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société

L’éclosion des biotechnologies en Belgique

Par Geerdt Magiels, traduit par Ludovic Pierard
22 août 2019 10 min. temps de lecture

Dans un proche avenir, la biotechnologie sera cruciale pour assurer la qualité de l’alimentation et de la sécurité d’approvisionnement de la population mondiale. La Belgique est un des leaders mondiaux en biotechnologie.

Début du XVIIe
siècle. Un homme originaire de Neder-Heembeek (dans l’actuel
Brabant flamand) plante une bouture de saule dans un pot. Une simple
expérience pour Jan Baptist Van Helmont qui, en réalité, constitue
une étape importante sur le chemin scientifique qui mènera à la
biotechnologie. Il s’interroge sur les plantes. De quoi sont-elles
faites? Comment se développent-elles? Où puisent-elles leurs
éléments? Pour répondre à ces questions, il pèse la bouture et
la terre contenue dans le pot, ainsi que toute l’eau qu’il y
déverse. Cinq ans plus tard, il répète l’opération avec le
saule qu’il a obtenu. Le petit plant de 5 livres s’est
transformé en un arbrisseau de 169 livres. Jan Baptist Van
Helmont en conclut que le bois, l’écorce et les racines sont
constitués d’eau transmutée. Cette hypothèse sera toutefois
corrigée plus tard, car les processus biochimiques de la vie lui
étaient encore inconnus.

1779. Un autre
médecin brabançon franchit une nouvelle étape conceptuelle dans la
biochimie. Jan IngenHousz réalise une série d’expériences
éclairantes qui lui permettent de démontrer que les parties vertes
d’une plante sont le théâtre d’un processus unique. Bien qu’il
ne connaisse pas la molécule de la chlorophylle à l’origine de ce
phénomène, il décrit la «photosynthèse», le mécanisme
biochimique le plus important sur terre. Les plantes captent
l’énergie de la lumière du soleil pour fabriquer du sucre en
transformant le carbone du CO2 de l’atmosphère et
l’hydrogène contenu dans l’eau. Ces chaînes carbonées forment
les fondements des cellules et des fibres des tiges, des fleurs et
des graines. Lors de la photosynthèse, les plantes rejettent
également un déchet, l’oxygène, que les animaux et les humains
respirent pour brûler les sucres et ainsi se fournir en énergie
pour bouger, manger ou penser. Puis le CO2 qu’ils
expirent sous forme de déchet sert de base à un nouveau tour de
photosynthèse. Par ses expériences, Jan IngenHousz démontre que
tout est lié. La vie est (bio)chimie.

Bière et
biotechnologie

Le brassage est un
archétype de biochimie appliquée, permettant de fabriquer une
boisson alcoolisée à partir d’eau, de houblon, de ferment
(levure) et d’orge, plus sûre que l’eau polluée des puits, des
ruisseaux, des mares ou des fleuves. Le fait que la levure se compose
de cellules capables de produire de l’alcool était inconnu jusqu’à
ce que Pasteur et Koch démontrent l’existence de micro-organismes.

Certains semblent
provoquer des maladies, tandis que d’autres sont essentiels à la
fermentation de la bière, du vin, du pain ou du fromage. La nouvelle
science révèle alors qu’une cellule est une sorte de petite usine
dont les processus biochimiques peuvent être dirigés ou gérés à
des fins industrielles.

La Flandre dispose
à l’époque d’une longue tradition en matière de brassage et,
au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, Gand
abrite une école de brasseurs réputée, une haute école qui
entretient de bons contacts avec l’université. Il règne une
culture d’ouverture à la recherche internationale et aux
développements, comme les méthodes et les concepts énoncés par le
laboratoire de biochimie de Carlsberg, à Copenhague. À Gand, ces
connaissances sont rehaussées par l’intérêt pour la génétique,
qui remonte à Julius MacLeod, un Ostendais d’origine écossaise
qui avait entamé des recherches sur l’hérédité des plantes à
la fin du XIXe siècle. Dans le jardin botanique gantois,
le botaniste viennois Erich von Tschermak réalise au printemps 1898
des essais d’amélioration génétique sur des pois, au cours
desquels il redécouvre les théories de Gregor Mendel concernant les
croisements de caractéristiques et leur transmission génétique.
Combinées aux théories pionnières en matière de structure et de
fonction de l’ADN énoncées dans la première moitié du XXe
siècle, elles constituent la quintessence de la biotechnologie
d’aujourd’hui.

