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littérature, pays-bas français

L’Âne qui butine, une maison d’édition qui se joue des frontières

3 septembre 2021 7 min. temps de lecture

Dans une ville belge située non loin de la frontière française, se cache, dans une petite rue longeant le chemin de fer, l’antre haut en couleur d’un Âne qui butine des mots, du papier, des livres (surtout ceux d’artistes) dont certains en édition bilingue.

L’histoire de L’Âne qui butine débute en 1999 avec une Anne, Anne Letoré (°1959, Amiens), écrivaine française, et Jacques (l’)Abeille («qui butine»). Cette maison d’édition se consacre principalement aux livres d’artistes et à la reliure de création. En 2000, c’est au détour de Venise, un ouvrage collectif en français rassemblant 25 auteurs issus des quatre coins de la francophonie et de la Flandre belge, qu’elle rencontre Christoph Bruneel (°1964), relieur et restaurateur de livres, originaire de Courtrai. C’est d’ailleurs Christoph qui se charge de réaliser la maquette de l’œuvre en question.

Depuis cette rencontre, Anne Letoré et Christoph Bruneel se partagent les rênes de L’Âne. En 2001, le couple s’installe à Mouscron, une commune à facilité belge située à la frontière française. Si la littérature qu’elle propose est à l’origine vouée à repousser les frontières de l’imaginaire, cette maison d’édition arrive par ailleurs à gommer celle de la langue (avec un duo franco-flamand à sa tête) et du territoire (Adieu douce France, bonjour Plat Pays).

Melting-pot littéraire

Animée par une soif d’indépendance, cette maison d’édition transfrontalière qui publie à compte d’éditeur refuse de dépendre de subsides. Et si sa liberté lui tient à cœur, elle souhaite que ses auteurs jouissent également de la leur. En effet, s’ils acceptent d’accorder une exclusivité à L’Âne qui butine, ils deviennent ensuite les uniques propriétaires de leurs propres écrits. Christoph Bruneel et Anne Letoré mettent, en effet, un point d’honneur à développer une relation de respect et de confiance avec leurs collaborateurs, en particulier avec ceux qui réalisent des livres d’artistes, car ils sont amenés à travailler des dizaines d’heures ensemble. Il n’est pas rare pour le duo, après la découverte d’un talent (célèbre ou inédit, venant ou non de la région) lors de lectures, de concours, de rencontres, de l’inviter chez eux autour d’un verre ou d’un bon repas.

Ce n’est cependant pas tant l’auteur que le texte qui guide leurs choix éditoriaux. Du régionalisme à la poésie conceptuelle, L’Âne ne recule devant aucun style. Contrairement aux idées reçues, cet âne-là est tout sauf buté, il se montre même très ouvert, à une condition: surprenez-le! En outre, Bruneel et Letoré n’hésitent pas à encourager les auteurs à sortir de leur zone de confort, comme l’illustre la collection «Troglodyte» dans laquelle chaque participant(e) est invité(e) à rédiger un texte sur une émotion musicale, sous certaines contraintes: le texte doit, entre autres, être composé de 4 000 signes, être autobiographique et contenir une photographie.

S’ils ne disposent pas de «véritable ligne éditoriale», ils savent en revanche ce qu’ils ne veulent pas. Vous ne les verrez, en effet, pas surfer sur les dernières tendances: pas d’écologie ni de féminisme au menu. Ils ne s’adonnent pas non plus à la littérature jeunesse, en premier lieu, car ce courant qui a beaucoup évolué au cours des années nécessite une certaine spécialisation. Ensuite, parce qu’il est vrai qu’il est difficile de publier un conte de fées à côté d’ouvrages que l’on pourrait qualifier pour certains de «pornographiques».

L’Âne tout-terrain

Christoph Bruneel relie à la main bon nombre d’ouvrages présentés par L’Âne qui butine. La maison d’édition a d’ailleurs pour vocation de «démocratiser» les livres d’artistes (il faut compter en moyenne 300 € pour un exemplaire). Elle désire en outre briser cette image «d’objets élitistes hors de prix».

