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arts

Le cirque plus vivant que jamais en Flandre et aux Pays-Bas

Par Maya Toebat, traduit par Maxime Kinique
13 octobre 2025 11 min. temps de lecture

Dans les Plats Pays, le cirque s’affranchit des chapiteaux traditionnels pour embrasser de nouvelles formes, souvent à la jonction des disciplines. En Flandre, sa vitalité est portée par le soutien des autorités tandis qu’aux Pays-Bas, la qualité des formations joue un rôle primordial dans son essor.

L’époque où le cirque était synonyme de chapiteaux itinérants et d’ours dressés est bel et bien révolue. Cela fait quelques décennies déjà qu’une évolution est en marche en Flandre et aux Pays-Bas et que le cirque traditionnel fait progressivement place à un mouvement artistique contemporain. «L’art circassien a subi une véritable métamorphose», affirme Noemi De Clercq, qui dirige le Circuscentrum à Gand. «Le cirque contemporain met l’accent sur l’expression artistique et les lignes narratives tout en combinant les techniques circassiennes traditionnelles avec des éléments issus du théâtre, de la danse et de la musique. Nous voyons ainsi apparaître des formes hybrides, à l’image du travail d’Alexander Vantournhout, qui combine cirque et danse dans un langage gestuel qui lui est propre.»

Circumstances, la compagnie du chorégraphe flamand Piet Van Dycke, œuvre elle aussi à estomper les frontières artistiques. Le succès qu’a connu «Glorious Bodies» en constitue la parfaite illustration. Dans ce spectacle, Van Dycke réunit sur scène six acrobates âgés de cinquante-cinq à soixante-sept ans et nous délivre, par le cirque et la danse, un message sur les capacités de notre corps et sur le fait de voir et d’être vu. Dans sa nouvelle création «Beyond», six artistes ayant chacun une discipline de prédilection (numéro acrobatique sur échelle, acrodanse, acrobike, acrobaties avec partenaire, danse et pole dance) explorent leurs limites. «Le cirque a le vent en poupe et est de plus en plus considéré comme un art scénique à part entière», se réjouit-il. «Les chorégraphes et les créateurs théâtraux ont compris son potentiel et veulent collaborer avec des artistes circassiens.»

Le cirque peut également être une forme artistique engagée. En 2023, Lieke De Vry –qui s’est récemment vu décerner le prix Ultima dans la catégorie cirque– a créé «Circus ID», un spectacle mettant en scène des jeunes de Palestine et six ateliers belges dans le cadre d’un projet d’échange. La compagnie s’est produite notamment en Cisjordanie. «‟Circus ID” montre comment les valeurs d’inclusion et de solidarité peuvent contribuer à créer du lien au-delà des frontières», a écrit le jury de ce prix culturel de la Communauté flamande à propos du projet.

Piet Van Dycke: Le cirque est de plus en plus considéré comme un art scénique à part entière

«La différence entre hier et aujourd’hui réside principalement dans la présentation», explique Rosa Boon, qui dirige TENT, une maison de cirque contemporain aux Pays-Bas. «Le cirque traditionnel propose une succession de numéros axés sur l’excellence technique, tandis que les spectacles contemporains ont une dimension plus dramatique.»

Élargir l’image reste toutefois un défi. «Je suis frappée de constater que l’on cherche souvent à éviter le terme cirque», constate De Clercq. «Les shows circassiens sont par exemple qualifiés de spectacles familiaux, ce qui n’aide pas vraiment à améliorer l’image du cirque. Les stéréotypes autour du cirque sont profondément ancrés dans notre langue, comme en témoignent des expressions telles que faire le clown ou cirque politique». Avec une campagne comme #ookditiscircus (ceci aussi, c’est du cirque), nous essayons, au Circuscentrum, de promouvoir une image plus positive et plus diversifiée de l’art circassien. Aujourd’hui, il existe une pluralité de sous-genres au sein du cirque, tout comme la danse est un terme générique qui embrasse différentes formes telles que le hip-hop, le ballet classique, la danse moderne… »

