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Le musée MORE réhabilite le réalisme

Par Edo Dijksterhuis, traduit par Alice Mevis
7 juin 2024 8 min. temps de lecture En mode musée

Le musée MORE apporte une véritable plus-value au paysage muséal néerlandais. Réparti sur deux villages dans la région de l’Achterhoek, il a non seulement amené de l’art dans un lieu artistiquement isolé, mais il s’est aussi spécialisé dans un mouvement longtemps dénigré: le réalisme. Si cela ne vous convainc pas de vous rendre en Gueldre, sachez que vous pourrez aussi y admirer la plus grande collection de Carel Willinks au monde.

Après la Seconde Guerre mondiale, le réalisme a perdu de son lustre. Il s’agissait du style favori des nazis, qui rejetaient les mouvements avant-gardistes, les qualifiant d’«art dégénéré». L’art officiel du Troisième Reich se proclamait fidèle à la réalité visible, qui était peinte sur toile ou sculptée dans la pierre de façon très traditionnelle. Après 1945, une telle conception de l’art n’était plus possible.

Même aux Pays-Bas, pourtant très versés dans la peinture, où les experts ne se lassent pas de vanter les mérites de la «maitrise supérieure» du rendu des toiles des œuvres du XVIIe siècle, les reproductions réalistes ont longtemps fait l’objet d’un manque de valorisation de la part des professionnels de musées. Lors d’expositions du peintre réaliste contemporain Henk Helmantel ou de l’hyperréaliste Tjaf Sparnaay, alors que le public s’émerveillait devant des natures mortes à la manière des maitres anciens ou devant des œufs au plat «plus vrais que nature», les critiques ont surtout fait usage de qualificatifs tels que «régressif» ou encore «fade». La plupart des musées ont donc aussi laissé le réalisme de côté. Jusqu’à il y a environ une vingtaine d’années.

Revalorisation par un ancien policier

Ce tournant dans la réévaluation du réalisme n’a pas été le fruit d’une révolution au sein des bastions institutionnels, mais a principalement été le fait d’une seule personne. Dirk Scheringa, ancien officier de police ayant fondé une banque dont l’activité est devenue lucrative, ne s’est pas uniquement fait connaitre en tant qu’amateur de sports. En plus d’être président du club de football AZ et sponsor d’une équipe de patinage de marathon, il était également un habitué des salons d’art.

Invariablement vêtu d’un costume bleu foncé sous lequel il portait des chaussettes en laine, il se présentait dans le milieu artistique de la même manière que dans le monde de la finance: comme un outsider qui assume de faire les choses différemment. Il a ainsi acheté l’art réaliste que d’autres méprisaient tant. Il a ensuite exposé sa collection constituée en relativement peu de temps, la DS Art Collection, dans une ancienne école du village de Spanbroek, en Hollande-Septentrionale, qu’il a rebaptisée musée Scheringa.

La construction d’un musée digne de son nom, agrémenté de colonnes néoclassiques d’inspiration speerienne, était déjà à moitié achevée lorsque la banque DSB de Scheringa a été frappée de plein fouet en 2009 par un scandale de malversations financières. L’entreprise a fait faillite et son propriétaire, afin de rembourser ses dettes, a dû vendre sa collection d’art. Celle-ci a rapidement trouvé acquéreur en la personne de Hans Melchers. Cet homme d’affaires d’Arnhem ayant fait fortune dans l’industrie chimique voyait en cette collection une superbe opportunité pour lancer son propre musée: MORE à Gorssel, en Gueldre.

Au moment d’engager un premier directeur, le choix s’est porté sur Ype Koopmans. Celui-ci avait déjà travaillé pendant 19 ans au musée d’Arnhem, connu pour sa collection d’art réaliste de l’entre-deux-guerres. Comme l’inauguration du musée était prévue aussitôt le nouveau bâtiment achevé, Koopmans a dû composer sa toute première exposition entièrement à partir de maquettes. Celle-ci s’intitulait Scherp kijken. Traditie en eigenheid in de collectie van Museum MORE (Un regard aiguisé. La collection du Musée MORE entre tradition et singularité).

Koopmans avait peu d’attentes et a même confié au magazine MuseumVisie qu’il s’estimerait satisfait si le nombre de visiteurs atteignait les cinquante mille la première année. Il y en a eu près du double, et ce malgré la position décentrée du musée, bien loin du public amateur d’art provenant traditionnellement des villes de la Randstad.

Grand complexe en pleine nature

La proximité d’Arnhem et de Zutphen, sans oublier le musée Kröller-Müller, aide cependant à compenser cet inconvénient. Le cadre à taille humaine est aussi considéré comme un atout par de nombreux visiteurs: agréablement épuré, pas trop agité. Si «le plus grand musée néerlandais de réalisme moderne», comme s’auto-proclame MORE aujourd’hui, ne se dresse pas comme un monstre parmi les fermes et les maisons de village, c’est grâce à l’architecte Hans van Heeswijk.

Celui qui est également responsable de la rénovation de la Mauritshuis à la Haye et de la nouvelle entrée du musée Van Gogh à Amsterdam a pris l’ancien hôtel de ville de Gorssel comme point de départ pour MORE. C’est d’ailleurs dans cet ancien bâtiment du début du XXe siècle que se trouve aujourd’hui le restaurant du musée. Celui-ci est actuellement géré par la chaine Loetje et propose donc une formule de restauration classique, à l’exception de la «MORE cup», conçue spécialement pour le musée.

