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Les géants, une tradition au sang neuf le nord de la France et en Belgique

3 octobre 2025 7 min. temps de lecture

Du folklore, les géants? Bien sûr, mais un folklore bien vivant. Alors qu’une exposition à Lille raconte leur histoire séculaire, de nouveaux géants continuent d’apparaître dans le nord de la France et en Belgique. Vingt ans après la reconnaissance de la culture des géants au patrimoine immatériel de l’UNESCO, des jeunes donnent même un nouveau souffle à cette tradition.

Lille rime avec géants! Jusqu’au 5 janvier, le Palais des Beaux-Arts présente «Petite histoire de Géants: la légende de Lydéric et Phinaert». L’occasion de découvrir l’origine de ces créatures et leur évolution à travers des photographies, cartes postales, gravures, enseignes, mais aussi une série de dessins et de planches de François Boucq, sans oublier une partie sur les secrets de fabrication. «La Maison des Géants d’Ath nous a confié un petit Lydéric de 3,70 mètres qui se baladera dans les travées du musée, ajoute Juliette Singer, la directrice du Palais des Beaux-Arts. Une manière de montrer que la tradition est vivace».

Lydéric, Phinaert, mais aussi Berquinix (Neuf Berquin), Saswalon (Phalempin), Jan Turpin (Nieuwpoort), Goliath (Ypres), Samson (Ath)… la liste des géants (ou Reuze ou Gayant ou Jehan selon l’endroit d’où vous lisez ces quelques lignes) du nord de la France et de Belgique est longue. Selon le recensement de Tristan Sadones, qui inventorie et digitalise les archives et collections de la Maison des géants d’Ath, ils seraient 3 600, dont 1 300 en Flandre, 980 en Wallonie et 120 à Bruxelles-Capitale, 1 200 dans les Hauts-de-France, dont 900 dans le Nord. Les plus anciens –Ros Beiaard (le Chevalier Bayard) de Termonde (Dendermonde) et Goliath à Ath– datent de la fin du XVIe siècle, Monsieur Gayant s’apprête à célébrer son demi-millénaire (en 2030) à Douai… En 2005, l’UNESCO a inscrit les géants de France et de Belgique au patrimoine culturel immatériel de l’humanité pour «leur sens identitaire» et «la tradition vivante».

Plus de géants qu'il y a cent ans

Vingt ans après cette inscription, les géants semblent de plus en plus chouchoutés par les collectivités, conscientes de la puissance de telles figures pour leur rayonnement. «Ils sont devenus des attractions touristiques part entière, analyse Tristan Sadones, par ailleurs l’une des chevilles ouvrières de plusieurs groupes Facebook relatifs aux géants. Depuis quelques années, les communes misent vraiment sur leurs géants pour en faire des ambassadeurs. Le millénaire a relancé les choses, je pense qu’il y a plus de géants aujourd’hui qu’il y a cent ans».

Les faire-part de naissance sont nombreux! Rien qu’en 2024, la grande région a vu naitre ou renaître (ce sont parfois de nouvelles versions de géants déjà existants) Rosalie du Ryveld (Steenvoorde), Clément le Pêcheur (Calais), Zinzinc (Auby), Mélodie (Neuville-en-Ferrain), Jeanne Duquesne (Lessines), Monsieur Vincent (Maffle), Benja (Ath), Jan de Belleman (Assenede), Elza (Louise-Marie) ou encore Meester Fons (Grembergen), Shoeen Marej (Hasselt), La Naïade (Tournai)… Liste n’est pas exhaustive, on compterait une cinquantaine de nouvelles têtes par an.

Traditionnellement religieux, puis représentant des héros mythiques, historiques, des animaux, des métiers ou des figures locales comme l’ancien patron du café ou le curé, le géant endosse de nouveaux rôles. Il n’est plus rare de le voir embrasser des causes écologistes, anti-racistes, féministes, en tout cas s’engager. Julia de Charleroi est une géante féministe, Mettekoe de Petit-Enghien sensibilise à la cause des orangs-outangs de Bornéo. À Bruxelles, Sabine défend la dignité des sans-papiers tandis qu’à Turnhout, Lina est l’une des deux seules géantes voilées du royaume. À Féchain, Andy se déplace en fauteuil roulant, symbolisant l’intégration du monde du handicap et le caractère désormais inclusif de ces géants, réalisés par des groupes sociaux très différents.

