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L’architecture de Koen Olthuis: l’art de vivre avec l’eau

2 novembre 2021 9 min. temps de lecture

Ce Néerlandais révolutionnaire, cofondateur de Waterstudio, élabore depuis près de vingt ans des concepts innovants dans le domaine des constructions flottantes pour faire face au dérèglement climatique, à l’élévation inéluctable du niveau des mers et à la hausse de la pression urbaine. Biodiversité, technologie, patrimoine éducatif et culturel, pauvreté, écoréfugiés, ultra-riches… Koen Olthuis prend le large sur tous les fronts. Ce chef de file de l’architecture amphibie milite pour un nouvel avenir des habitats, ancrés dans des villes plus dynamiques, flexibles, durables et respectueuses de l’environnement, au-delà du front de mer. Portrait.

Villes amphibies et en haute mer, atolls artificiels mobiles, logements et parcs naturels flottants, fermes sous-marines, aquaculture… L’imaginaire collectif s’est toujours nourri de l’utopie des océans, cet espace maritime à perte de vue qui couvre 70 % de la surface du globe. Une soif de conquête qui a longtemps inspiré les auteurs de science-fiction et d’aventures, le septième art, les architectes des années 1960-1970 via leurs visions prospectives urbaines. Des rêves futuristes devenus aujourd’hui de réelles préoccupations environnementales. Pas plus tard qu’en juillet 2021, une partie de la Belgique a été dévastée par des pluies torrentielles meurtrières et une montée sans précédent du niveau des eaux.

Un phénomène que les Pays-Bas ne connaissent que trop bien. À l’instar du raz de marée en mer du Nord de 1953 qui a fait près de 2 000 morts ou de l’inondation de 1995 qui a nécessité l’évacuation de quelque 250 000 personnes. Le territoire, leader pionnier dans ce domaine, est ainsi réputé pour être formé de polders, des étendues artificielles de terre dont deux tiers de la surface ont été gagnés sur la mer par un système de digues et de barrages. Depuis lors, une nouvelle génération d’architectes et d’urbanistes sonde de nouvelles perspectives de construction dans un processus de transformation de l’existant. Koen Olthuis est de ceux-là.

Architecture amphibie

«D’ici 2050, 70 % de la population mondiale vivra dans des zones urbanisées. Or, les trois quarts des plus grandes villes sont situés en bord de mer, alors que le niveau des océans s’élève. Cette situation nous oblige à repenser radicalement la façon dont nous vivons avec l’eau dans l’environnement bâti.» Qu’il s’agisse de New York, Londres, Miami, Bombay ou encore Tokyo, tel est le bilan inéluctable de ce Néerlandais, fer de lance et référence mondiale de l’architecture amphibie, qui veut changer les mentalités et l’ADN des métropoles insulaires.

Koen Olthuis, né en 1971 à Eindhoven dans le sud des Pays-Bas, a su s’imprégner du parcours de ses parents. Son père est un architecte, sa mère vient d’une lignée de constructeurs navals. Après des études en architecture et en design industriel à l’université de technologie de Delft, il a ainsi cofondé en 2003 Waterstudio, spécialisé dans les constructions flottantes à Rijswijk. Sa vision: considérer l’eau comme une solution pérenne et apprendre à composer et à vivre avec plutôt que la combattre et la bloquer.

Celui qui a pour slogan «Green is good, Blue is better» et qui a été élu en 2007 par Time Magazine comme l’une des 100 personnalités les plus influentes dans le monde en matière d’écologie a depuis lors imaginé et conçu de nombreuses infrastructures révolutionnaires. Un concept qui a le vent en poupe. À la fois lié à ce mode de vie et d’architecture courant aux Pays-Bas et au «Blue Revolution», un manifeste urbanistique et économique plus global, rédigé par les architectes de DeltaSync, une autre agence néerlandaise, qui voit également en la mer la prochaine frontière.

Habitations résilientes

Si le principe des maisons flottantes n’est pas nouveau, les constructions amphibies de Waterstudio se placent comme un parfait équivalent aux structures terrestres. Entre modernité et légèreté, habitabilité et adaptabilité, durabilité et densité, Koen Olthuis parie sur les atouts des «architectures résilientes». Dans cette notion, venue de la psychologie et se prêtant intelligemment à l’écologie, son agence entend anticiper les enjeux environnementaux. À savoir résister aux bouleversements et pouvoir se stabiliser suffisamment pour retrouver un fonctionnement normal et ainsi devenir moins vulnérable. Ce système repose sur un fondement simple: la poussée d’Archimède. Dans sa définition générique, quand on plonge un objet dans l’eau, celle-ci exerce une force qui s’oppose au poids de l’objet. Mises en situation, les constructions de l’agence néerlandaise font ainsi face sans être submergées grâce à «des flotteurs en béton renforcé et remplis d’air, tout en étant liés au sol. Au final, l’édifice flotte sans se déplacer». Dès lors, un rapport intime se crée entre l’eau et l’architecture.

