagne qui figure également dans l’exposition– et il utilise la machine géante pour accomplir une tâche quelconque. Le film de style néo-noir à la David Lynch est fantaisiste et donne l’impression d’être une extension des dessins de Van de Velde. Ce qui n’est pas si surprenant lorsqu’on sait que ces dessins eux-mêmes sont souvent basés sur des photographies des décors construits dans l’atelier de l’artiste.

Quelque chose de très intéressant se produit alors lorsqu’on revient en arrière pour jeter un nouveau coup d’œil aux décors: la machine géante, par exemple, qui a première vue n’avait pas d’utilité très claire, acquiert soudain un sens. L’effet qui en résulte est étrangement intense et fait écho au moment où vous êtes montés à bord du train au début de l’exposition. Par le simple fait de monter à bord, vous vous engagez dans la création d’un récit, juste ce qu’il faut pour attribuer un sens aux décors.

Ce changement de perception qui a lieu au cours de la visite est une expérience bien plus intéressante que le fil rouge de l’exposition, qui est d’associer à chaque œuvre de Van de Velde un «compagnon de voyage», c’est-à-dire des œuvres d’autres artistes auxquelles il fait référence ou sur lesquelles il élabore une réflexion dans ses dessins, assemblages ou maquettes. Dans le cas de son autoportrait au fusain intitulé I am the armchair voyager (2020), par exemple, le fait que le texte qui y figure soit de la plume de l’artiste américain Joseph Cornell lui a valu d’être couplé à l’une de ses shadow boxes, une boite en bois à couvercle vitré remplie d’objets trouvés et de coupures de journaux. De la même manière, certains dessins couleur dans lesquels Van de Velde s’est amusé à explorer ses impressions sur la peinture en plein air sont flanquées d’œuvres de Claude Monet et Pierre Bonnard. Et ainsi de suite.

Cette approche n’est de mon point de vue pas la plus satisfaisante et passe à côté de ce qui fait l’une des forces du travail de Van de Velde: le fait que ses images soient autonomes et se suffisent à elles-mêmes. Il ne se réfère pas à l’histoire de l’art comme à un élément externe à l’œuvre; elle en fait partie intégrante. S’il souhaite référer explicitement à un autre artiste, il le fait, et la référence est là, sur le papier. He has been drifting around… (2021), par exemple, est une copie assumée du premier autoportrait de Rembrandt, où le visage du peintre est à moitié dissimulé dans la pénombre, et n’a pas besoin d’aide extérieure pour être interprétée.

À d’autres moments, le clin d’œil est moins appuyé: c’est le cas par exemple de Luckily I didn’t feel much (2019), un petit dessin au crayon de couleur représentant un homme debout sur un rocher faisant face à la mer, qui évoque à la fois l’œuvre de Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, et un Polaroïd des années 1960 trouvé dans une brocante. Le passage à la couleur, assez récent dans l’œuvre de Van de Velde, est d’ailleurs l’un des moments forts de l’exposition. De toute manière, même dans l’éventualité où la référence serait trop obscure ou vous dépasserait, la mystérieuse fusion entre image et texte qui traverse l’œuvre de Van de Velde ouvre des portes, au-delà desquelles vos propres voyages intérieurs peuvent commencer.

Rinus Van de Velde, Inner Travels, à Bozar, Bruxelles, jusqu’au 15 mai 2022
Le catalogue trilingue Inner Travels (néerlandais-anglais-français) publié par Hannibal Books acccompagne l’exposition.
Mundell Ian

Ian Mundell

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