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histoire, pays-bas français

Il y a 80 ans, les Alliés épaulés par la Résistance libéraient le Nord-Pas-de-Calais

8 novembre 2024 10 min. temps de lecture

Le 1ᵉʳ septembre 1944, un peu moins de trois mois après le débarquement de Normandie, commence la libération du Nord-Pas-de-Calais. Aux côtés des troupes alliées, la Résistance a joué un rôle non négligeable dans le retrait des forces allemandes.

Après quatre années d’une occupation particulièrement lourde et meurtrière, marquée en outre par la menace d’un démantèlement géographique et une annexion à un autre État, la libération est un événement attendu par la population du nord de la France. Cette attente est empreinte d’enthousiasme mais également d’une grande inquiétude: celle du coût humain à payer. Depuis l’automne 1943, la perspective d’un débarquement allié occupe les esprits et la perspective que celui-ci se déroule sur les côtes du Pas-de-Calais, avec tous les risques humains que cela implique, se confirme à l’aune des opérations militaires.

En effet, les deux départements nordistes sont la cible privilégiée des bombardements alliés. Plus de la moitié du tonnage total de bombes déversé sur la France avant le débarquement de Normandie du 6 juin 1944, frappe les villes et les sites stratégiques du Nord-Pas-de-Calais, causant la mort et les destructions. Pour les Alliés, il s’agit à la fois de paralyser le dispositif allemand, mais surtout de contribuer à convaincre Hitler que le débarquement aura bien lieu dans ce secteur.

Dès septembre 1943, avec le lancement de l’opération Crossbow (arbalète) les attaques ciblent notamment les nombreux sites de lancement des bombes volantes V1 en construction dans le secteur. Les villes et les nœuds ferroviaires sont également régulièrement frappés. Dans la nuit du 9 au 10 avril 1944, le bombardement de la ville de Lille cause la mort de 456 personnes. Ces opérations n’ont qu’un seul but: préparer le débarquement et les combats de la Libération.

Pourtant, comme le confirment les rapports du préfet régional Fernand Carles, malgré la mort de milliers de civils et malgré la propagande qui dénonce ces «attaques terroristes», la population conserve sa confiance dans la victoire alliée sans exprimer un quelconque sentiment de haine. L’annonce du débarquement en Normandie, intervenu le 6 juin à quelques centaines de kilomètres, entraine une sorte de soulagement mais ne marque pas la fin des bombardements qui continuent à se multiplier pour empêcher le transfert de renforts vers la tête de pont alliée. Les attaques aériennes provoquent une véritable paralysie de la région en ralentissant considérablement les transports et entrainent l’isolement de la population. Le 15 juin, 200 habitants de Boulogne-sur-Mer sont tués et 150, le 22 juin, à Lille. L’été sera long pour les Nordistes mais la situation n’atteint pas leur enthousiasme à la perspective d’une libération tant attendue.

Résistance et représailles en attendant l’arrivée des Alliés

Plusieurs semaines vont encore s’écouler avant que les populations ne puissent enfin voir les premiers soldats libérateurs. Dans ce cadre, l’attitude de la résistance régionale est divisée. Décimée par la répression menée par les services policiers nazis, la résistance non communiste, en particulier les grands mouvements régionaux comme la Voix du Nord et l’Organisation civile et militaire (OCM), prônent une attitude plus attentiste marquée uniquement par des opérations de guérillas et de sabotage en attendant l’arrivée des Alliés.

La puissance allemande est telle qu’elle interdit toute confrontation directe et les événements viennent rapidement le confirmer. En effet, répondant à une autre stratégie, la résistance communiste et les Francs-tireurs et partisans français (FTPF) privilégient une levée en masse. Ainsi, quelques jours après l’annonce du débarquement allié en Normandie, un mot d’ordre diffusé plus particulièrement dans le bassin minier déclenche la mobilisation des unités de FTPF. Armés de manière disparate, de petits groupes constitués de jeunes hommes prennent la route au grand jour pour rejoindre le département des Ardennes dans la perspective de constituer un maquis.

Alertés, les différents services allemands établissent des barrages et arrêtent plusieurs dizaines de FTPF. Parmi eux, les membres du groupe de Billy-Montigny sont arrêtés, le 9 juin, vers 21 heures, au café L’Espérance à Dury (Pas-de-Calais). Déférés au tribunal militaire de l’OFK 670 annexe d’Arras, 44 de ces hommes sont condamnés à mort et fusillés à la citadelle d’Arras alors que 130 autres sont déportés Nacht und Nebel en juillet 1944 vers les camps de la mort nazis.

