Un rebelle devenu une institution : Louis Andriessen
En juin 2019, Louis Andriessen, rebelle dans les années 1960 mais aujourd’hui musicien néerlandais de renom international, a fêté son quatre-vingtième anniversaire. Andriessen jouit aussi d’un grand prestige en tant que pédagogue.
Dix-sept novembre
1969. Louis Andriessen, alors âgé de trente ans, perturbe avec
quelques complices – la bande s’est donné le nom de notenkrakers
(casse-noix, mais aussi, en néerlandais, «casse-notes») – un
concert du Concertgebouworkest
à
Amsterdam. Sacrilège! La principale institution de musique classique
aux Pays-Bas, dirigée par l’illustre Bernard Haitink en personne,
subit la rébellion d’un groupe de jeunes compositeurs,
insatisfaits de la programmation conservatrice de l’orchestre
symphonique et, plus généralement, de la politique autoritaire
menée dans le domaine culturel.
Ce
n’est qu’en 2013 que Louis Andriessen écrira sa première œuvre
symphonique (Mysteriën),
commandée par… le Concertgebouworkest!
Dans l’intervalle, Andriessen compose pour des ensembles plus ou
moins grands et aux effectifs variés. Considéré comme le principal
représentant de la musique minimale en Europe (qui fait pendant à
la musique américaine de Steve Reich et Philip Glass), il est
toutefois loin de se cantonner dans le répétitif ou le minimalisme.
Sa musique est avant tout expressive, oscillant entre l’âpreté et
la tendresse. Par ailleurs, elle porte toujours la signature
reconnaissable entre toutes de Louis Andriessen.
À
la fin des années 1960, le discours des «casse-notes» était
– outre sa teneur politique – essentiellement un plaidoyer pour la
programmation de compositeurs et musiciens sortant des sentiers
battus, et une défense de la liberté artistique. Andriessen a
lui-même trouvé cette liberté en créant ses propres ensembles
avec des musiciens en mesure de donner corps à son univers sonore
idéal. Le plus connu et le plus influent de ces ensembles est sans
aucun doute la phalange Orkest
De Volharding,
qui a œuvré sans interruption pour la musique contemporaine de 1972
à 2009, créant notamment de nombreuses pièces du compositeur
néerlandais.
Louis
Andriessen est le membre le plus célèbre d’une grande famille de
musiciens. Son père Hendrik Andriessen, son frère Jurriaan et sa
sœur Caecilia étaient également compositeurs, tandis que sa sœur
Heleen jouait de la flûte. Cet entourage musical a permis à Louis
de se familiariser dès son plus jeune âge avec de nombreux genres.
Ainsi, les enregistrements de jazz ramenés par son frère aîné
Jurriaan après un séjour aux États-Unis ont incontestablement joué
un rôle dans le développement du langage musical de Louis
Andriessen. Après les premières leçons de composition reçues de
son père, Andriessen savait déjà qu’il deviendrait compositeur.
En 1957, il entre au conservatoire de La Haye, où il se passionne
pour la musique d’avant-garde. Clairement influencé par l’œuvre
de Pierre Boulez, il compose en 1958 une pièce sérielle pour deux
pianos. Après cette période, il a la chance de pouvoir étudier
avec Luciano Berio à Milan et à Berlin. De retour aux Pays-Bas, il
travaille avec des compositeurs aux vues similaires, tels que
Reinbert de Leeuw, Misha Mengelberg et Peter Schat. En 1972, De
Volharding
interprète sa composition du même nom, mêlant minimalisme
américain et avant-garde.
Naît
ainsi un son propre et unique qu’Andriessen développera dans des
compositions majeures telles que De
Staat (La
République), Hoketus
ou
De
Stijl (Le
Style). Andriessen aime faire jouer tous les instruments à l’unisson
rythmique, une technique qu’il pousse à l’extrême dans Workers Union
en 1975. Cette composition «pour n’importe quel groupe
d’instruments au son puissant» contient uniquement des rythmes
notés avec précision et des indications générales sur les
mouvements ascendants ou descendants. Les hauteurs de sons ne
figurent pas dans la partition, qui ne prévoit pas non plus
d’instrumentation précise. Le résultat est une œuvre à la fois
très dissonante et d’une grande cohérence. À partir des
années 1980, la musique d’Andriessen se propage de plus en
plus à l’étranger, grâce à des concerts au Royaume-Uni et en
Amérique. En 1987, il enseigne la théorie musicale et la
composition à la Yale
University.
Quatre ans plus tard, il collabore pour la première fois avec Peter
Greenaway. Leur vidéo M
is for Man, Music, Mozart
est une combinaison inédite d’images et de musique, commandée par
la BBC. Vers 1994, la renommée internationale d’Andriessen est
déjà bien assise, comme en témoigne l’attention toute
particulière consacrée à son œuvre lors du Tanglewood
Festival
aux États-Unis.
Le
théâtre musical (et la musique vocale en général) occupe une
place de choix dans la production de Louis Andriessen. En association
avec son langage anguleux et souvent rude, il donne lieu à un
univers sonore tout à fait singulier et difficilement comparable à
celui d’autres compositeurs. Si le style de Philip Glass ou
d’autres minimalistes transparaît çà et là, Andriessen ne perd
toutefois jamais son identité si caractéristique. Entre-temps, le
compositeur accumule les récompenses et distinctions
(internationales) et jouit en outre d’un grand prestige en tant que
pédagogue. Parmi ses élèves figurent de nombreux compositeurs de
renommée internationale, tels que Michel van der Aa et Julia Wolfe.
Ses élèves le décrivent comme un professeur intransigeant, qui
fait en même temps preuve d’une grande cordialité et d’un
dévouement sans borne, à l’image de sa musique.