Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

Tania Kross, la mezzo-soprano qui allie pop et opéra
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Tania Kross, la mezzo-soprano qui allie pop et opéra

Tania Kross est la récipiendaire du prestigieux prix Johannes Vermeer 2023. Originaire de Curaçao, la mezzo-soprano la plus populaire des Pays-Bas rend l’opéra accessible à des millions de personnes. Pour ce faire, elle s’écarte constamment des sentiers battus et n'hésite pas à injecter une bonne dose de culture populaire à la musique classique.

À l’unanimité du jury, la mezzo-soprano Tania Kross s’est vu décerner le 20 novembre dernier le prix Johannes Vermeer –le prix artistique le plus prestigieux des Pays-Bas– pour sa «carrière internationale et inspirante de chanteuse et pour la manière innovante dont elle rend l’opéra largement accessible et attire, rassemble et inspire un public contrasté.»

Kross est sans doute la chanteuse la plus populaire des Pays-Bas. Des millions de fans du petit écran l’ont découverte en tant que candidate de la treizième saison du célèbre jeu télévisé néerlandais Wie is de Mol? (Qui est la taupe?). Dix ans plus tard, il s’avère que la taupe est parvenue à sortir de l’ombre pour libérer une forme d’art «qui semblait inaccessible à un public large et contemporain». Nous l’affirmons haut et fort: sa voix mérite d’être entendue.

Tania Kross veut tout

Si l’on se fie à la tradition, la carrière de Tania Kross est donc une exception. C’est en remportant des concours de karaoké qu’elle fait ses premières armes. Adolescente, elle chante déjà sur les bateaux de croisière qui accostent à Willemstad, à Curaçao, son port d’attache. Ses parents n’ont pas grand-chose à reprocher à cette adolescente zélée. «J’avais besoin d’une scène», affirme-t-elle dans le documentaire Ik wil alles (Je veux tout) qui lui est consacré. «Si mes parents ne m’accompagnaient pas, je m’y rendais toute seule.»

Âgée d’à peine dix-sept ans, elle traverse l’océan Atlantique pour étudier au conservatoire d’Utrecht. «Vous ne savez pas chanter, mais vous êtes bien une chanteuse», lui dit-on après son examen d’entrée. Des années plus tard, Tania Kross n’a pas perdu sa modestie: «Je ne suis pas la meilleure des chanteuses, je suis celle qui travaille le plus dur. Je suis fiable. Je suis à l’heure. Je suis préparée. Les metteurs en scène et les chefs d’orchestre aiment travailler avec moi, car ils n’ont aucun souci à se faire. […] Cette attitude permet d’aller beaucoup plus loin.»

Après ses études, Kross emprunte la voie de la musique classique pendant quelque temps. En tant qu’étudiante, elle remporte le premier prix de la Stichting Jong Muziektalent (Fondation pour les jeunes talents musicaux), qui marque souvent le point de départ d’une brillante carrière. Au Concertgebouw d’Amsterdam, elle se hisse au rang de Rising Star. Et alors que les critiques ne tarissent pas d’éloges quant à son interprétation de Carmen au Staatsoper de Stuttgart, l’étoile se transforme en supernova. Même le prestigieux festival de Glyndebourne est séduit par sa habanera.

Mais l’étoile n’est pas satisfaite de son rôle phare. Selon ses propres termes, la production de Stuttgart lui a brisé l’âme. «Je ressemblais à Marilyn Monroe, dont les choristes étaient des clowns d’horreur. Don José m’assassinait en quatre coups, après quoi j’étais ramenée à la vie par une grenouille avec une lampe Ikea», confie la chanteuse dans une interview accordée à Mischa Spel du NRC. «Ai-je envie de faire partie de tout ça? me suis-je demandé. La réponse m’est apparue comme une évidence: NON.»

Renonce-t-elle alors à l’opéra? Absolument pas. Elle quitte toutefois le monde de l’opéra et son rythme de travail effréné. «Chanter dans un opéra signifie se rendre là où se trouve le travail», déclare-t-elle dans Algemeen Dagblad quelques années plus tôt. «Souvent, cela représente six semaines de répétitions en France, suivies de six semaines de représentations. Cela veut donc dire être loin de chez soi pendant trois mois. Chanter est un plaisir, chanter et produire moi-même me permet d’être souvent à la maison avec ma famille, et c’est cette configuration qui me rend heureuse »

Bas les masques

Depuis, Tania Kross n’a plus jamais chanté dans une production traditionnelle. Pourtant, au cours des quinze dernières années, elle a fait découvrir l’opéra à un public bien plus nombreux que ses collègues du circuit classique. Son arme secrète: elle explose l’audimat.