Jusqu’aux dernières heures de l’Occupation, l’administration militaire allemande de Lille ne relâche pas la pression sur les organisations de résistance et toutes les formes d’opposition. Alors que les mesures de représailles se multiplient aux cours de l’été, un ultime convoi de déportation est formé le 1er septembre 1944 à quelques heures de l’arrivée des Alliées. Formé en gare de Tourcoing, il emporte près de 900 prisonniers politiques méthodiquement sélectionnés pour rejoindre les camps de Sachsenhausen et de Buchenwald. Le «Train de Loos» constitue ainsi le dernier grand drame de l’Occupation du Nord de la France. Moins d’un tiers des déportés reviendra en 1945 après la libération des camps de la mort.

95% du territoire libéré en quelques jours

De manière concomitante avec le départ de ce convoi de déportation, les opérations terrestres de libération du territoire commencent véritablement pour le Nord et le Pas-de-Calais. Après la chute du front allemand en Normandie, son encerclement dans la poche de Falaise-Chambois à la fin août et la prise de Paris le 25, la traversée de la Seine conduit à une accélération de la poussée vers l’est. Opérée en moins de cinq jours, la conquête de la quasi-intégralité des départements du Nord et du Pas-de-Calais par les troupes alliées donne lieu à une libération éclair. Dès le 1ᵉʳ septembre, les britanniques libèrent Arras et poussent jusqu’à Lille le 3 avant de rejoindre Bruxelles, le 4. Les Américains, quant à eux, s’emparent de Cambrai et de Valenciennes le 2 septembre pour ensuite continuer jusqu’à Mons.

À l’ouest, la progression est un peu plus difficile en raison de la concentration plus importante des troupes allemandes et de la nature des fortifications. Les Polonais de la 1ʳᵉ division blindée du général Maczek, partis d’Abbeville le 31 août, libèrent Saint-Omer le 5 septembre avant de se diriger vers Ypres. Chargés de libérer la côte, les Canadiens sont confrontés aux villes citadelles érigées en forteresses (Festung). Après une minutieuse préparation, l’attaque de la ville de Boulogne-sur-Mer démarre seulement le 17 septembre et aboutit le 22. Plusieurs bombardements et une puissante offensive terrestre sont nécessaires pour obliger la garnison de 7 500 soldats de la Wehrmacht défendant Calais à capituler le 30 septembre.

En fait, au soir du 5 septembre 1944, près de 95% du territoire nordiste est libéré en même temps qu’une grande partie de la Belgique. Seuls les ports, éléments particulièrement stratégiques, seront âprement défendus sur ordre de Hitler. Avec la prise du port d’Anvers par les Alliés et l’échec de l’opération Market Garden aux Pays-Bas, l’intérêt pour la prise de celui de Dunkerque décline et une poche de résistance persiste jusqu’à la fin de la guerre. Ce n’est que le 9 mai 1945 que l’amiral Frisius, un fanatique dévoué au Führer, consent à signer un acte de reddition.

La résistance facilite la progression alliée

Au final, la progression alliée a rencontré peu de résistance au cours de ces opérations. Des unités en retraite, tentant de rejoindre le Reich à tout prix, notamment des membres de divisions SS extraites de Normandie ont livré des combats sporadiques. Ces actions ont été régulièrement marquées par des exactions, notamment contre les civils, rappelant à la population les crimes commis par le même envahisseur en 1914 et en 1940.

Ainsi, le 4 septembre à Lorgies près de Béthune, après la mort d’un officier allemand tué la veille par les Forces françaises de l’intérieur (FFI, qui regroupent depuis le 1ᵉʳ juin 1944 toutes les organisations de résistance), des soldats allemands stationnés au bois Fréteur interviennent vers 20 heures et fouillent toutes les maisons du village. Chez un des habitants, membre de la Résistance, ils trouvent des cartes d’appartenance au mouvement Voix du Nord ce qui provoque la fureur des militaires. Ils se mettent alors en quête de tous les hommes valides de la commune. Un habitant est abattu en tentant de fuir alors que 13 autres sont emmenés au Bois Fréteur et exécutés. Leurs corps ne furent retrouvés que 48 heures plus tard.

