Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Les déportés français de Dora retrouvent la lumière
© Nicolas Montard
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Les Pays-Bas français
Histoire

Les déportés français de Dora retrouvent la lumière

Un long travail de recherche prend fin avec les soixante-quinze ans de la libération des camps de concentration nazis. Un groupe d’historiens a retracé les destinées des 9000 déportés français passés par le camp de Mittelbau-Dora. Ces prisonniers fabriquaient notamment des missiles V2 destinés à être envoyés vers Londres depuis la Coupole d’Helfaut (Pas-de-Calais). Un dictionnaire biographique sera publié au printemps prochain.

Né le 26 mai 1924 à La Clarence-Divion (Pas-de-Calais), Robert Thirionet, étudiant et garçon de café, décide de rejoindre les Forces Françaises Libres en Afrique du Nord à la veille de son dix-neuvième anniversaire. Las, il est arrêté avec deux camarades à Oloron-Sainte-Marie dans les Basses-Pyrénées. Incarcéré à Bordeaux, puis à Compiègne, il est déporté le 2 septembre 1943 vers le camp de Buchenwald. Quelques jours plus tard, le matricule 20496 est affecté au Kommando de Dora. Son travail : creuser des galeries qui serviront à installer l’usine de fabrication de missiles V2. Les déportés travaillent et vivent sous terre jusqu’au printemps 44, où un camp, Mittelbau-Dora (jusqu’alors Dora était une dépendance de Buchenwald), est enfin établi à l’air libre. Après un court passage au Revier, le baraquement destiné aux malades, Robert Thirionet retourne travailler. Le 4 avril 1945, il est transféré à Bergen Belsen, avant d’être libéré le 15 avril 1945 par les Britanniques. Deux ans plus tard, il se marie avec Ginette Cordonnier. De cette union, naît Edith, le 12 novembre 1949. En 1951, il exerce la profession de mineur à Calonne-Ricouart (Pas-de-Calais).

Si nous sommes aujourd’hui capables de retranscrire précisément l’histoire de Robert Thirionet et de 9 000 autres déportés passés par le camp de Mittelbau-Dora pendant la Seconde guerre mondiale, c’est le fruit d’un long travail de recherche qui prend fin ces semaines-ci en France. Sous la houlette d’un historien, Laurent Thiery, une cinquantaine de bénévoles ont rédigé ces dernières années des notices biographiques des déportés français passés par ce camp de concentration, situé entre Hanovre et Leipzig, en Allemagne.

La Coupole et Mittelbau-Dora intimement liés

Pour comprendre la genèse de ce travail, il faut remonter le temps et se rendre à quelques kilomètres de Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais. Lors de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne nazie développe des missiles balistiques, et notamment les V2, de 320 kilomètres de portée. Le régime compte s’en servir pour bombarder l’Angleterre et Londres. À une poignée de miles des côtes britanniques, le Pas-de-Calais est une parfaite base de lancement. Un premier bunker est édifié à Watten (appelé aujourd’hui le blockhaus d’Éperlecques) mais les bombardements l’endommagent rapidement.

D’où la construction d’un autre bunker à Wizernes/Helfaut. Dès le mois d’août 1943, les travaux commencent, mais, avec la libération de la région en septembre 44, le site, immense avec 7 kilomètres de tunnels sous un dôme de béton de 71 mètres de diamètre et 5 mètres d’épaisseur, n’aura pas le temps d’être opérationnel. Abandonné pendant des décennies, le blockhaus retrouve la lumière en mai 1997, avec la concrétisation d’un projet patrimonial et touristique. La Coupole d’Helfaut se veut un centre d’histoire et de mémoire qui s’intéresse au passé du site, la technologie des V2, mais aussi à la conquête spatiale. Il est d’ailleurs adossé à un planétarium. Pourquoi ce prisme de l’espace ? Car le missile V2 a réellement ouvert la voie à la course aux étoiles. D’ailleurs, l’une des chevilles ouvrières du premier pas de l’homme sur la Lune il y a cinquante ans se dénomme Wernher Von Braun, scientifique nazi à l’origine du développement de l’engin de mort, récupéré par les États-Unis lors de la débâcle allemande…

La Coupole s’intéresse aussi au camp de Mittelbau-Dora en Allemagne. Pourquoi donc ? Parce que c’était là-bas, dans l’usine souterraine Mittelwerk, creusée par Robert Thirionet et ses compagnons d’infortune, qu’étaient fabriqués les missiles V2 dans des conditions abominables (on dénombre 20 000 morts sur les 61 000 déportés). Les missiles étaient ensuite tirés par des unités mobiles depuis les Ardennes Belges et les Pays-Bas. L’histoire de la Coupole est donc intimement liée à celle de Dora : les missiles fabriqués en Allemagne par les déportés devaient être envoyés depuis le Pas-de-Calais sur Londres. Dans ce contexte, le Centre d’histoire s’est engagé dans un projet de mémoire avec les associations de survivants du camp à la fin des années 90 : coucher sur papier la destinée des 9 000 déportés français.

Le travail, proprement dit, a débuté en 2005. Une première - longue - phase est consacrée au travail de collecte des informations, avant l’écriture des notices biographiques à partir de 2014. Outre Laurent Thiery, directeur scientifique du projet de Dictionnaire biographique Mittelbau-Dora, une cinquantaine d’auteurs bénévoles ont travaillé dans tout l’Hexagone.