On lui doit ainsi à IJburg, un quartier expérimental dans le sud-est d’Amsterdam, des watervillas très design, faites de baies vitrées et de toits-terrasses, amarrées à des îles artificielles. Mais aussi la villa De Hoef à l’allure d’une maison traditionnelle. Élevée sur deux niveaux et entourée de terre sur trois côtés, elle est capable de braver une montée du niveau de l’eau d’environ trente centimètres. Ou encore la villa Kortenhoef sise au bord d’un lac. Le rez-de-chaussée donne sur l’eau, tandis que l’étage inférieur est immergé, avec en son sein chambres et salle de bains.

La villa New Water répond autrement à cette symbolique. Cette magnifique architecture, située à Westland près de La Haye aux Pays-Bas, offre un grand espace ouvert sur l’extérieur, conçu sans altérer la nature environnante entre énergies renouvelables et terrasses végétalisées. Par extension, le projet The New Water élargit l’offre via un ensemble de 1 200 maisons et appartements répartis sur quelque 800 000 m², également développé à Westland. Ce complexe en bord de mer, installé dans une zone de polders, possède une surface de flottaison suffisante pour stabiliser les fluctuations de l’eau. Toujours en construction, le premier quartier, appelé Citadel, composé de 60 appartements de grand standing, conçus en enfilade comme des blocs Lego, se veut pour l’architecte comme «le dernier rempart contre la mer».

Villes dynamiques et flexibles

Pour endiguer toutes ces altérations et anticiper les prochaines grandes crues, le «Floating Dutchman» (comme l’a nommé la BBC) affine son discours en évoquant l’aspect «dynamique» et «flexible» des mégapoles, en rupture avec les constructions statiques ancestrales. Pour lui, la ville et ses besoins urbains évoluent en permanence et ne peuvent plus se penser ni se construire avec des éléments inamovibles. «Pendant des siècles, le niveau de la mer et le climat ont été relativement stables, ce qui a induit des plans d’urbanisme trop statiques, fixes et souvent désordonnés», souligne-t-il dans ses conférences. À Amsterdam notamment, il rappelle que ces logements ont été «le plus souvent de simples structures en bois flottant, de grandes maisons individuelles qui bloquaient l’accès à l’eau».

Or l’avenir appartiendrait non seulement à des villes hybrides, autosuffisantes et respectueuses de l’environnement, mais aussi à des quartiers déplaçables et à des maisons sous forme d’extension pour pallier le manque de place. Pour lui, «une cité flottante n’est efficace que lorsqu’elle a du sens économiquement, socialement, spatialement». L’architecte a ainsi développé le concept de City Apps, en référence aux applications sur les smartphones. Une ville à la carte qui ajoute toutes sortes de bâtiments modulables (maisons, musées, écoles, parking…) selon les besoins et nécessités. Une vision étonnante, ludique et mouvante qui s’adresse à toutes les franges de la population mondiale et se plie à tous les contextes.

Au service des bidonvilles

À commencer par les pays en voie de développement qui vivent au rythme des catastrophes naturelles. Les bidonvilles, situés dans les cités côtières, sont les premiers touchés par les inondations et les glissements de terrain, forçant les déplacements de ces populations. Koen Olthuis a donc poussé ses recherches pour adapter son savoir-faire et améliorer les conditions de vie de cette partie défavorisée du monde. Au Bangladesh, il a ainsi créé des modules peu coûteux, constitués de palettes en bois, de câbles d’acier et de bouteilles en plastique recyclées. Ces conteneurs d’expédition modernisés, dotés de panneaux solaires et d’ordinateurs tactiles intégrés aux murs, s’implantent sur toute surface aquatique afin d’en améliorer les ressources. Comme ils sont reproductibles d’une ville à l’autre, ils peuvent à la fois se déplacer aisément et se convertir en salle de classe, cybercafé, centre médical, système de filtration d’eau… Pour Olthuis, «la technologie des habitations flottantes n’est qu’un pan de l’architecture amphibie, mais le plus emblématique».