Dans les années
1960, trois trentenaires curieux et audacieux se rencontrent à
l’université de Gand. Walter Fiers (vient de décéder), Jozef Schell (décédé en 2003) et Marc Van Montagu sont inspirés par ces nouveaux
développements. Fiers met sur pied le laboratoire de biologie
moléculaire. Il étudie les bactériophages, des virus qui infectent
les bactéries, dont il est le premier à décoder un gène et même,
plus tard, le génome complet. Jozef Schell et Marc Van Montagu se
penchent à la fin des années 1970 sur l’Agrobacterium
tumefaciens
, une bactérie présente dans le sol, qui infecte les
plantes et provoque des «galles du collet», une croissance
anarchique de type tumoral des cellules. Il apparaît que cette
bactérie transmet son propre matériel génétique à la plante et
l’intègre dans son ADN.

Ces échanges
interbactériens sont réalisés à l’aide de plasmides, de petits
morceaux circulaires d’ADN bactérien dissociés. Jozef Schell et
Marc Van Montagu sont les premiers à démontrer que ce mécanisme
est également présent chez des organismes pluricellulaires et que
cette plasmide Ti (pour tumor inducing) pousse les cellules où
elle intègre son ADN non seulement à procéder à une division
cellulaire incontrôlée, mais aussi à produire des substances
permettant à une bactérie de s’alimenter. On découvre que ces
modifications génétiques sont un processus naturel vieux de
plusieurs millions d’années, au cours duquel des micro-organismes
créent une niche dans un autre organisme pour s’y installer. Les
bactéries vivant en symbiose sur les racines de certaines plantes
utilisent, à leurs propres fins, jusqu’à un quart de ce que la
plante produit par l’entremise de la photosynthèse.

Une terre
propice

Grâce au travail
des pionniers gantois en biotechnologie, la modification génétique
des plantes était à portée de main. En principe, on pouvait
introduire dans la plante un fragment d’ADN codant pour une
caractéristique spécifique, comme une résistance aux insectes ou
aux maladies, contre la sécheresse, une lumière vive ou la chaleur,
le sel, l’ozone, le gel ou l’humidité. En janvier 1983, les
scientifiques gantois présentent le premier plant de tabac
génétiquement modifié, rendu résistant aux chenilles grâce aux
gènes insecticides de la bactérie Bacillus thuringiensis.

Jusqu’à ce jour,
la méthode dépendante de l’Agrobacterium reste un moyen
efficace et fréquemment utilisé pour modifier génétiquement des
plantes. L’université de Gand peut être considérée, à juste
titre, comme le berceau de la biotechnologie végétale
contemporaine.

Jozef Schell et
Marc Van Montagu ont semé une petite graine d’innovation
biologique et génétique qui, au fil des ans, s’est développée
en Flandre et en Belgique en un réseau de biotechnologie sans égal
dans le monde. Les travaux du département gantois de génétique des
plantes ne furent toutefois qu’un des nombreux lieux accueillant
des recherches biotechnologiques dans le nord du pays. Les
laboratoires et centres de recherche universitaires de Gand,
Bruxelles, Louvain et Anvers étaient en concurrence pour obtenir des
moyens de fonctionnement. Avec les subsides de l’époque,
impossible de faire la différence dans les sciences de la vie. La
dotation publique octroyée à l’ensemble des centres génétiques
flamands était inférieure au subside accordé à une petite
compagnie de théâtre.

Désiré Collen,
professeur à Louvain, décide donc de ne pas attendre plus longtemps
une reconnaissance ou un soutien des autorités et de collaborer avec
Genentech, une société californienne pionnière dans les
biotechnologies, pour transformer sa découverte, une protéine
naturelle qui dissout les caillots de sang (un activateur
plasminogène tissulaire), en un des premiers médicaments
biotechnologiques.

Sur ces entrefaites,
la société Plant Genetic Systems est fondée pour créer des
plantes agroéconomiques basées sur les connaissances de Jozef
Schell et Marc Van Montagu. Innogenetics, pour sa part, est
une des premières entreprises de biotechnologie flamandes à
développer des solutions diagnostiques et thérapeutiques pour des
maladies importantes.