S’il est surtout réputé pour ses livres d’auteur, L’Âne ne se cantonne pas à ce champ d’action: vous pourrez, entre autres, retrouver dans leur catalogue un roman graphique rédigé à quatre mains ou encore des vinyles. Il est également présent sur tous les terrains. Christoph Bruneel et Anne Letoré proposent en effet des ateliers de reliure sans colle, des expositions ou des lectures. Au demeurant, la fermeture des salons et du secteur culturel en général s’est avéré être un coup dur pour cette microédition indépendante, dans la mesure où sa visibilité s’est vue réduite, et les rencontres et autres évènements promotionnels n’ont pu avoir lieu. Pour notre paire franco-belge qui avait pour habitude d’organiser des lectures qui sortaient de l’ordinaire, notamment dans les arbres ou encore dans les toilettes publiques de Coxyde, l’impact considérable de la crise sanitaire à la fois sur les ventes, mais également sur les relations sociales a été difficile à encaisser. Ils peuvent cependant compter sur Radio Campus (la radio de l’université de Lille), sur laquelle ils coprésentent «P(o)ète, mais pas les plombs!», pour garder un contact avec le public.

In beide talen, s’il vous plaît!

Si L’Âne s’était déjà lancé dans la publication d’ouvrages en néerlandais au sein de la collection «Driewerf» ou avait fait cohabiter (mais jamais se mélanger) la langue de Vondel et celle de Molière au sein des «Cahiers chroniques», c’est au travers de la collection «Langue bifide» qu’il s’essaie aux ouvrages bilingues.

Celle-ci reprend une gamme d’ouvrages aussi riches que variés: du roman graphique Moeilijke Doorgang/Passage difficile réunissant Christoph Bruneel et Dominique Beun, un artiste plasticien atteint d’une déficience mentale, à Pubers, Pietenpakkers/Pubères, putains, première traduction intégrale en néerlandais d’une œuvre du poète Jean-Pierre Verheggen. La préface et la traduction (toutes deux signées Christoph Bruneel) de ce texte aux accents parfois vulgaires et obscènes, qui met en scène la langue, le véritable sujet de ce livre, dans tous ses états, ont été saluées par de grands noms tels que le poète Peter Holvoet-Hanssen, Jan Fabre, Alain Delmotte…

La dernière publication en date de la collection est intitulée Gulden Spoorloos/Éperoad-movie. Il y a quelques années, le duo de Lanzedeners, à savoir Christoph Bruneel et Peter «Arthur» Caesens, tous deux férus d’histoire, se plongent, à la demande d’un éditeur français, dans la rédaction d’une fiction historique ayant pour toile de fond le vol des Éperons d’or, commenté par CNN. À travers le temps et sous le regard d’un alchimiste, un hilarant duo de détectives nommés Debrassin & Faux-Houblon (qui s’apparentent plus à Dupond et Dupont qu’à Sherlock et Watson) lancés à leur recherche, nous entraîne dans une folle aventure qui tourne, entre autres, à la visite guidée de la ville flamande de Courtrai où se mêlent personnages historiques de la région et figures populaires, le tout ponctué d’anecdotes et parsemé d’une bonne dose d’humour.

En 2019, Peter Caesens perd la vie lors d’un terrible incendie qui décimera l’entièreté de sa «Bibliothèque tout sauf Idéale», composée de plus d’un million d’ouvrages. Christoph et Anne prennent alors la décision de publier ce roman chez L’Âne qui butine. À quelques ajouts près (tels qu’une liste de personnages), l’ouvrage demeure fidèle à celui qu’ont rédigé à l’origine les deux compères.

Cependant, si le monde littéraire est épris de la langue, il semble plus frileux face à l’union des langues au sein d’un même ouvrage. Si de nombreux acteurs du monde littéraire néerlandophone ont salué la traduction de Pubères, putains, les libraires se sont quant à eux montrés assez réticents. Il est vrai que peu de salons se consacrent à cette littérature et que les traductions s’avèrent plus coûteuses. Ce n’est cependant pas un accueil moins chaleureux qu’espéré qui freinera L’Âne. Après tout, le bilinguisme, cet âne-là l’a dans le sang.

Cette maison d’édition, c’est finalement une histoire de rencontres: celle d’Anne Letoré et de Christoph Bruneel, des livres d’artistes et du texte, du support et de l’image, des genres et des styles, des langues, des auteurs et des univers différents. Vous pouvez découvrir ce joyeux melting-pot littéraire dans le catalogue de L’Âne qui butine et suivre toutes les aventures de ce fantasque quadrupède sur sa page Facebook.

Chloebracaval

Chloé Bracaval

traductrice et collaboratrice marketing et communication

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