Dans un autre ordre d’idées, les Maldives sont également menacées de disparaître de la surface de la planète, englouties par la montée des eaux (turquoises) de l’océan indien. Ce paradis terrestre, rongé par le tourisme haut de gamme et de masse, pourrait ne plus être qu’une carte postale souvenir. Pour contrer ce phénomène de submersion de l’archipel aux 26 atolls et aux 1 200 îles dont seulement 200 sont habitées, Koen Olthuis a imaginé Maldives Floating City: une ville insulaire, moderne, évolutive et commercialement viable, construite sur des éléments flottants connectés les uns aux autres et inspirée des habitations locales. Ce concept, en réflexion avec le gouvernement maldivien, est situé dans un lagon, à dix minutes en bateau de Malé, la capitale, et de l’aéroport international. Il devrait englober des milliers de résidences accessibles et écologiques.

Pour une clientèle fortunée

Tous ces concepts innovants ne manquent bien sûr pas de séduire les ultra-riches. Olthuis collabore ainsi depuis quelques années avec Christie’s International Real Estate et le promoteur Dutch Docklands pour développer des îles privées portables. Sous le nom d’Amillarah, cette ébauche d’archipel veille au respect de l’environnement grâce au soutien de la recherche d’Ocean Futures Society de Jean-Michel Cousteau, fils du célèbre explorateur. Ces villas exclusives, ancrées dans un lagon à l’abri des niveaux des mers, possèdent chacune une plage privée, un jardin végétalisé et un habitat sous-marin. Toujours avec Dutch Docklands, Olthuis a prévu également d’exporter ses conceptions en Norvège. Également à l’état de plan, l’hôtel Krystall prendra la forme d’un flocon de neige de 120 mètres de diamètre. Ce lieu d’hospitalité cinq étoiles sera situé au large de Tromsø, en plein milieu des fjords, uniquement accessible par bateau. Avec leurs toits en verre, les 86 chambres bordées par la mer offriront la possibilité d’observer les aurores boréales.

Plus récemment, l’architecte a imaginé avec la société française Arkup, basée à Miami, des yachts habitables aux allures de maisons flottantes ou de villas en bord de mer. Ces conceptions luxueuses solaires et électriques, autosuffisantes et autonomes, élevées sur pilotis hydrauliques, sont capables de résister aux vents violents, aux inondations et aux ouragans grâce à leur système d’élévation.

Entre biodiversité et culturodiversité

Restaurer la valeur environnementale au cœur des métropoles reste ainsi la vertu cardinale de Koen Olthuis, dont le champ exploratoire multiple continue de rêver les villes à petite et grande échelles. À l’exemple de L’île Ô, un théâtre flottant, prévu pour 2022, qui sera amarré sur les berges du Rhône à Lyon. La transmission de la culture fait partie intégrante de ses réflexions, tout comme l’éducation dans les bidonvilles. Il s’agit ici de son premier projet signé en France, soutenu par VNF (Voies navigables de France), gestionnaire du domaine public fluvial. Cet espace culturel en «cascade de cubes», conçu en bois, accueillera des spectacles vivants dédiés prioritairement au jeune public afin d’éveiller leur curiosité. En son sein se retrouveront une salle avec gradins, des espaces de réception et de restauration ainsi qu’une terrasse panoramique.

Mais l’un de ses projets les plus beaux et emblématiques reste sans doute Sea Tree. Cet arbre de mer aux allures de grande tour amphibie, entourée de terrasses végétalisées et de potagers, sera consacré entièrement à la faune et à la flore (poissons, oiseaux, coraux…). Il dit s’être inspiré de la technologie des plateformes pétrolières en mer. Ce parc naturel flexible et mobile, dont une partie sera immergée, sera lié par des câbles d’acier pour à la fois être libre de bouger avec le vent et éviter toute dérivation. Un écosystème à part entière, véritable poumon urbain pour la biodiversité, qui vise à réduire les émissions de CO2 et à préserver la nature, tout en répondant aux enjeux sociaux de demain.

Habiter, vivre et travailler sur la mer est ainsi en passe de devenir le nouveau laboratoire de l’urbanisme durable. Preuve que l’imaginaire collectif d’hier reste une source d’inspiration fertile. Un état des lieux que ce révolutionnaire du marché de l’habitat flottant met brillamment à profit.

Nathalie Dassa

Nathalie Dassa

journaliste

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