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Une maison comme une carapace: le documentaire «Housewitz» d’Oeke Hoogendijk
compte rendu
Arts

Une maison comme une carapace: le documentaire «Housewitz» d’Oeke Hoogendijk

Dans Housewitz, Oeke Hoogendijk réalise un portrait documentaire de sa mère qui n’est plus sortie de chez elle depuis trois décennies, car envahie par ses phobies. Les pièces à l’étage de la maison de cette survivante de la Shoah sont bondées de «bric-à-brac à l’état brut»: une maison comme carapace. Voici un film sur le sentiment de sécurité, d’enfermement et sur les voyages imaginaires.

«J’ai été en Islande, en Afrique du Sud et en Colombie. J’aimerais aussi partir à la neige, en Suisse, avec ce train-ci.» Ainsi s’exprime Lous Hoogendijk-De Jong (1926-2020), la mère de la pertinente réalisatrice de documentaires néerlandaise Oeke Hoogendijk (Het Nieuwe Rijksmuseum, Mijn Rembrandt). Lous fait l’objet d’un portrait intitulé Housewitz, auquel sa fille Oeke a travaillé pendant quinze ans.

Ce qui intrigue d’emblée dans ce que dit Lous tient au fait que ses voyages n’ont sans doute jamais eu lieu physiquement. C’est devant sa télé qui passe l’émission Rail Away (connue également sous le nom Die schönsten Bahnstrecken) qu’elle suit son programme favori: un défilé sans fin de trains et de voies ferrées du monde entier. La télé lui ouvre-t-elle une fenêtre sur le monde? Ou lui tend-elle aussi un miroir?

Fil conducteur, les voies ferrées semblent jouer un rôle très ambigu dans ce portrait documentaire sur une femme juive rescapée des camps de concentration. C’est en effet en train que Lous a été transportée aux camps de Westerbork et de Theresienstadt. Or les autres membres de sa famille ayant également fait le voyage n’en sont jamais revenus. Les voies ferrées ont donc conduit à la destruction de son monde et ont creusé des stigmates profonds dans son histoire personnelle.

Ses phobies l’empêchent de sortir de chez elle depuis bientôt trente ans. Mais seule chez elle, Lous se sent, en tant que dame âgée, encore en sécurité. De plus, l’image de la voie ferrée à la télé semble lui offrir un moyen de s’évader: le monde extérieur s’y trouve soudain à sa portée, l’invite à voyager, à vivre de nouvelles aventures. La cadence régulière et rassurante des roues métalliques sur les rails l’invite au sommeil, qui n’advient souvent que vers trois heures en pleine nuit, ou plus tard s’il y a un contretemps. Ses rêves l’emportent alors souvent vers un ailleurs, d’où elle n’arrive ensuite plus à rentrer chez elle. Bien après midi, elle se hisse de son lit, installé dans le séjour et flanqué d’un frigo, d’une télé, d’une radio et d’un lecteur de CD.

Une autre ligne de contact avec le monde extérieur est assurée par le téléphone. Lorsque Oeke appelle sa mère, celle-ci décroche immanquablement en annonçant: «Oui, me voilà», ce qui déclenche chez Oeke un «Oui, moi aussi» sonnant plus sec, mais qui n’est pas dénué d’une pointe d’humour -humour qui traverse d’ailleurs toute l’œuvre de Hoogendijk). Chez sa mère, on le retrouve dans sa maîtrise de tout un arsenal de jurons: «Ça vaut pas un radis! Jesus Christ Superstar! I wish I would drop dead!» Ou sous forme de rime: «J’en ai marre comme un chat noir!» Ou bêtement: «Je voudrais juste être morte.» Un humour décapant qui semble émaner tout autant d’un désir bien senti que d’une exagération grotesque. À une jeune fille qui lui apporte ses courses, Lous propose en guise de remerciement The Holocaust Experience. La jeune fille réagit par: «Oui, ça me plaît».

La maison forme une carapace, un corps avec une histoire, constituée d’expériences et d’événements

Dans son documentaire, Hoogendijk exploite à fond la forme du Kammerspiel (théâtre intime). La maison forme une carapace, un corps avec une histoire, constituée d’expériences et d’événements. Le fil rouge est assuré par la voie ferrée retransmise par la télévision. Certaines images sont réalisées lors de ses visites à sa mère, parfois en compagnie de ses frères. D’autres sont prises par une webcam qui montre sa mère en train de ronchonner et de déambuler seule dans sa maison jusque tard dans la nuit. Comme dans ses autres films, Hoogendijk laisse transparaître des imperfections dans son travail: comment elle est parfois elle-même présente, ce qui se passe dans la marge, comment sa mère veut qu’elle s’y prenne pour la mettre en scène.