Chaque ville flamande a son atelier de cirque

Il ne reste plus que huit cirques traditionnels sous chapiteau actifs en Flandre, et onze aux Pays-Bas. Le cirque contemporain, par contre, poursuit son ascension avec quelque quatre-vingts compagnies flamandes et trente-cinq néerlandaises. Ces compagnies, et les artistes qui y travaillent, ne viennent pas de nulle part. Les ateliers de cirque flamands, surtout, jouissent aujourd’hui d’une belle réputation. «En Flandre, toute petite ville qui se respecte possède son atelier, où les enfants et les jeunes peuvent apprendre toutes sortes de techniques circassiennes», relève Boon. «Aux Pays-Bas, nous avions encore une longueur d’avance il y a quinze ans avec des compagnies telles que Circus Elleboog, Rotjeknor, Poehaa et Santelli, mais ce temps-là est hélas révolu.»

C’est au siècle dernier que le cirque s’affirme comme une nouvelle forme artistique, ainsi que comme un loisir populaire. Créé en 1949 à Amsterdam, Circus Elleboog est le plus ancien cirque de jeunesse du monde et a longtemps servi d’exemple dans l’univers des cirques de jeunesse aux Pays-Bas, jusqu’à ce qu’il soit contraint de fermer ses portes en 2020 après avoir perdu ses subsides. En Flandre, c’est dans les années 1990 que naît le cirque contemporain. «La création de l’Internationaal Straattheaterfestival (Festival international du théâtre de rue) de Gand –connu aujourd’hui sous le nom de Miramiro– en 1990 et l’ouverture trois ans plus tard du premier atelier dédié au cirque, Circus in Beweging à Louvain, ont été deux jalons importants. La désignation de Circus Ronaldo en tant qu’ambassadeur culturel de la Flandre en 1998 constitue à mes yeux un autre moment charnière», affirme De Clercq. «Par après, les festivals et le monde politique se sont de plus en plus intéressés au cirque, ouvrant ainsi la voie à une professionnalisation du secteur.»

«Aux Pays-Bas, le cirque de jeunesse possède une forte dimension pédagogique», souligne l’artiste circassienne néerlandaise Zinzi Oegema. «Il met l’accent sur la coordination et la collaboration entre les enfants et les jeunes, mais les prépare moins à atteindre le haut niveau. En Flandre, il y a les ateliers qui forment les jeunes talentueux, et les infrastructures offrent davantage de possibilités de travailler les techniques propres au cirque.»

La Flandre possède certes de solides atouts, mais elle ne propose aucune formation de bachelier en cirque. Bien souvent, les artistes de demain doivent dès lors aller se former à l’étranger, même si certains optent pour une solution bruxelloise avec l’École supérieure des arts du cirque (ESAC). Les Pays-Bas proposent quant à eux deux formations, qui jouissent l’une comme l’autre d’une belle renommée: Codarts Circus à Rotterdam et Fontys Circus and Performance Arts à Tilburg. Ces formations existent depuis près de vingt ans et ont joué un rôle majeur dans la professionnalisation du secteur. Qui plus est, les étudiants flamands y sont accueillis à bras ouverts en raison du niveau élevé qu’ils ont acquis à force de travail dans les ateliers.

«Le problème, c’est qu’il n’y a pas assez d’étudiants néerlandais capables d’effectuer la transition entre les ateliers de cirque et la formation de bachelier», pointe Boon. «Celles et ceux qui veulent malgré tout devenir artistes circassiens professionnels partent souvent se former à l’étranger. Ce n’est que depuis quelques années que l’on observe une inclination un peu plus marquée des artistes néerlandais à rester au pays pour y travailler.»

Après leur formation à l’étranger, les artistes flamands rentrent généralement au bercail. «Les ateliers qu’ils fréquentaient durant leur enfance restent pour eux un port d’attache, une communauté de vie», indique De Clercq. «Outre le Circuscentrum, ce sont les premières portes auxquelles ils sont venus frapper pour demander de l’aide. À cela, il faut encore ajouter les ateliers subsidiés –Circuswerkplaats Dommelhof, CIRKLABO, Miramiro et PERPLX–, où on leur laisse le temps et leur apporte l’encadrement pour travailler à leurs créations. On le voit, si la Flandre ne possède pas de haute école, elle compense cette lacune par des ateliers où les artistes circassiens peuvent se former et commencer à travailler. Il y a moins de possibilités de ce genre aux Pays-Bas.»

