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Joëlle Dubois, l’art comme une consolation

1 octobre 2025 6 min. temps de lecture

Des couleurs vives et des corps féminins aux formes arrondies caractérisent le travail de la peintre et illustratrice Joëlle Dubois. Un univers en apparence pop, mais traversé par une grande profondeur émotionnelle.

Dans la longue salle d’exposition du centre d’art Be-Part à Courtrai se déploie un impressionnant corpus d’œuvres de la jeune artiste gantoise Joëlle Dubois (°1990). Des peintures, des dessins, dont certains sont rapportés en fresque sur les murs, des vitraux, des bronzes ainsi qu’une longue vidéo. Une première pour l’artiste qui n’avait encore jamais exploré ce medium.

Déjà reconnue pour ses peintures vibrantes et directes, influencées, nous dit-elle, par la bande dessinée (Astérix et Obélix, Gaston Lagaffe, Milo Manara, …), les dessins animés et les mangas, Joëlle Dubois fait le portrait d’une époque droguée à l’image, à la représentation de soi et au miroir du self que sont aujourd’hui les réseaux sociaux. Elle peint des portraits, des autoportraits, nous parle de féminité, de sexualité, du genre, de la diversité. L’artiste est résolument contemporaine dans ses sujets.

Joëlle Dubois a étudié l’illustration à l’école d’art Sint-Lucas de Gand, où elle a poursuivi avec un master en peinture, achevé en 2015. Depuis, elle peint, dessine, expose, mais travaille aussi régulièrement en tant qu’illustratrice avec différents collaborateurs commerciaux: Campari, le producteur de kombucha Yugen, mais aussi le parti politique écolo Groen … Sa créativité s’invite sur de nombreux supports, toujours avec une vivacité impressionnante: elle collabore à des projets de céramique, d’imprimés en série limitée, de bijoux. Le corps féminin est très présent, mis en scène dans des situations du quotidien ou exacerbé dans sa représentation.

Triptyque sur la disparition

L’exposition à Be-Part clôt un projet en trois volets, dont les deux premiers ont été montrés à la galerie Keteleer d’Anvers qui représente l’artiste depuis quelques années. Un triptyque qui s’appuie sur une longue épreuve de vie, celle de la maladie de sa mère, diagnostiquée Alzheimer, dont la santé et la mémoire se dégradent en quelques années seulement. La jeune artiste accompagne sa mère et, ce faisant, se sent engloutie dans cet évènement. «Comme si je disparaissais», dit-elle.

Lorsqu’elle commence à être présente auprès de sa maman malade, son rôle d’accompagnante l’occupe intensément, la bouleverse, la plonge dans l’épreuve intime de la perte, puis du deuil (sa mère est décédée en 2024). Son travail d’artiste s’intensifie et gagne en profondeur. Comment représenter cette mère qui n’est plus la mère qu’elle a connue enfant. Cette mère fragilisée, les rôles qui s’inversent, la fille devenant la mère de sa mère?

«Cette exposition est le dernier chapitre de mes trois expositions. La première tournait autour du diagnostic reçu et s’appelait “Forget me not”. La seconde, “Past away”, a été présentée au moment de la disparition de ma mère. Celle-ci, “Rekindling”, est comme un hommage, se veut une consolation», détaille l’artiste.

«Ma mère était en train de m’oublier et moi, j’étais en train d’oublier la mère qu’elle avait été pour moi quand j’étais enfant. J’ai pris soin de ma mère pendant neuf ans. Durant toutes ces années, vous voyez la personne disparaitre petit à petit. Quand vous êtes dans ce rôle, vous vous oubliez vous-même. Vous perdez, vous aussi, votre identité. Vous êtes engloutie. Je devais peindre cette histoire, je n’avais pas le choix. Des images pour soutenir mon processus de deuil, mais aussi pour me retrouver.»

