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histoire

Anselm Adornes apporte un bout de Terre sainte à Bruges

Par An Faems, traduit par Pierre Lambert
11 septembre 2024 7 min. temps de lecture

Il était écrit dans le ciel que l’aventurier Anselm Adornes ne mourrait pas dans sa ville natale. Ce notable brugeois, qui avait voyagé en Pologne, à Gênes et à Jérusalem, fut lâchement assassiné en Écosse. Six cents ans après sa naissance, le domaine Adornes et sa chapelle de Jérusalem gardent intact le souvenir de cet homme illustre et de sa famille.

La vie d’Anselm Adornes (1424-1483) a tout du roman d’aventures. Négociant, chevalier de tournoi, diplomate et confident des princes, cet homme hors du commun connut aussi la prison, se rendit en pèlerinage en Terre sainte, entreprit une mission en Perse –sans pouvoir l’achever–, possédait des panneaux de Jan van Eyck et fut brutalement assassiné en Écosse.

Anselm est le descendant le plus illustre d’une importante famille originaire de Gênes. C’est probablement dans la première moitié du XIVe siècle que l’un de ses ancêtres s’installa à Bruges, où la famille connut une rapide ascension sociale. En l’espace de quelques générations, ses membres acquirent richesse et prestige, au point d’accéder à la noblesse.

Une grande part de leurs revenus provenait du commerce de l’alun, un minéral notamment utilisé pour rendre les tissus résistants à la lumière et à l’eau, et pour fixer les couleurs lors de la teinture. D’autre part, plusieurs membres se lièrent par alliance à d’autres familles brugeoises en vue et exercèrent des fonctions publiques.

L’ordre de la Licorne

Ce prestige social allait de pair avec un mode de vie aristocratique. Anselm fut un membre assidu de la guilde des archers de Saint-Sébastien; suivant les traces de son père et de son oncle, il adhéra aussi à la société de l’Ours blanc, qui organisait des joutes et des tournois. Il siégea à plusieurs reprises au conseil municipal et s’investit pleinement dans les finances de la ville et le commerce international.

Non content d’organiser l’importation d’alun, Anselm entretenait aussi des contacts directs avec des négociants écossais. En 1468, il dirigea avec succès une mission diplomatique en Écosse, où le Parlement avait rompu les relations commerciales avec la Flandre. Anselm parvint à faire annuler cette décision, succès qui lui valut d’être fait chevalier de l’ordre de la Licorne par le roi d’Écosse Jacques III (1451/52-1488).

Jusqu’à la fin de sa vie, Anselm entretint des relations étroites, voire amicales, avec Jacques III. Il était également proche de Charles le Téméraire (1433-1477), mais sa position sociale élevée le plaça dans une situation difficile à la mort du duc de Bourgogne en 1477. Au cours de la révolte qui éclata alors à Bruges, il fut incarcéré à deux reprises, torturé et accusé d’enrichissement personnel. Anselm dut payer une lourde amende. Après cette période mouvementée, il se concentra sur ses relations avec l’Écosse.

Une vénération pour Jérusalem

Plus encore que par leur style de vie aristocratique, les membres de la famille Adornes, et Anselm en particulier, se distinguaient par leur intérêt et leur dévotion envers Jérusalem: la ville où s’est déroulée la Passion du Christ, mais aussi la Jérusalem céleste dont parle l’Apocalypse. Cette vénération détermine même en grande partie l’identité de la famille, car elle se trouve immortalisée dans la chapelle de Jérusalem que les Adornes firent ériger dans leur domaine. Bien des siècles plus tard, l’édifice conserve son cachet d’authenticité. Le complexe dans lequel s’inscrit cette remarquable chapelle reste à ce jour la propriété privée des descendants de la famille Adornes.

De l’extérieur, la tour massive, couronnée d’un globe, attire particulièrement le regard. Cet édifice gothique possède une touche orientalisante, renforcée par les tourelles latérales dont le sommet est orné d’un soleil et d’une lune dorés. La chapelle s’inspire de l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem. L’intérieur fait également référence au lieu de la Passion du Christ. De la chapelle proprement dite partent deux escaliers qui mènent au haut-chœur ou chapelle supérieure, sous la tour octogonale. En dessous, attenant à la chapelle inférieure, se trouve une crypte qui donne accès à une petite salle où l’on ne peut pénétrer que tête baissée ou à genoux. Elle abrite une imitation du Saint-Sépulcre.