Derrière la large façade, légèrement en saillie sur les côtés, mais sans dépasser la hauteur du toit, Van Heeswijk a érigé un grand complexe rectangulaire. L’utilisation de pierres naturelles de couleur claire ainsi que la présence de grands arbres feuillus aident à camoufler le volume assez massif du bâtiment. Les salles d’exposition sont réparties sur deux étages, et abritent tant des expositions temporaires qu’une présentation permanente de la collection.

Cette dernière comprend des œuvres de Pyke Koch, Dick Ket et Wim Schuhmacher, entre autres, mais aussi d’artistes contemporains comme Marlene Dumas, Erwin Olaf et Ruud van Empel. Avant que la DS Art Collection ne déménage à Gorssel, plusieurs chefs-d’œuvre de grands noms comme Fernando Botero, Duane Hanson, Lucian Freud et René Magritte ont été délibérément vendus aux enchères. Si cette décision peut être vue comme une perte, elle est aussi révélatrice d’une vision claire: lors de sa création, MORE a défini son domaine d’intérêt comme étant le «réalisme néerlandais à partir de 1900» et ces noms internationaux, aussi bons soient-ils, n’y trouvent pas leur place.

L’œuvre complète de Carel Willink

Avec ses 1300 œuvres, la collection permanente est de taille relativement modeste. Là où il manquait de pièces à présenter –surtout pour la décennie de 1950– le musée est peu à peu parvenu à étoffer sa collection via des achats et des prêts. Pour ces derniers, MORE dispose de suffisamment de «monnaie d’échange», principalement au château voisin de Ruurlo. Melchers a en effet acquis ce dernier pour en faire une annexe au musée, qui a ouvert ses portes en 2017. Il abrite aujourd’hui la plus grande collection d’œuvres de Carel Willink au monde. Melchers en comptait déjà 20 en sa possession en reprenant la DS Art Collection, et a par la suite élargi cette collection à 50 tableaux et plus d’une centaine d’œuvres sur papier. Une partie y est exposée de façon permanente, répartie sur 13 salles.

On y trouve un aperçu complet de l’œuvre néoréaliste produite par Willink, depuis une œuvre de jeunesse de 1918 jusqu’à un tableau de l’année précédant sa mort en 1982. Les amateurs de réalisme magique –Willink lui-même détestait ce terme et lui préférait la désignation «réalisme imaginaire»– y trouveront certainement leur bonheur. Parmi les différents tableaux, on peut admirer des paysages urbains voilés de nuages menaçants, des statues de style classique perdues sur des places désertes, des crânes et autres vanités –la constante parmi ces œuvres étant la combinaison d’une technique de pinceau parfaite et d’un fort sentiment d’aliénation. Et bien sûr, on y retrouve les femmes de la vie du peintre. Parmi celles-ci se distingue la flamboyante Mathilde de Doelder, icône de mode et troisième épouse de Willink. Elle aimait porter les créations extravagantes du designer Fong Leng, dont certaines pièces sont également exposées.

Selon Philip Dodd, fondateur de la World Private Museums Association, le musée MORE s’inscrit dans une tendance très actuelle. Il affirme que «le XXIe siècle est le siècle du musée privé ». Cela semble effectivement être le cas aux Pays-Bas; le musée Voorlinden à Wassenaar en est l’exemple par excellence. Mais même si Voorlinden, tout comme MORE, a eu le mérite d’introduire de l’art dans un lieu où l’offre culturelle était assez faible, le musée privé de Joop van Caldenborgh poursuit néanmoins des objectifs très similaires à ceux du Stedelijk Museum Amsterdam (musée municipal d’Amsterdam) ou du musée d’Art de La Haye. MORE, en revanche, propose quelque chose de neuf en termes de contenu. Bien qu’il existe depuis moins d’une décennie, on peut affirmer qu’il a contribué à la réhabilitation du réalisme.

À l’été 2021, Maite van Dijk a succédé à Koopmans, et la nouvelle directrice fait preuve d’encore plus d’ambition. Elle s’intéresse de plus près à l’art contemporain et souhaite également se distinguer à l’international. Ce qu’elle a par ailleurs récemment accompli grâce à l’exposition Naïef Realisme (Réalisme naïf) qui prenait pour modèle l’exposition Masters of Popular Painting (Maitres de la peinture populaire) organisée en 1938 par le musée d’Art Moderne de New York. Il s’agissait de la première exposition de réalistes naïfs aux Pays-Bas depuis 1964. Y étaient exposées des œuvres phares d’Henry Rousseau, John Kane, ainsi que du phénomène Grandma Moses, qui n’a commencé à peindre que vers l’âge de 70 ans et produit plus de mille cinq cents toiles en 30 ans. Mais il y avait aussi toute une série d’œuvres à découvrir d’artistes outsiders peu connus ou de peintres du dimanche qui, avec leur souci du détail presque maniaque, leur folle palette de couleurs ou leur perspective complètement décalée, ont créé des œuvres tout aussi, voire plus intéressantes.

Via ce type d’expositions, MORE repousse les limites du concept de réalisme, bien au-delà de l’image sobre et traditionnelle qui l’a longtemps caractérisé, mais surtout, au-delà des critères désuets du «bien fait» et du «plus vrai que nature».

www.museummore.nl
www.museummore-kasteelruurlo.nl
Edo Dijksterhuis

Edo Dijksterhuis

journaliste intéressé par les arts, le design, le cinéma et la littérature

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