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Si proche et si lointaine: la scène musicale transfrontalière

Par Bart Noels, traduit par Jean-Philippe Riby
15 mai 2019 5 min. temps de lecture Sans bornes

Deux initiatives surprenantes veulent abolir les frontières dans les prochaines semaines. Les frontières entre les langues, les publics et les programmateurs. Ce n’est un hasard si le Trouba Train Trip et le Borderland Festival ont leurs racines dans les musiques du monde. Tout comme la musique classique et le jazz, ce genre peut attirer le public des deux côtés de la frontière. Très bientôt, Arno et Adamo chanteront ensemble à Lille, accompagnés par un orchestre transfrontalier.

Autrefois, nos parents belges chantaient les chansons françaises. Aujourd’hui, c’est comme si on se refermait de plus en plus sur le monde latin d’un côté de la frontière et sur le monde anglo-saxon de l’autre. Sommes-nous vraiment séparés ? Non, car les exceptions ne manquent pas. Des artistes francophones comme Angèle et son frère Roméo Elvis passent partout à l’antenne. Dans le sillage de chanteurs tels que Jacques Brel, Arno, Axelle Red ou Stromae. Une longue liste, semble-t-il. Mais peut-on encore reprendre en chœur les paroles d’une chanson bien connue dans l’autre région ?

Un mur, deux publics

Conseil pour une soirée avec des amis d’une autre région : testez la popularité respective de formations musicales. Plaisir assuré ! En juin, Indochine remplit deux fois le stade Pierre-Mauroy de Villeneuve-d’Ascq. Les fans français et wallons accompagnent avec force voix chaque ligne de chanson deux heures durant. Des groupes flamands tels que Clouseau ou Niels Destadsbader font salle comble au Palais des Sports d’Anvers. Le décès de Johny Hallyday crée une onde de choc dans une région, mais une vague d’indifférence dans l’autre.

En Belgique, le fossé culturel est plus profond en raison des lois linguistiques et de la régionalisation de la culture et des médias. C’est un dévoiement. Sur le long terme, ces évolutions constitutionnelles nous ont offert moins de perspectives qu’elles ne nous en ont fournies. Le mur frontalier de la culture et des médias est devenu presque infranchissable en quelques décennies. Fort heureusement, les derniers ministres de la Culture en Flandre et en Wallonie se sont employés à y faire quelques brèches.

Les stations généralistes génèrent une uniformité plus importante

Du côté français, l’obligation légale, depuis plus de de deux décennies, de diffuser au moins 40% de chansons françaises à la radio assure une grande présence des artistes français. Elle assure la diversité, pense-t-on. Pour autant, les stations généralistes passent le plus souvent des tubes et génèrent ainsi une uniformité plus importante. Christine and the Queens est certes une chanteuse de qualité, mais l’écouter vingt fois par jour pour le lancement d’un titre, c’est trop. Récemment, je me trouvais sur la place du marché de Croix et j’ai entendu cinq fois Désenchantée de Mylène Farmer. Programmateurs francophones, vous pouvez mieux faire !

Deux publics séparés par un mur : La Belgique francophone et les Hauts-de-France sont musicalement orientés vers le sud, tandis que les Flamands se tournent vers le monde musical anglo-saxon. Voilà de quoi offrir des perspectives à la région frontalière où tout est proche. Un point de rencontre possible des deux mondes. Les Flamands ne viennent-ils pas en nombre dans les salles de concert de Roubaix, Tourcoing ou Lille ? Ils peuvent venir écouter « leurs » groupes à un quart d’heure de voiture de chez eux dans une salle intime. Ces mêmes groupes sont le lendemain dans les grandes salles de Bruxelles ou d’Anvers. Vous avez déjà été au Main Square d’Arras ? Vous y verrez une partie des formations qui se produisent au Rock Werchter, car l’organisateur veille à ce qu’elles partagent l’affiche des deux festivals. Mais vous êtes à une heure d’Arras, guère plus, et le vin y est servi dans des verres.

Plus le genre est spécifique, plus la mobilité est grande

La mobilité des amateurs de concerts et de musique a toujours existé. Dans une salle underground comme The Pit’s, toutes les langues se mélangent, car les genres spécifiques qui y sont programmés attirent du monde de partout. Les amateurs de jazz font la navette entre Tourcoing, Courtrai et Tournai. Les salles de concert De Kreun, Le Grand Mix et l’Aéronef peuvent compter sur un public venu d’une autre région. De Kreun a compté l’an dernier 6 % de Français dans son public. Ces clubs de concert passent aussi des accords entre eux. Même les festivals et les concerts de musique classique ont un public varié. Plus le genre musical est spécifique, plus la frontière se franchit facilement.

Programmer et remplir un festival grand public, c’est une affaire autrement plus difficile. Ainsi, le festival franco-belge fortement subventionné Heartbeats n’a-t-il pas eu, il y a quelques années, la fréquentation escomptée. Le programme était éclectique et s’adressait à des goûts divers. Mais trouver des artistes qui soient populaires dans toutes les régions sans avoir pour autant une aura internationale, n’est pas aisé.

Briser le statu quo

Dans les prochaines semaines, deux initiatives vont, dans un esprit novateur, remettre en question les frontières régionales et musicales. Fin juin, le Borderland Festival est un projet modeste qui entend proposer un échantillonnage de la musique enracinée dans la région frontalière, sous le slogan « Rencontrez vos voisins ». Le festival veut offrir un lieu de rencontre annuel pour les artistes, le public et les initiatives socio-écologiques de Flandre des Hauts-de-France et de Wallonie. Le site de l’association Bolwerk à Courtrai sera investi pendant deux jours.

À la mi-mai aura lieu le Trouba Train Trip, un voyage en train de Bruxelles à Lille, avec des arrêts-concerts dans les gares d’Enghien, d’Ath, de Tournai, de Courtrai et de Lille. Ce voyage musical en train n’est que l’une des multiples activités du projet européen « 2020 Troubadours », dont l’ambition est de susciter un nouvel élan du public et des programmateurs vers les musiques du monde. Pour les organisateurs, Troubadour est une métaphore des artistes soucieux de transformer la société par la narration d’histoires qui nous font réfléchir à la façon dont le monde change aujourd’hui. Pendant des siècles, les troubadours ont sillonné l’Europe pour surprendre et inspirer leurs contemporains.

Le 18 mai, des formations telles que l’Orchestre International du Vetex, les Rumbaristas, les Panienki, Yuriy Gurzhy, Joan Garriga et Madjid Fahem traverseront donc notre région frontalière. Arrivés à destination à Lille, ils seront rejoints par Arno, Dick Annegarn et Salvatore Adamo. Ce sera ensuite « Putain, putain, c’est vachement bien, nous sommes quand même tous des Européens ! », accompagné par l’Orchestre International du Vetex. J’ai hâte d’écouter ça !

Bart-noels

Bart Noels

journaliste freelance et initiateur du projet francobelge.news

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