Retrouver les destins des déportés de Dora n’a pas forcément été chose aisée. Certes, il y a les sources primaires, celles des Nazis : on peut y retrouver le nom du prisonnier, son matricule, sa provenance… Mais c’est quasiment tout. Commence alors une véritable enquête pour remonter la vie d’avant des déportés et dérouler celle d’après. Le service des archives des victimes des conflits contemporains à Caen (Normandie) est un lieu incontournable. 800 000 dossiers de prisonniers de guerre, travailleurs du STO (Service du travail obligatoire), victimes du nazisme y sont entreposés. Ces dossiers avaient été établis à la fin de la guerre pour déterminer les droits à pension. « On y trouve des actes d’état-civil, mariages, décès mais aussi des témoignages de camarades attestant de faits de résistance si c’était le cas, de rapports d’enquête de gendarmerie, détaille Laurent Thiery. À l’époque, il fallait prouver la véracité des récits des uns et des autres. Il y avait un véritable enjeu à la fois moral et financier. » Pour certains déportés, il faut ensuite compléter avec des sources locales, parfois avec les familles elles-mêmes. Certaines ignorent même presque tout le passé de leur aïeul !

Destins retrouvés

Ce travail de recherche a permis de retracer près de 9 000 destinées. Seuls les parcours de 229 déportés français ou arrêtés en France restent pour le moment dans le brouillard. Quelques belles histoires sont déjà à mettre au crédit des enquêteurs du passé. Ainsi la résolution du mystère Pierre Pineau. Ce natif de Vendée, prisonnier en 1940, est enfermé au stalag VIII C de Sagan en Pologne, avant de devenir travailleur civil dans une entreprise de Breslau (un statut négocié par le gouvernement de Vichy pour les prisonniers de guerre).

Son père est mort en sachant que ce pourquoi il s’était battu avait réussi

Sauf qu’à partir de 1943, plus personne n’a de nouvelles. Trois quarts de siècle plus tard, vingt-cinq ans après une dernière lettre d’une association d’anciens combattants au ministère concerné, Laurent Thiery a retracé son destin. « Après Breslau, Pierre Pineau sera déporté dans un camp de concentration à Gross Rosen (Pologne), avant de rejoindre Mittelbau-Dora (Allemagne). En fait, son nom était mal orthographié dans le registre de Dora et il était identifié comme politique français. Par croisement, j’ai pu faire le lien entre ce « Pierre Pinot » mort à Dora pour lequel je ne trouvais rien en France et Pierre Pineau disparu en 1943 ». L’historien vient d’envoyer des courriers à la mairie natale du disparu pour l’informer de cette nouvelle.

L’histoire d’Abel Tirand, cet habitant de la Sarthe, résistant déporté à Dora et mort avant la libération des camps à Bergen-Belsen, le 13 avril, était, elle, connue. Enfin, c’est ce que l’on croyait. Laurent Thiery a retrouvé un document signé de sa main le 18 avril 1945, ce qui veut dire qu’il était vivant trois jours après la libération de Bergen-Belsen. « Pour son fils, ça veut dire beaucoup : son père est mort en sachant que ce pourquoi il s’était battu avait réussi. »

Dans le Nord-Pas-de-Calais, une surreprésentation des résistants et opposants

Parmi les déportés, 450 domiciliés dans le Nord - Pas-de-Calais ont été immatriculés à Dora. « Le groupe des Nordistes est marqué par une surreprésentation des résistants et des opposants par rapport aux autres régions, analyse Laurent Thiery. La moitié des 200 déportés partis depuis le Nord, ont d’ailleurs été classés dans la catégorie des Nacht und Nebel (soit ceux qui ont commis des infractions contre le Reich ou les forces d’occupation, NDLR) ». On y trouve les noms d’André Faveuw, employé dans une laiterie de Bergues et résistant, ou Jankiel Szlamkowicz, juif polonais arrivé au début des années 30 à Hénin-Liétard (l’ancien nom d’Hénin-Beaumont). Ces deux-là reviendront. Le premier deviendra gendarme, le second, qui a perdu sa femme et son fils de cinq ans, gazés à Auschwitz, exercera en tant que cordonnier à Paris. René Mahieu, étudiant en troisième année de médecine à Lille arrêté pour diffusion de journaux clandestins, n’aura pas le temps de profiter de sa liberté retrouvée. Il meurt un mois après son retour des camps, le 1er juin 1945. « Vraisemblablement des suites d’un empoisonnement lent à la strychnine ».

Victor Lefer, mineur à Dourges qui participe à la grande grève de 1941 (100000 mineurs arrêteront le travail, plusieurs centaines sont arrêtés), s’éteint une semaine après la libération des camps à Bergen-Belsen. Ignace Mehrstein, tzigane musicien ambulant sédentarisé à Roubaix depuis 1940, décède d’une pneumonie le 15 novembre 1944 à Dora…

Ces destins vont désormais composer un livre de 2000 pages, édité par Le Cherche-Midi au premier semestre 2020. Un exemplaire numéroté sera offert à chacune des familles de déportés. D’autres - au prix de 49 euros - seront mis à disposition dans les lieux de mémoire et centres de documentation. « En 2021, nous publierons un autre ouvrage pour dresser les leçons historiques de ce travail de recherche », indique Laurent Thiery. En hommage à ceux qui ont subi la folie nazie.

cecile thirionet

Bonjour, je suis la petite fille de Robert Thirionet, merci d'avoir cité mon grand père j'ai lu avec beaucoup d'émotion, même si cela était brève son nom resteras .. Mon grand père est décédé en 2002 a l'âge de 77 ans, il a eu une belle famille, une belle vie, mais les souvenirs de cette guerre était toujours la , toujours très ancré en lui...Merci a vous

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