Après Wie is de Mol?, elle est également apparue dans Beste Zangers (Les Meilleurs chanteurs). Aux côtés de l’acteur musical Tommie Christiaan, elle se hisse au sommet des téléchargements iTunes. En 2019, elle remporte la première saison de l’émission télévisée The Masked Singer (Le Chanteur masqué). Pendant des semaines, la mezzo reste sous les radars en dissimulant sa voix d’opéra. Mais lors de la finale, dans une version spectaculaire de «Chandelier» de Sia, «elle dévoile enfin sa vraie sonorité». Plus de deux millions de téléspectateurs et téléspectatrices découvrent –peut-être pour la première fois– la puissance de sa voix.

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C’est précisément cette fusion des genres qui est cruciale dans le reste de son parcours. Selon ses propres termes, il ne faut pas tenter de faire entrer la musique «dans des cases». Dans ses propres représentations, elle marie différents styles musicaux: de Mozart à Madonna, de Curaçao au Concertgebouw. Ses spectacles sont des «prodiges légendaires et de princesses pop contemporaines», où Henry Purcell côtoie Freddie Mercury et où Spinvis et Sergei Rachmaninoff se renvoient la balle.

Tania Kross : L’élite peut faire la sourde oreille, je trouve que c’est un privilège de faire découvrir la musique classique à tous ces gens

Par ailleurs, pour Krossover, l’un de ses rares albums, elle a demandé à une dizaine d’artistes pop «d’écrire un nouveau type de chanson dramatique combinant le meilleur de la pop et de l’opéra». Des auteurs-compositeurs populaires tels que Huub van der Lubbe, Martijn Konijnenburg et Lucky Fonz III ont répondu à son appel.

Cette approche porte ses fruits. Tandis que les maisons traditionnelles peinent à renouveler et à élargir leur public, Tania Kross fait salle comble –même dans des lieux de grande ampleur comme le Rotterdam Ahoy et le Ziggo Dome d’Amsterdam– avec des publics extrêmement diversifiés. «Mes spectacles de théâtre musical rassemblent jeunes et moins jeunes, mon public est intergénérationnel», explique-t-elle au NRC. «L’élite peut faire la sourde oreille, je trouve que c’est un privilège de faire découvrir la musique classique à tous ces gens.»

La musique rassemble

Par «tous ces gens», Tania Kross désigne certainement les plus jeunes. Il s’agit probablement de l’une de ses stratégies les plus efficaces. Très souvent, en effet, cette merveilleuse musique classique est méconnue et mésestimée. Entendre pour la première fois la voix d’une chanteuse d’opéra suffit généralement à convaincre; mais le seuil de cette première fois est souvent beaucoup trop élevé.

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Elle joue également ce rôle lors de ses missions télévisées. Par exemple, en tant que membre du jury du concours de chant Aria diffusé sur la chaîne nationale néerlandaise NPO1 –bien que la chanteuse ne se dise pas fan inconditionnelle des concours de talents, «l’esprit de compétition ne se prête pas très bien à la musique. La musique rassemble.»

Tania Kross a aussi collaboré avec Music Telt!, une initiative qui met les élèves de l’enseignement primaire en contact avec toutes les formes de musique, de manière accessible. Elle est également une fidèle ambassadrice de la fondation Leerorkest Nederland depuis ses débuts. Cette organisation aide les écoles à créer un orchestre symphonique composé d’élèves et rassemble immédiatement les instruments nécessaires. «Si je suis si enthousiaste, c’est parce que je suis moi-même un produit de l’enseignement. Ma mère n’était pas pianiste et mon père ne jouait pas de flûte traversière. Pourtant, c’est à partir d’une île que j’ai réussi à arriver là où je suis aujourd’hui.»

Elle a regagné cette «petite île» durant la période du coronavirus. Aujourd’hui, elle concentre son énergie indomptable sur Willemstad, à Curaçao. Le Leerorkest s’est depuis vu attribuer une division à Curaçao, mais le travail de Tania Kross ne s’arrête pas là. Le titre de son documentaire, Ik wil alles, est toujours d’actualité: en 2013, elle travaille sur un nouveau répertoire à partir de sa langue maternelle locale, le papiamento. En collaboration avec le compositeur Randal Corsen, elle écrit ensuite l’opéra Katibu di Shon: «un cadeau à notre île». Son prochain cadeau sera d’ordre infrastructurel: Kross souhaite rendre un théâtre à son pays. En 2016, un grave incendie laisse en ruines le théâtre local, le Sentro Proarte.

Espérons que le prix Johannes Vermeer, «un prix en espèces de 100 000 euros destiné à la réalisation d’un projet spécial dans son propre domaine d’activité», apportera ainsi une importante pierre à l’édifice.

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