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histoire, pays-bas français compte rendu

Autrefois flamande, Lille l’est-elle encore?

Par Jan Yperman, traduit par Marieke Van Acker, Arthur Chimkovitch
21 mars 2025 5 min. temps de lecture

À quel point la capitale du nord de la France est-elle flamande? Pour l’historien Éric Vanneufville qui a récemment publié Lille, une histoire flamande, cette identité ne fait aucun doute: elle se lit aussi bien dans le passé de la ville que dans son héritage vivant.

Originaire de Lille, l’historien Éric Vanneufville (°1950) s’est, au cours des dernières décennies, abondamment intéressé à l’histoire de sa ville natale et, plus largement, à divers aspects liés à l’histoire et à la culture de la Flandre française.

Sa dernière publication ne se présente pas comme une traditionnelle histoire urbaine, mais plutôt comme un ensemble de récits et de citations à travers lesquels l’auteur cherche (à démontrer) le caractère flamand de Lille. Il s’agit d’un ouvrage captivant, thématique et richement illustré, faisant aussi office de guide pour celles et ceux qui s’intéressent à l’identité flamande de la capitale du nord de la France.

Dans un premier chapitre, Vanneufville démontre que Lille, située sur la Deûle, s’inscrit géologiquement dans l’espace flamand. Du point de vue linguistique, cependant, elle appartient à la «Flandre gallicante», la Flandre francophone, où la Lys a longtemps marqué la frontière linguistique entre les zones francophones et néerlandophones du comté de Flandre. Sur le plan économique, la ville se trouve au carrefour de la Flandre, de la France et du monde anglo-saxon. L’auteur cite Jean Callens: «La frontière sépare, l’histoire unit.»

Le deuxième chapitre met en lumière combien l’histoire de Lille est marquée par une administration flamande. Cela paraît naturel pour une ville d’importance –et même ville de résidence– ayant longtemps appartenu au comté de Flandre. Vanneufville analyse en détail le rôle des différents comtes flamands, des ducs de Bourgogne, puis de l’empereur Charles Quint et de son fils Philippe II, notamment en ce qui concerne la fondation d’institutions et d’édifices. Même après la conquête de Lille par Louis XIV, la ville continue de jouer un rôle de premier plan.

Dans le chapitre suivant, l’accent est mis sur Lille en tant que carrefour commercial flamand. La Deûle, comme voie navigable importante et élément de connexion, traverse tout le livre.

Une section vaste et particulièrement intéressante aborde les réalisations architecturales. Dans le titre de ce chapitre (et parfois dans le texte), Lille est considérée comme la capitale de la Flandre. Le terme «Flandre française» serait bien évidemment plus approprié ici.

Vanneufville ne se limite pas aux bâtiments datant de l’époque où Lille était une ville flamande; il élargit le sujet et traite également d’édifices français (classiques et triomphalistes), comme la Grande Garde sur la Grand-Place et la Porte de Paris, située dans l’actuelle rue Pierre-Mauroy.

Par moments, l’auteur pousse peut-être un peu loin sa recherche de l’identité flamande de Lille. Ainsi, l’architecture gothique de l’église Saint-Maurice, et a fortiori le style néogothique de la cathédrale Notre-Dame de la Treille, ne peuvent être considérés comme spécifiquement flamands. À ce compte-là, il faudrait inclure toutes les cathédrales gothiques françaises dans le patrimoine flamand!

Le chapitre consacré à l’empreinte artistique flamande ne prête à aucune contestation. Dans les grands musées, tels que le Palais des Beaux-Arts et l’Hospice Comtesse, mais aussi au sein de nombreuses églises et chapelles, les œuvres de maîtres flamands sont légion: peintures, tapisseries, sculptures sur bois et vitraux. La présence de Jan van Eyck est particulièrement remarquable à cet égard, puisqu’il a résidé pendant trois ans à Lille sous le patronage du duc de Bourgogne, Philippe le Bon.

La section consacrée à l’âme flamande de la ville foisonne d’informations intéressantes, bien qu’elle conserve un caractère très anecdotique. Intitulée de manière quelque peu intrigante «Pic et Tack», elle aborde une question essentielle: a-t-on réellement parlé un dialecte flamand (germanique) à Lille? Dans les villages environnants, situés le long de la Deûle, il existe en effet des traces d’une langue d’origine germanique. Cependant, la progression de la frontière linguistique vers le nord au fil des siècles demeure un sujet de débat.