Les images prises de l’extérieur de la maison montrent une carapace protectrice dont les lamelles ressemblent aux barreaux d’une prison. L’intérieur donne sur un mur et un toit d’où dépassent quelques arbres où s’accrochent quelques lueurs du soir. Lous s’écrie alors de manière surprenante: «Magnifique»!

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Lous ne se cache pas que les autres ne l’intéressent pas beaucoup. Même son chat semble être plutôt un colocataire qu’un compagnon. Tout comme sa maîtresse, il est en surpoids, raide et grincheux, même si lui –contrairement à elle– sort à l’air libre. Lorsqu’on sonne à la porte, Lous tressaillit: elle veut se faire invisible, car c’est trop d’effort de se donner une contenance vis-à-vis des autres. En écoutant ses histoires accompagnant de vieilles photos, il devient cependant évident qu’autrefois, elle sortait, qu’elle a été mariée pendant quatre ans, a eu trois enfants et a bel et bien connu des jours heureux. Mais maintenant, elle dit qu’elle est la plus heureuse étant seule.

Les «amis» et «bonnes connaissances» qui l’entourent à présent sont certainement plus faciles à vivre. Car les gens à la télé présentent un avantage inestimable: on peut les faire disparaître quand on veut, d’un clic sur le bouton. Ils ne demandent pas qu’on s’adapte à eux, on peut rester entièrement soi-même. L’effet de l’expérience dans un camp comme celui de Theresienstadt se traduit par l’emprise d’un état de panique continue, raconte Lous. «On s’aliène, on n’a plus de sentiments, on perd sa personnalité: on n’est plus celui ou celle qu’on était avant.» Même quand le chat pose ses exigences, c’est dur. «Rien n’est bien», ronchonne Lous quand son chat demande son aide pour ouvrir une porte. «Il est impossible.»

Housewitz aborde le thème de l’enfermement, mais aussi celui des moyens d’y échapper. La force d’imagination vient contrebalancer les images d’angoisse qui hantent les rêves de Lous

Housewitz aborde le thème de l’enfermement, mais aussi celui des moyens d’y échapper. La force d’imagination vient contrebalancer les images d’angoisse qui hantent les rêves de Lous. Le documentaire parle non seulement de l’importance d’un port d’attache fiable, mais aussi de la maison comme point de départ pour un voyage dans le monde. Si voyager de manière physique s’avère impossible, les images télévisées et la musique peuvent donner un coup de pouce pour voyager en imagination.

Ainsi, le portrait tourné en période de coronavirus et de confinement dépasse le passé spécifique de femme traumatisée de Lous et parle de manière plus générale de ce que signifie une vie vécue uniquement chez soi, à l’intérieur. Le film est donc aussi un éloge à l’imagination humaine: il montre la façon dont des images, des lettres, des objets ou une musique peuvent intriguer, évoquer des pensées, consoler. Un numéro du DJ Tiësto semble étonnamment cathartique: les sons éthérés stimulent l’imagination de Lous. Ils l’inspirent et lui donnent de l’énergie: «Énergisant, comme si j’étais amoureuse, je suis sur un nuage».

Une vie passée entre quatre murs n’est pas forcément que source de misère

À quel point la maison elle-même, à la façon d’une sorte de seconde peau, fait partie du portrait se révèle dans le rôle que jouent les pièces à l’étage. Elles sont sens dessus dessous, sources de souvenirs heureux et malheureux, remplis à la pelle de «bric-à-brac à l’état brut». Des souvenirs sont évoqués, on creuse dans le passé, on fait le ménage avec l’aide des enfants. Quand un de ses fils vient l’aider à faire le tri, il s’exclame: «Mince, c’est un bordel de merde ici!». Le regard de Lous est légèrement différent: «Toute ma vie a été un tas de merde.»

Il est frappant de voir qu’à côté des lettres envoyées de Westerbork, les vieilles photos et les vêtements conservés, d’autres souvenirs sont aussi venus s’ajouter. Une vie passée entre quatre murs n’est pas forcément que source de misère. Certes, Lous ressent une «forte appréhension» à la vue des vieilles lettres de Westerbork, mais elle s’émerveille devant quelques vêtements qui sortent des cartons: «Un bijou! Un Schnuckel!» Une robe d’été apporte un rayon de soleil: «C’était si bien!» Et c’est alors qu’apparaît que Lous a bel et bien fait de vrais voyages; en témoigne un plaid que Lous a ramené de Lausanne.

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