S’entraîner dans un hall sportif

Il y a une autre raison qui pousse les artistes flamands à regagner leurs pénates: le décret Cirque, qui constitue la plus grande différence entre la Flandre et les Pays-Bas pour ce qui est du secteur du cirque. Ce décret reconnaît la singularité du cirque en tant que forme artistique et offre un soutien financier soit structurel, soit ponctuel –lié à un projet spécifique– à hauteur de plus de six millions d’euros par an à un service d’aide, à des ateliers de cirque, à des artistes, à des compagnies, à des ateliers et à des festivals. «En s’accordant sur une ligne de subsides spécifique, le gouvernement flamand a pu répondre aux besoins spécifiques d’un secteur en croissance et en favoriser la professionnalisation. La Flandre s’est ainsi profilée comme une région attrayante pour monter une compagnie et créer des spectacles», estime De Clercq.

Le décret Cirque existe depuis 2008 et a été amélioré après une évaluation en 2019. La première période de gestion (2021-2025) de ce décret nouvelle mouture se terminant cette année, les créateurs et les organisations ont dû introduire leurs nouveaux dossiers de subventionnement début mai. «Les moyens financiers spécifiques restent essentiels pour un secteur qui grandit à toute vitesse», insiste Piet Van Dycke. «Il ne faut pas s’attendre à ce que les artistes circassiens intègrent immédiatement le décret sur les arts. Aux Pays-Bas, ces professionnels ne bénéficient pas de ce soutien spécifique et doivent composer avec la concurrence d’artistes d’autres disciplines. Après avoir décroché mon diplôme aux Pays-Bas, j’y suis encore resté un certain temps mais avec la fragmentation des fonds, il est très compliqué d’y obtenir un soutien financier.»

En Flandre, le décret Cirque reconnaît la singularité du cirque en tant que forme artistique et offre un soutien financier soit structurel, soit ponctuel

Pour un créateur circassien, obtenir des subsides aux Pays-Bas n’est pas mission impossible, mais cela n’a rien non plus d’une sinécure. Zinzi Oegema est allée frapper à la porte du Fonds Podiumkunsten voor nieuwe makers (Fonds des arts scéniques pour les nouveaux créateurs), mais a constaté que la commission de ce fonds commence seulement à prendre conscience que le cirque constitue une forme artistique moderne à part entière. «En Flandre, le gouvernement a reconnu que le cirque constitue une nouvelle forme artistique, qui a besoin de subsides spécifiques, et le secteur a ainsi pu se développer plus rapidement.»

Si les subsides sont bien sûr importants, le fait de disposer d’une organisation centralisée pour gérer les arts du cirque peut également faire une réelle différence. En Flandre, c’est le Circuscentrum qui joue ce rôle. Cette organisation subventionnée occupe une dizaine de collaborateurs et constitue un chaînon important entre le monde politique et les acteurs de terrain. Elle suit de près les évolutions, influe sur la prise de décision politique, participe au travail de recherche et de promotion et joue un rôle rassembleur au sein du secteur. Son homologue néerlandaise, Circuspunt, opère avec des moyens financiers limités et repose principalement sur des bénévoles. Son action est essentiellement axée sur la défense des intérêts du secteur et le lobbying, mais Circuspunt est moins à même d’offrir un soutien structurel.

Cette différence entre la Flandre et les Pays-Bas en matière de moyens et de structure centralisée a des conséquences pour le développement professionnel des artistes du cirque. Le fait que les infrastructures d’entraînement soient sensiblement moins développées aux Pays-Bas en est une. «Aux Pays-Bas, si vous voulez vous entraîner, vous devrez la plupart du temps louer vous-même une salle, alors qu’en Flandre, vous pouvez parfois même prétendre au remboursement de vos frais de déplacement et de logement», compare Boon.