Le centre de la chapelle est occupé par le tombeau à gisants d’Anselm Adornes et de son épouse Margareta van der Banck (1427-1473), fabrique en pierre de Tournai. Seul le cœur d’Anselm a été inhumé à côté du corps de sa femme, laquelle lui avait donné seize enfants. En effet, Anselm est mort en Écosse, au cours d’une expédition militaire qu’il dirigeait. Lors d’une attaque du monastère où il séjournait, il a été poignardé dans le dos, ce qui a mis brutalement un terme à son existence mouvementée.

Tout près du tombeau d’Anselm et de Margareta se dresse un calvaire sculpté, avec trois grandes croix évoquant la mort du Christ. Le socle est orné de motifs associés à la Passion: crânes, lance, échelles, marteau et clous, sans oublier la tunique du Christ. La crypte adjacente contient un tombeau destiné aux pèlerins de Jérusalem.

La chapelle est un petit bout de Jérusalem à Bruges. Et ce, presque littéralement, puisque le calvaire contient des reliques de Terre sainte. Outre cette évocation du récit de la Passion, le lieu comporte de nombreuses références à la famille Adornes. Différents membres sont représentés sur les vitraux, leurs armoiries sont omniprésentes, ainsi que des symboles tels que la croix de Jérusalem et l’emblème familial: des nuages d’où sortent des rayons de soleil.

En plus du tombeau d’Anselm et de Margareta, la chapelle contient bon nombre de monuments funéraires de générations postérieures, ce qui confère à l’espace le caractère d’un mausolée familial. La chapelle a été érigée à l’initiative du père et de l’oncle d’Anselm, mais c’est Anselm qui en a achevé la construction, après en avoir semble-t-il posé la première pierre alors qu’il n’était encore qu’un enfant.

Le chemin du paradis

Sa vénération pour Jérusalem, Anselm ne l’a pas exprimée uniquement dans la pierre, mais aussi à travers un pèlerinage. Le 19 février 1470, il entreprend avec quelques autres Flamands un voyage qui durera plus d’un an. Son fils Jan rédigera une relation en latin de ce voyage après leur retour au pays.

Le groupe passe par Gênes, Pavie –où Jean, qui y faisait ses études, se joint à l’expédition– et Rome, où ils sont reçus en audience par le pape Paul II. Après Tunis, l’Égypte et le Sinaï avec le monastère Sainte-Catherine, ils atteignent la Palestine, où ils visitent les lieux saints. À Jérusalem, ils sont même autorisés à passer deux nuits et un jour dans l’église du Saint-Sépulcre. Le voyage de retour s’effectue par Damas, Beyrouth, Chypre, Rhodes et Brindisi.

«Il n’y a qu’un seul chemin qui mène au paradis, et il est aussi long depuis tous les coins du monde.» Cette phrase, extraite de la relation de voyage, caractérise bien les pèlerins: dévots, ils manifestent en même temps un grand intérêt pour les différents pays et cultures, dans un esprit profondément humaniste. Aucune nation ou peuple n’est meilleur que les autres: ceux qui ont sillonné le monde «savent que le cours des étoiles est à peu près le même ailleurs que chez eux. Partout, les gens sont gouvernés par le destin et les caprices de la fortune».

Outre une grande dévotion, ce voyage trahit un goût marqué pour l’aventure. Car le périple n’est pas sans danger. C’est pourquoi, quelques jours avant son départ, Anselm rédige un testament qui atteste entre autres de ses liens étroits avec l’ordre des Chartreux. Dans ce testament, il lègue à chacune de ses deux filles, qui ont pris le voile, un tableau de Jan van Eyck représentant saint François.

En 1473, Anselm reprend la route. Cette fois, il accompagne le franciscain Lodovico Severi da Bologna pour une mission auprès du shah de Perse, en vue de conclure une alliance contre les Turcs. Le voyage passe par la Pologne, mais Anselm n’ira pas plus loin; il sera de retour à Bruges peu de temps après. Quoi qu’il en soit, son goût des voyages ne fait aucun doute.

Le domaine Adornes perpétue le souvenir de cette figure fascinante. Il organise des expositions et permet aux visiteurs de goûter la tranquillité du jardin attenant au palais urbain. Le complexe inclut des maisons-Dieu fondées par Anselm pour loger douze veuves démunies, et surtout la merveilleuse chapelle de Jérusalem, témoin durable de la vie et des passions d’Anselm.

À l’occasion des 600 ans de la naissance d’Anselm Adornes, Jan Dumolyn et Noël Geirnaert ont publié un ouvrage intitulé Une Jérusalem céleste à Bruges. Le Domaine Adornes et la chapelle de Jérusalem aux éditions Hannibal Books.
Vous pouvez également visiter l’exposition Anselm Adornes. Gloire et infortunes d’un voyageur du XVe siècle au domaine Adornes jusqu’au 4 janvier 2025.

An-Faems

An Faems

spécialiste de culture médiévale

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