Ainsi, aux cimaises sont accrochés de nombreux portraits et autoportraits, souvent monochromes mais aux couleurs vives: rose, mauve, bleu foncé. On y voit l’influence assumée de Frida Kahlo. Dubois raconte avoir vu une rétrospective de l’artiste mexicaine à Londres lorsqu’elle était adolescente et avoir ensuite reçu le catalogue qu’elle a beaucoup compulsé. On y voit aussi un lien avec la peinture de Botero, dans les formes rondes. Botero racontait qu’il peignait des personnages «gros» pour occuper tout l’espace de la toile. Pour l’artiste gantoise, il s’agit aussi de prendre une place, de faire s’exprimer ses personnages dans tous leurs potentiels, esthétique, corporel, sacré, langagier, sociologique, contemporain.

Chaque portrait respire d’une vie intense. Derrière la technique direct et pop à l’acrylique, se dévoile une intimité, une profondeur et une émotion intenses. Il y a aussi, très clairement, une notion de sacré qui émerge. Chaque œuvre comme une icône, chaque peinture comme un autel près duquel pleurer et trouver la consolation, peut-être.

Faire plus que peindre

«Le plus souvent, je peins de manière intuitive, et c’est seulement après que je découvre des significations émotionnelles profondes. Par exemple, pour la série de dessins et de dessins rapportés sur les murs, on voit beaucoup de racines ou de cordons ombilicaux. Ce sont les liens entre la mère et l’enfant, mais ce sont aussi les fils rouges de la mémoire. Les fils qui lient les filles aux mères, aux grands-mères et arrière-grands-mères. C’est un lien très fort, qui contient aussi l’ADN émotionnel d’une histoire familiale. J’ai voulu parler avec ma mère de secrets familiaux, du passé. Aujourd’hui, c’est scientifiquement prouvé que ces secrets familiaux laissent une trace dans les générations qui suivent. Je voulais rompre une chaîne de malédiction. Soulever le voile. Mais ça na pas été possible avec ma mère, parce quelle perdait la mémoire.»

«Je suis peintre. Mais pour cette exposition-ci, je voulais faire plus que peindre. J’ai donc réalisé des vitraux, des sculptures, une longue vidéo. Les vitraux sont des images fragmentées, qui ont du sens quand on en assemble les morceaux. Après les avoir achevés, je me suis souvenue qu’il y avait des vitraux sur certaines portes dans notre maison familiale et qu’il fallait faire attention à ne pas les briser. Quand on regarde au travers d’un vitrail, on a une image floue. Il y a donc un lien avec la mémoire de ma mère qui s’effaçait».

Au fil des mois et de la maladie de sa mère, Dubois filme des instants qui semblent anodins: sa maman mangeant un sandwich, essayant de boire ou de dire quelques choses. Elle se filme aussi, grattant la terre, s’immergeant dans l’eau, lisant un carnet de notes de sa mère, se tressant les cheveux, … des actions vues comme des rituels de recueillement, de deuil et de consolation. L’ensemble compose une vidéo de 25 minutes, absolument bouleversante.

«Mes parents m’ont soutenue dans mes études d’art. Pour eux, c’était essentiel de respecter mes choix. Enfant, j’avais un mur à la maison sur lequel je pouvais dessiner. L’art était très présent dans la famille et nous allions voir beaucoup d’expositions. Lors de l’ouverture de cette exposition-ci, mon père a été très ému. Les larmes de mon père ont été un hommage à mon travail. Comme mon travail est un hommage à ma mère.»

Joëlle Dubois a su transformer, par la grâce de sa créativité, le long processus de deuil en un processus de consolation.

L’exposition «Rekindling» de Joëlle Dubois est présentée à Be-Part à Courtrai jusqu’au 7 décembre.
Le site web de Joëlle Dubois

Muriel de Crayencour

journaliste culture et artiste. Elle a écrit pour L’Écho puis a fondé et dirigé le magazine Mu in the City pendant 10 ans.

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