Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Fouiller pour ne pas oublier: l’archéologue Ivar Schute face aux traces de la Shoah
compte rendu
Littérature
Histoire

Fouiller pour ne pas oublier: l’archéologue Ivar Schute face aux traces de la Shoah

Ivar Schute met son métier au service de la mémoire. L’archéologue néerlandais œuvre dans un domaine particulier: les camps de concentration et les lieux d’extermination. Un travail colossal qui vise à raviver une tragédie ensevelie sous la terre et des êtres oubliés à jamais. Son livre À l’ombre d’un papillon de nuit. Un archéologue à la recherche de traces de la Shoah, nous éclaire sur les ténèbres de la Shoah, afin que le passé touche les générations futures.

Lorsqu’on évoque l’archéologie, on songe plutôt aux trésors égyptiens, mais cette discipline brasse l’ensemble de l’Histoire humaine. Y compris ses démons… Ivar Schute remue, littéralement, ciel et terre pour que les traces de la Shoah apparaissent dans toute leur ampleur. Son récit –tantôt intriguant tantôt glaçant– nous met d’emblée en garde avec cette phrase de Primo Levi: «C’est arrivé et cela peut nous arriver de nouveau.» Un historien déclare, sans vergogne, que «cela n’a pas disparu de notre mémoire collective, cela n’en a jamais fait partie.» Comment dès lors inverser la donne?

«Je ne suis ni historien, ni philosophe de la culture; je suis archéologue. J’écris néanmoins sur des faits historiques et je prends la liberté d’exprimer des réflexions philosophiques», relate Schute. Né en 1966, il est chargé de la gestion du patrimoine archéologique, la recherche dans les camps de concentration et les centres d’extermination nazis. «Ma relation avec les traces de la Shoah est presque physique, différente de la perspective historique habituelle.»

Ainsi, son métier consiste à explorer «les archives du sol». Nimbées de silence, elles s’avèrent très bavardes. Encore faut-il percevoir ces preuves du pire, de longs mois durant, sur les sites d’Amersfort, Vught, Westerbrok, Bergen-Belsen, Sobibor ou Treblinka. Sans parler des fosses communes, effacées par le temps et la volonté de masquer ces crimes. «Ce livre est celui de l’étonnement. Étonnement face au nombre de camps qui ont existé, face à ce qu’ils sont devenus après la guerre et face à ce qui subsiste, encore à ce jour, invisible aux yeux du plus grand nombre.» C’est pourquoi il est essentiel de déterrer des latrines ou des chambres à gaz ensevelies.

Certains pays de l’Est ont été le décor et les témoins du génocide. Ils regorgent de multiples lieux d’exécution ignorés, que la population actuelle préfère oublier. Mais les prémices du scénario se situent dans nos contrées. «Les traces de ce que nous appelons la Shoah sont là, abandonnées à leur sort, y compris aux Pays-Bas.» La plume d’Ivar nous y conduit minutieusement. «Les fouilles à Sobibor ou Westerbrok ont le pouvoir de rendre de nouveau visible ce qui a été oublié, réprimé ou non résolu, voire ce qui relève du tabou social.» Difficile d’assumer l’existence de tant de camps sur nos territoires.

Le travail de Schute est aussi animé par une volonté politique, puisqu’il combat les négationnistes

«L’archéologie peut ainsi se révéler une discipline intéressante pour digérer notre passé.» Saviez-vous que «plus de 34 000 Néerlandais trouvèrent la mort à Sobibor»? Parmi eux, Anne Frank et sa sœur Margot, mortes peu avant la libération du camp. Schute raconte avoir mené «des recherches archéologiques dans plusieurs camps aux Pays-Bas, en Allemagne et en Pologne. Pourtant, il manquait quelque chose qui est devenu ce livre.» À savoir dix ans d’expérience sur le terrain. Un travail guère anodin, d’où l’on ne sort point indemne, tant l’on tient soudainement la réalité humaine de la Shoah entre ses mains. «Les objets racontent l’histoire très personnelle de gens qui ont disparu. La découverte de dents et d’ossements nous fait une autre impression que lorsqu’on trouve un muret, parce que ces éléments font partie du corps humain.»

Cette incarnation implique une complication: respecter la Halacha (la loi et la tradition juive) et l’âme des défunts. «Nous nous trouvons là à un point où la religion l’emporte sur la science.» Aussi est-il nécessaire d’impliquer un rabbin pour les guider ou effectuer le Kaddish, la prière des morts. Les émotions affleurent, impossible de se blinder. «J’ai toujours répondu qu’on se cuirasse, qu’on vit dans une bulle. Et pourtant, cela ronge et entaille notre âme», avoue modestement Ivar.

Son travail est aussi animé par une volonté politique, puisqu’il combat les négationnistes: «Il y a donc une forme de justice dans le fait que les récits de ces existences détruites prennent aujourd’hui de plus en plus de sens.» D’après cet archéologue atypique, «la Shoah en elle-même constitue un récit tellement puissant», qu’elle devrait continuer à atteindre les gens. «Je suis convaincu que c’est vrai aussi pour les générations à venir.»

Ivar Schute, À l’ombre d’un papillon de nuit. Un archéologue à la recherche de traces de la Shoah, traduit du néerlandais par Kim Andringa, éditions Globe, 2023.
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