Les Allemands ne s’encombrent pas de prisonniers et n’hésitent pas à fusiller sur place les FFI faits prisonniers au combat. C’est le cas, le 3 septembre, dans la matinée, alors qu’un nid de résistance allemand occupe le nord-est de la commune de Préseau, près de Valenciennes. Un groupe de FFI tente d’encercler l’ennemi mais ne peut le réduire. Les corps de plusieurs résistants blessés et faits prisonniers lors de l’accrochage seront retrouvés le lendemain après avoir été achevés sauvagement.

En somme, le rôle et l’action de la Résistance ont été spécifiquement importants et utiles pour épauler et guider les troupes alliées. Multipliant les embuscades, les résistants ont participé à harceler les soldats allemands en retraite, contribuant à la reddition de plusieurs milliers d’entre eux et évitant ainsi des combats meurtriers à leurs libérateurs. Dans le bassin minier en particulier, les groupes de FTPF s’illustrent et font près de 800 prisonniers dans le secteur de Béthune.

Par ces différentes actions, la Résistance a ainsi facilité la progression des Alliés. Le prix payé confirme l’importance de l’action résistante dans ces combats: on estime que plus de 500 FFI ont été tués dans le Nord-Pas-de-Calais pendant les cinq jours de la Libération. Le départ de l’occupant ouvre enfin l’accès aux différents lieux de supplices utilisés par les nazis pendant les quatre années de terreur.

Rapidement commence le travail macabre d’exhumation des corps enterrés dans des fosses communes dans les douves des citadelles d’Arras, de Lille, à Marquette et aux forts de Bondues, de Curgies et de Seclin. Pour accentuer l’effet de terreur, les Allemands ne restituaient pas les corps aux familles. Il faut alors tenter de retrouver l’identité des victimes et c’est alors qu’on découvre les affreuses tortures qu’ils ont subies avant de mourir. À la citadelle d’Arras, on relève 194 corps, notamment quelques grandes figures de la résistance nationale comme le philosophe et mathématicien Jean Cavaillès, fondateur du grand réseau de renseignement Cohors-Asturies.

 

Le prix de la liberté

Malgré tout, la Libération est une fête pour une grande-partie de la population. L’arrivée des soldats américains, britanniques, canadiens et polonais provoque dans chaque village des scènes de liesse et d’effusion de joie. On sort, on érige ou on brandit les drapeaux préparés dans la clandestinité. Les femmes se parent de robes choisies dans les couleurs du drapeau tricolore ou étoilées. Les défilés spontanés se multiplient et rassemblent parfois des milliers de personnes. Les appareils photos (pour ceux qui avaient la chance d’en posséder un) immortalisent ces moments de communion nationale. Hommes, femmes et enfants posent aux côtés des soldats alliés qui ne sont pas avares de chewing-gums et chocolats.

Très souvent, la foule se rassemble de manière plus solennelle devant le monument aux morts pour rendre hommage aux disparus. Néanmoins, comme dans le reste de l’Hexagone, la fête est parfois entachée de scènes moins glorieuses. Le retour de la liberté et les difficultés du retour de l’autorité républicaine ouvrent la voie à certaines exactions comme des exécutions de prisonniers et de collaborateurs.

La vengeance frappe en outre les femmes soupçonnées de collaboration horizontale avec l’occupant. Rasées et promenées dans les rues, elles constituent des victimes expiatoires faciles dans cette période de trouble. En conséquence, les autorités nouvellement désignées pour représenter l’État s’appliquent à rapidement restaurer l’ordre.

Le préfet Fernand Carles est arrêté à Lille et interné alors que les anciens représentants du gouvernement collaborationniste de Vichy sont écartés et remplacés. À Lille, dès le 3 septembre 1944, sur ordre du général de Gaulle, Francis-Louis Closon, ancien second de Jean Moulin, prend ses fonctions en tant que nouveau commissaire de la République pour le Nord-Pas-de-Calais. Disposant de pouvoirs exceptionnels, il s’applique à la restauration de l’autorité et de la justice notamment en supprimant les milices patriotiques. Dès le 4 septembre, il favorise la reparution d’une presse libre principalement issue des grands mouvements de la Résistance, comme le journal La Voix du Nord.

À la fin du mois de septembre, lorsque le général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire de la République effectue son premier déplacement dans sa région natale, l’ordre républicain est rétabli. La guerre n’est pas encore finie et toute l’énergie est mobilisée pour la reconstruction et le redémarrage de l’économie. L’euphorie de la Libération laisse la place aux pénuries et aux difficultés de la vie, notamment aux restrictions qui perdureront jusqu’en 1949. Le prix de la liberté retrouvée.

Laurent Thiery

Dr. en Histoire, chargé de recherches à la Fondation de la Résistance

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