«Il y a bien quelques organisations de développement des talents, comme TENT, et ateliers, tels Diepenheim et Circuskapel Den Bosch, sur le territoire néerlandais, mais la demande y surpasse largement l’offre. De plus, les salles néerlandaises ont rarement été conçues spécifiquement pour l’exercice des arts du cirque. «À Amsterdam, les artistes doivent souvent se résoudre à s’entraîner dans des halls sportifs ou à louer des salles à d’autres compagnies», constate Oegema. «En Flandre, on trouve non seulement davantage d’ateliers, mais les cirques de jeunesse sont en outre bien équipés. Personnellement, je m’exerce régulièrement à Anvers, dans l’atelier Ell Circo D’ell Fuego

Un secteur en pleine croissance

Créer de nouveaux spectacles est une bonne chose, mais encore faut-il trouver des endroits où les jouer. Zinzi Oegema et Piet Van Dycke se sont tous deux constitué un réseau chez leurs voisins respectifs, où ils s’entraînent et se produisent régulièrement. De Clercq souligne elle aussi l’importance d’une collaboration entre les Pays-Bas et la Flandre. «Le secteur du cirque a une forte dimension internationale. Les compagnies flamandes considèrent la France comme l’exemple à suivre en matière de politique, d’infrastructures et d’opportunités, mais le Circuscentrum a lui aussi investi, ces dernières années, dans des échanges avec d’autres pays, dont les Pays-Bas.»

Aux Pays-Bas, cinq festivals dédiés au cirque contemporain sont organisés, dont Festival Circolo et Circusstad Festival, auxquels on peut ajouter des initiatives pour les jeunes créateurs, comme Circunstruction à Rotterdam. La Flandre offre quant à elle un panel varié de scènes, avec pas moins de trente festivals dédiés en grande partie au cirque, et les centres culturels y programment de plus en plus souvent le cirque comme art scénique à part entière. «Le Circuscentrum organise régulièrement des réunions auxquelles participent un grand nombre de centres culturels», indique De Clercq. «C’est une évolution importante, mais nous voulons encore renforcer notre collaboration avec les maisons et les festivals des arts.»

Noemi De Clercq: Les compagnies flamandes considèrent la France comme l’exemple à suivre en matière de politique, d’infrastructures et d’opportunités

Aux Pays-Bas aussi, Oegema constate le même esprit d’ouverture des festivals à propos du cirque, alors que les théâtres le perçoivent davantage comme un risque. «Ils ont bien des programmateurs de théâtre et de danse, mais pas beaucoup de collaborateurs qui arpentent les festivals pour découvrir de nouveaux spectacles de cirque.» Les shows qui se fraient un chemin en dehors du réseau circassien et parviennent dès lors à toucher un public plus large, se situent souvent à l’intersection avec d’autres arts scéniques. Les représentations hybrides de Circumstances, la compagnie de Van Dycke, sont ainsi bien accueillies par les théâtres et les organisateurs de festivals. «Notre travail peut tout aussi bien être considéré comme de la danse, ce qui nous permet de nous produire dans beaucoup de contextes. Nous avons même été à l’affiche du Lowlands Festival et cet été, nous serons à Budapest à l’occasion du Sziget Festival.»

Le secteur du cirque est en plein boom aux Pays-Bas et en Flandre. La directrice du TENT Rosa Boon se veut optimiste, malgré des moyens limités aux Pays-Bas. «Les premiers créateurs formés dans les hautes écoles ont été diplômés il y a une quinzaine d’années et ils commencent tout doucement à se produire dans de grandes salles. Je suis curieuse de voir quel impact cela aura sur le développement du cirque.»

Beaucoup de festivals à l’étranger n’hésitent pas à programmer des productions flamandes. En Flandre, c’est surtout la prochaine évaluation du décret Cirque qui retient l’attention. «Ce décret nous permet de ne plus être en compétition avec d’autres arts de la scène», explique Piet Van Dycke. «La question que je me pose, c’est comment préserver l’esprit de cohésion et d’entraide qui règne entre les artistes circassiens alors que le secteur est en pleine croissance.»

Maya

Maya Toebat

journaliste indépendante et éditrice

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