L’immigration massive de Flamands (que l’auteur désigne ici, de façon surprenante, par le terme de «Belges») à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, a eu des répercussions profondes. Les causes de ce mouvement migratoire sont bien connues, tout comme ses conséquences: dans la région lilloise, la part des immigrés est passée d’un quart à près de la moitié de la population locale. Il est frappant de noter qu’en 1873, les autorités locales s’inquiétaient d’un autre phénomène: les femmes «flamandes» donnaient naissance à deux fois plus d’enfants que les Françaises! Diverses mesures ont alors permis de réduire fortement l’afflux migratoire, favorisant l’émergence du travail transfrontalier. On trouve encore aujourd’hui dans le langage (populaire) des mots et expressions aux accents flamands, témoins intéressants de cette influence.

Le titre Lille, une histoire flamande est bien choisi et reflète le contenu. Eric Vanneufville est un fin connaisseur, tant du passé que du présent de la ville. Lille a partagé pendant des siècles l’histoire du comté de Flandre. Encore aujourd’hui, de nombreuses traces de ce passé affleurent dans la ville. Mais peut-on encore considérer Lille comme une ville flamande? Nous en doutons.

L’auteur déplore, à juste titre, que la municipalité et l’office du tourisme ne prêtent aucune attention à ce passé commun. Les habitants, par contre, continuent de chérir le lion flamand. Le sentiment flamand –ou cette quête d’une identité propre– se manifeste même de plus en plus, que ce soit par des drapeaux à l’effigie du lion lors des matchs de l’équipe de football locale, ou par de petits lions apposés sur les enseignes et les voitures.

Dans cette optique, il est important à nos yeux que les Lillois et les Nordistes en général restent vigilants. En soi, ces signes d’attachement sont bien sûr sans danger. Mais il importe de veiller à ce que les partis flamands d’extrême droite ne récupèrent pas ce phénomène, entraînant les habitants à leur insu dans une idéologie qui leur est étrangère et qui n’a plus grand-chose à voir avec leurs sentiments identitaires ou leurs racines flamandes.

Eric Vanneufville, Lille, une histoire flamande, éditions Yoran Embanner, 2024.

Jan Yperman

historien, il est fasciné par la région frontalière. Aux éditions Davidsfonds, il a publié des guides sur Lille, la côte belge et le Westhoek et la Flandre française.

Commentaires

  • Paul Coche

    Il semble que Monsieur Jan Yperman, historien, est fasciné par la région frontalière. Ainsi, il aurait publié des guides sur Lille, la côte belge et le Westhoek et la Flandre française. Je l’invite à lire « La frontière du Nord, de la mer à la Meuse 843 – 1945 « , de Marc Blancpain, chez Perrin. Marc Blancpain écrit à juste titre que  » Fruit d’une longue et tragique histoire la frontière septentrionale de la France n’a été déterminée ni par le terrain, ni par les moeurs des populations, ni par les langues; elle n’est que l’expression d’un équilibre Européenne établi au 19e siècle au terme de conflits qui, pendant mille ans, on ensanglanté l’Europe. »
    Si des mouvements politiques pan-néerlandais revanchards cherchent à déstabiliser les Hauts de France qu’ils s’imprégnent d’abord du Traité de Courtrai, 1820, ce traité a, en effet, fixé le tracé de la frontière entre le Royaume de France  et le Royaume uni des Pays-Bas  jusqu’au niveau des rues et des ruelles, des parcelles, des chemins et des ruisseaux.
    Pour qui connaît la mentalité des Hollandais, ils n’ont rien laissé au hasard. Quant au Royaume de France, cinq ans après la défaite de 1815, il se tenait coi. Dès lors, la partie du « West Hoek » français ou Flandre flamingante a bien été considéré, par les autorités néerlandaises, comme partie intégrante de l’Etat français. Il ne s’agit donc pas d’un territoire arraché à Mère Flandre par les horribles Français ! Pour le reste, Lille fait bien partie de la Flandre romane, wallonne, gallicane et française. Le picard, élément de l’ensemble dialectal désigné comme langue d’oïl, se parle dans les Hauts de France et en Hainaut ou Wallonie picarde. Pour l’Histoire les actuels Hauts de France, l’ancien Comté de Flandre et l’ancien Comté de Hainaut-Cambrésis formèrent jadis « un ensemble politique familial », par mariage et cousinage. Puis vinrent « les perturbateurs » bourguignons. Les profiteurs Habsbourgeois suivirent jusqu’en 1794 (bataille de Fleurus, Jourdan). 
    Tout est dit. Le Vlaams Belang et le Vlaams Volks Beweging feraient mieux de renouer les Pays-Bas méridionaux (la Région Flandre + Bruxelles) aux Pays-Bas septentrionaux. 

  • Karel Appelmans

    Waarom wordt hier in hemelnaam het Vlaams Belang er bij gesleurd ? Dat doet afbreuk aan het mooie verslag dat ik hier kon vinden. Wanneer ik dan lees dat Jan Yperman interesse heeft voor  » La côte belge  » begrijp ik beter het verhaal ! Nederlandse groeten uit Brayduinen.

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