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histoire

Un martyr devenu héros de la vie quotidienne: l’héritage de Herman van den Reeck

Par Kasper Swerts, traduit par Jan H. Mysjkin, Willy Devos
10 juillet 2020 5 min. temps de lecture

Le 11 juillet 1920, le jeune étudiant Herman van den Reeck fut abattu par la police lors d’une commémoration de la bataille des Eperons d’or. Il mourut le lendemain. Il est devenu un martyr du Mouvement flamand. Mais qui le connaît encore aujourd’hui?

En 1870, l’historien francophone flamingant Léon Vanderkindere formula un voeu. Ayant encore fraîchement en mémoire l’issue de la guerre franco-prussienne, le futur recteur de l’Université libre de Bruxelles (ULB) esquissa un nouvel horizon pour le Mouvement flamand: «Les Flamands auront le droit de se servir de leur langue dans toutes les occasions de la vie […] en un mot, la langue officielle des provinces flamandes sera le flamand.»

Exactement cinquante ans après, cet idéal, cette aspiration requérait une victime. Le 12 juillet 1920, Herman Van den Reeck, âgé de 19 ans et étudiant à l’ULB de Vanderkinderen, mourut un jour après avoir été abattu par la police lors d’une commémoration de la bataille des Éperons d’or à Anvers. Sa mort provoqua une onde de choc au sein du Mouvement flamand de l’époque. Son enterrement était une véritable manifestation de masse. Herman Van Puymbrouck, le futur président du parti nationaliste flamand Frontpartij (Parti du front), proclama l’étudiant «élu de Dieu» et «victime prédestinée». Le ton était donné: Van den Reeck était devenu un martyr de la question (linguistique) flamande.

Poètes, éducation populaire et universités

A terrible beauty is born, «Une beauté terrible est née»: ce célèbre vers du poète irlandais William Butler Yeats attribua aux victimes de la révolte de Pâques (1916) le statut de martyrs. En Flandre aussi, des écrivains joueraient un rôle éminent dans l’élaboration de l’image de Van den Reeck comme éternel martyr tombé pour la langue flamande.

Dans son Tijdzang voor Herman van den Reeck (Hommage à Herman van den Reeck), par exemple, l’auteur Marnix Gijsen évoquait l’ «apparence résignée du martyr» de l’étudiant âgé de 19 ans. Pour sa part, William Van den Aker, poète anversois et épigone du poète bien plus connu Paul Van Ostaijen, voyait dans le «Croyant, martyr» une «ombre blanche» guidant les mortels. Paul Van Ostaijen même se réserverait toutefois le dernier mot dans son poème In memoriam Herman Van den Reeck devenu un classique du genre. Dans les premiers vers, l’étudiant est comparé à des «fleurs cassées» et à des enfants qui «ouvrent grands les bras» et «encaissent le coup de feu et tombent». On dirait l’ultime confirmation de la manière dont, aux yeux des flamingants, il faudra se rappeler Van den Reeck: comme une source d’inspiration permanente pour le Mouvement flamand.

Le souvenir de Van den Reeck en tant que martyr pour la question linguistique se manifesterait par ailleurs également en dehors du monde littéraire. Dans les années après sa mort, ledit sacrifice du jeune étudiant faisait office de symbole pour les besoins en matière de formation et d’éducation, débat dans lequel surtout la néerlandisation de l’université de l’État de Gand s’avérait un sujet brûlant depuis le début du siècle.

Lorsqu’en 1928 quelques Anversois créèrent un établissement d’enseignement visant à promouvoir l’émancipation culturelle du peuple flamand, le choix du nom s’imposait pour ainsi dire avec évidence: université populaire Herman Van den Reeck.

La création d’une image autour de Van den Reeck en tant que martyr pour la question linguistique et pour l’émancipation du peuple flamand atteindrait finalement son point culminant après la Seconde Guerre mondiale. En 1966, son cercueil fut transféré dans une nouvelle sépulture au cimetière anversois Schoonselhof, à côté du monument funéraire de Hendrik Conscience, «l’homme qui avait appris à lire à son peuple». La symbolique semblait claire: Herman Van den Reeck était le guide qui avait préservé l’idéal de Conscience en sacrifiant sa vie. Le souvenir de Van den Reeck semblait ainsi pérennisé: comme si désormais l’étudiant survivrait à tout jamais comme un martyr inébranlable dans l’histoire du Mouvement flamand. Il en alla tout différemment.

Une bougie vacillante

Van den Reeck avait beau être immortalisé dans la pierre, il n’en était pas de même pour la société. L’Union est devenue une fédération, la Belgische Radio en Televisie BRT s’appelle aujourd’hui la Vlaamse Radio en Televisie VRT, et l’horizon évoqué par Vanderkinderen s’est rapproché de plus en plus. La nécessité de disposer de martyrs pour la question linguistique a perdu de sa pertinence, de sorte qu’au cours des dernières décennies Van den Reeck est petit à petit tombé dans l’oubli.

Il y a certes eu encore quelques tentatives pour souligner son importance, mais l’étudiant considéré jadis comme l’ «élu de Dieu» ne suscite plus le même écho dans la société qu’à l’époque.

L’histoire de Van den Reeck serait-elle dès lors devenue inutilisable à jamais? Pas nécessairement. Il serait peut-être préférable, plus opportun, de ne pas le considérer coûte que coûte comme un martyr. En présentant de la sorte l’étudiant décédé prématurément, notre regard se focalise exclusivement sur sa mort (le sacrifice «prédestiné»).

Nous risquons ainsi de perdre de vue que le jeune homme voulait en premier lieu donner corps à l’idéal formulé par Vanderkinderen en s’engageant jour et nuit pour une société différente et meilleure. Sa présence au sein de plusieurs mouvements culturels et politiques, parmi lesquels le groupe pacifiste Clarté, témoigne non d’une volonté de mourir mais plutôt de concrétiser cet idéal, cette aspiration, par le biais de la vie quotidienne.

C’est une interprétation que semblait par ailleurs déjà avoir donnée Paul Van Ostaijen dans son In memoriam, où il décrit dans la deuxième partie des enfants, «qui tombent en tas un sac lourd / le long de la grisaille de l’hôtel-Dieu fuit / encore désir livide / vacillante bougie / l’âme dans l’ / inextinguible LUMIÈRE» (traduit du néerlandais par Jan H. Mysjkin).

La métaphore de la «vacillante bougie» présente Van den Reeck non pas comme un héros irréfléchi, ce que semblent suggérer les premiers vers du poème, mais plutôt comme une mise en garde: la bougie peut en effet toujours s’éteindre. Cette image semble en outre précisément embrasser la plurivocité et la variabilité des souvenirs: Van den Reeck se révèle ici non en martyr pétrifié dans son sacrifice, mais comme une figure vivante constituée de toutes sortes de petites contradictions et aspirations. Un héros de la vie quotidienne.

Kasper swerts

Kasper Swerts

chercheur auprès de l' ADVN («Archief, Documentatie en Onderzoekscentrum voor het Vlaams-nationalisme»)

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