Andries Steven, figure de proue du néerlandais en Flandre française
Connu surtout pour ses poésies, Andries Steven était aussi instituteur et auteur du Nieuwen Nederlandschen Voorschriftboek (Nouveau livre néerlandais de préceptes), un ouvrage de morale utilisé comme méthode d’apprentissage du néerlandais. Retour sur une conférence qui s’est récemment tenue à Bailleul sur cette figure de proue du néerlandais en Flandre française.
Le CHAB, le LIHF ET LE CASK(1) –les Français adorent les acronymes– ont organisé le 10 novembre 2021 une conférence sur Andries Steven (1676-1747) dans les salons d’honneur de l’hôtel de ville de Bailleul. C’est un haut lieu du style néo-flamand, si cher au maire de la reconstruction Natalis Dumez et à l’architecte Louis-Marie Cordonnier.
Dans le grand escalier figure la mention de la charte des libertés communales accordée à la ville de Bailleul en 1177 par le comte de Flandre Philippe d’Alsace. Elle fait indirectement écho à l’objet de la conférence: un instituteur natif de Bailleul auteur d’une grammaire néerlandaise. Quoi de plus naturel en apparence dans le comté de Flandre… Sauf que l’instituteur en question est né un an avant la conquête de ce coin de Flandre par la France. C’est donc dans le Royaume de France qu’Andries Steven vit et enseigne en néerlandais.
Cependant, il est possible qu’il ait étudié à Louvain après être passé par le collège des Jésuites de Bailleul. Nous en sommes réduits à des conjectures en ce qui concerne sa formation.
© Cercle Histoire/Archéo Bailleul Flandre
Ce qui est avéré, c’est qu’Andries Steven est nommé instituteur à Cassel en 1704. Les châtellenies de Cassel et Bailleul sont françaises depuis 26 ans. Il enseigne dans la «pauvre école», une école qui doit notamment accueillir des enfants de familles pauvres. C’est à ce titre que Steven perçoit une pension.
Le conférencier Etienne Schryve, archiviste au Cercle d’histoire de Cassel (CHIC), a émis des hypothèses quant à la localisation de l’école où Steven a enseigné: l’actuelle école publique Till l’Espiègle ou le collège public Robert le Frison. Ce sont de jolis noms évocateurs de l’histoire de Cassel et de la Flandre. Et c’est un beau symbole qu’un établissement d’enseignement se trouve toujours au même endroit trois siècles plus tard!
Le «Nieuwen Nederlandschen Voorschriftboek»
L’objet de la conférence était principalement la généalogie d’Andries Steven. Cependant, Etienne Schryve a évoqué le Nieuwe Nederlandshe Voorschriftboek (Nouveau livre néerlandais de préceptes) (2), un manuel de morale qui servait aussi à apprendre à lire et à écrire. C’est l’une des premières grammaires de la langue néerlandaise. Le Voorschriftboek a été utilisé dans les Pays-Bas du Sud, dont une partie annexée par la France, jusqu’au XIXe siècle. Entre 1714 et 1833, il est édité à 13 reprises des deux côtés de la frontière.
Dans l’introduction, Steven place des essais sur la langue: «Lutter contre la francisation du néerlandais», «Améliorer l’orthographe», «Accents en néerlandais». Il y développe un système avec des accents qui n’est pas conservé dans le néerlandais actuel.
Rhétoriqueur néerlandophone
Andries Steven est membre de la chambre de rhétorique «de Fresieren» à Cassel, qui a pour devise «Spade begrepen» (Compris tard). Il est le poète de la chambre et a pour devise personnelle «Tot arbeydt konst verweckt» (L’art engendré par le travail). Certaines de ses poésies se trouvent d’ailleurs dans le Voorschriftboek.
Le caractère transfrontalier de ces rencontres atteste de la langue commune
Il a des contacts avec d’autres Chambres de Rhétorique des deux côtés de la frontière: «Sint Anna» d’Hazebrouck, «Verblijders in de tijd» de Dunkerque, «de Baptisten» et «de Royaerts» de Bergues, «de Ontsluyters van vreugden» de Steenvoorde, «de Spaderijken» de Bailleul et «de Heilige Geest» de Bruges. Les liens entre les chambres de rhétorique se matérialisent par des rencontres qui prennent notamment la forme de concours de poésie ou de théâtre. Le caractère transfrontalier de ces rencontres atteste de la langue commune.
Le Casselois Andries Steven qualifie sa langue de «néerlandaise» et non de «flamande». Il convient de rappeler qu’il y a toujours eu des deux côtés de l’actuelle frontière franco-belge une dichotomie entre le néerlandais écrit et les variantes orales dialectales. Steven s’efforce de propager un néerlandais de l’époque aussi standard que possible, très proche de celui écrit à Bruges ou Gand. Il en va de même pour les archives ou les pierres tombales du XVIIIe siècle de Flandre française. Leurs textes sont en néerlandais de l’époque, avec une coloration west-flamande.
La descendance de Steven
On ne garde pas de Steven que ses poésies et sa grammaire de néerlandais. Ses descendants, évoqués par Etienne Schryve, ont laissé leur marque dans l’histoire de l’actuelle Flandre belge. L’un d’eux aurait négocié en 1794 avec le général Vandamme (un Casselois!), évitant à la ville de Tielt d’être saccagée par les troupes françaises. Un autre descendant de Steven, un Gantois fidèle au roi Guillaume I, voit sa maison et son imprimerie détruites lors de la révolution belge en 1831.
La conférence a été introduite par l’historien de la Flandre Eric Vanneufville, avec une évocation passionnante du contexte de la Flandre française durant les décennies qui suivent l’annexion. Un préalable nécessaire pour bien comprendre dans quel univers évolue Andries Steven. Une prochaine conférence développera davantage l’aspect linguistique de son œuvre.
Ces exposés cadrent parfaitement avec les objectifs du cercle… Andries Steven. Fondé en 2019, il promeut le néerlandais en l’ancrant dans le contexte historique de la Flandre française.