Le monde de la
recherche commence à inonder les politiques de chiffres et
d’arguments pour qu’ils soutiennent structurellement la recherche
biotechnologique flamande et sa renommée, ce qui conduit en avril
1995 à la fondation du Vlaams interuniversitair Instituut voor
Biotechnologie
(VIB – Institut interuniversitaire flamand pour la
biotechnologie). La Flandre va investir chaque année un milliard de
francs belges pour permettre à la biotechnologie flamande d’exceller
dans la recherche et traduire ces efforts en valeur sociale et
économique.

Le VIB deviendra un institut composé de quatre départements centraux, eux-mêmes constitués de groupes de recherche des universités de Louvain, de Gand, de Bruxelles et d’Anvers. Au sein de cet institut décloisonné, les groupes de recherche collaborent au départ de leurs campus universitaires respectifs. Grâce à ce lien de coopération unique, le VIB a pu se développer pour acquérir une renommée mondiale.

Il n’a pas
seulement changé le climat pour les entreprises biotech en Flandre,
c’est également grâce à lui que de nombreux chercheurs éminents
sont restés en Belgique. La recherche y rime avec science de haut
niveau, portée par trente années d’efforts et d’investissements
de l’industrie et des autorités.

Un biotope
unique

La Belgique est
devenue un des leaders mondiaux en matière de biotechnologie, avec
plus de trois cents entreprises biotechnologiques et environ 30 000
collaborateurs. Huit entreprises biotech sur dix sont actives dans le
secteur des soins de santé. Le reste travaille dans l’industrie
biologique et l’agriculture. Ainsi, une betterave sucrière sur
trois cultivée dans le monde provient de graines produites par les
laboratoires SESVanderHave de Tirlemont (Brabant flamand).
Chaque année, rien qu’en Flandre, dix à quinze nouvelles start-ups actives dans la biotechnologie voient le jour. Nulle part ailleurs les connaissances et la recherche, le développement et la production ne sont si proches, ni si substantiels. Tous ces facteurs se nourrissent et se renforcent mutuellement dans un écosystème d’expertise, de sciences et de technologie.

La présence historique
de nombreuses grandes sociétés pharmaceutiques crée une synergie
supplémentaire et une dynamique permanente. Un grand nombre de ces
entreprises belges et multinationales disposent en outre de leur
propre fonds de capital-risque leur permettant de soutenir les futurs
talents. De même, les premiers pionniers biotech tels que Désiré
Collen sont des investisseurs avisés dans ce secteur.

Dans tous ces
développements, la recherche joue un rôle essentiel. Une dizaine
d’universités, et encore bien davantage de hautes écoles, se
côtoient dans un rayon de moins de 200 kilomètres. Chacune a ses
propres spécialités, avec une technologie de pointe correspondante
et une création active de spin-offs, qui se multiplient. Source
d’inspiration, cette réussite explique pourquoi les entreprises de
biotechnologie belges représentent près d’un tiers de la valeur
boursière du marché européen total de la biotechnologie. La
Belgique est devenue une terre propice aux idées en la matière, où
les innovateurs peuvent créer sans devoir parcourir des kilomètres
pour trouver des fonds.

L’importance de
ce secteur est évidente. Dans les prochaines décennies, la
biotechnologie sera cruciale pour assurer la qualité de
l’alimentation et la sécurité d’approvisionnement de la
population mondiale, en croissance constante, pour subvenir aux
besoins en énergie toujours plus importants et pour trouver une
réponse à la question des matières premières industrielles
renouvelables. Dans l’esprit de Jan IngenHousz, nous apprendrons à
utiliser directement le CO2 présent dans l’atmosphère
comme carburant ou matière première. C’est la seule façon de
permettre une croissance durable dans une «économie bio». Une
petite bouture de saule plantée dans un pot il y a plusieurs siècles
s’est transformée en un arbre florissant, qui produit sans cesse
de nouvelles pousses de recherche fondamentale et appliquée dans les
sciences de la vie.

Voir
KENNETH BERTRAMS & GEERDT MAGIELS, Hommes
et Molécules. 100 ans de chimie et de pharmacie en Belgique
,
éditions Mardaga, Ixelles (Bruxelles), 2019.

Geerdt-Magiels

Geerdt Magiels

Biologiste - philosophe - auteur

Photo © Geertje De Waegeneer

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