En plus des géants traditionnels, «le défilé de De Reuskens van Borgerhout (un quartier d’Anvers) présente des histoires et des géants réalisés par de personnes issues de l’immigration, de personnes en situation de handicap mental et/ou physique, d’enfants d’écoles voisines, etc.», confirme Morgane De Coensel, chargée des Fêtes, rituels et pratiques sociales pour Histories. Cette organisation pour les bénévoles du patrimoine propose une base de données de géants. Ces géants peuvent également être caritatifs.

En France, Alicia Princesse des Anges a vu le jour suite au décès de la fille de Matthieu Quayebeur d’une leucémie. La géante participe à différentes fêtes en France, Belgique, mais aussi Espagne. Parallèlement, l’association collecte des fonds pour financer par exemple des achats de jouets pour les hôpitaux.

Facteurs de géants

La culture géante se renouvelle aussi par ses acteurs. Parmi les travailleurs essentiels, on trouve bien entendu une poignée de facteurs de géants. Pierre Loyer est l’un d’eux.  À 27 ans, celui qui a installé son atelier à Warneton, exerce depuis déjà presque une décennie! Il en a réalisé une vingtaine, de Sigebert Ier à Lambres-lez-Douai au couple Clovis-Clotilde à Soissons. Son carnet de commandes est déjà plein un an et demi à l’avance. Ses matériaux favoris?  Le carton alors que la résine de polyester et la fibre de verre se sont répandues depuis la deuxième partie du vingtième siècle. «Le carton est une matière qui tient très bien», jure celui qui s’inquiète que certains géants puissent être maintenant réalisés entièrement en impression 3D. «C’est une bonne méthode pour dupliquer un géant sans abimer l’original, mais attention à ne pas perdre nos traditions».

Le tableau des géants n’est pas pour autant tout rose. Certains dorment dans les hangars, faute de volontaires ayant repris le flambeau. C’est pour cela que nos différents interlocuteurs voient d’un bon œil les initiatives scolaires comme à Cysoing (où les collégiens ont fabriqué un saint Evrard) ou Eeklo (où les élèves ont donné naissance à Sam et Niels). Ce travail avec les plus jeunes permet de sensibiliser à la culture géante, voire attirer de futurs porteurs, nerfs de la tradition. Une récente école de porteurs propose d’ailleurs des stages ponctuels à Tournai. Mais «si les jeunes étaient moins présents pendant un temps, on les voit revenir, souligne Edouard Babik, président de l’Association du Calendrier des géants. À Lambres-lez-Douai, autour de Sigebert Iᵉʳ, ce sont des jeunes. C’est très encourageant».

Un constat partagé par Christian Boudart, auteur du blog Géants/Reuzen: «Quand il n’y a plus de porteurs, on a tendance à transformer les géants pour qu’ils puissent être manipulés sur roues. Mais on voit que certains sont de nouveau portés, comme ceux de Namur ou Mercator à Rupelmonde». En Flandre belge, l’organisation Reuze in Vlaanderen se veut moteur dans la préservation de cette tradition. Avec son label «Ville amie des géants», elle invite les cités à signer une charte «dans laquelle elles s’engagent à soutenir les associations des géants, par la mise à disposition d’un local par exemple», explique Julien Maebe. Collectivités qui peuvent ensuite afficher une plaque dédiée pour montrer leur appartenance à la communauté des géants.

Au-delà des frontières

Transfrontaliers par leur implantation, les géants développent-ils des liens au-delà des frontières ? Depuis 1997, ils ont leur calendrier franco-belge réalisé par l’Association du calendrier des géants. Edouard Babik, le président, est bien placé pour voir que «les fêtes qui invitent des géants de l’autre côté de la frontière sont de plus en plus nombreuses». Parfois, nos géants se marient. Il y a 30 ans, Joséphine La Peule (Coudekerque-Branche) et Celten le Trimard (Langemark-Poelkapelle) convolaient en justes noces mais depuis d’autres bans sont régulièrement publiés : Miss Cantine (Nieppe) a épousé Pimpon le Pompier (Lessines), Muguette (Prouvy) L’Avocat (Papignies)…  Une technologie très XXIe siècle contribue à ces bonnes relations franco-belges, note Tristan Sadones: «Les réseaux sociaux ont aidé à se connaître au-delà des frontières, car désormais le géant a son propre Insta». Une preuve de modernité?

Enfin, un musée à Douai?

Véritable serpent de mer en France… un musée autour des géants. Car il y a beau en avoir des centaines, aucun lieu n’existe pour découvrir cette tradition en dehors des moments festifs ou de la maison des géants d’Ath, mais plutôt consacrée aux figures locales. Douai, berceau de Gayant, est fréquemment citée pour accueillir cet établissement.

En 2024, son maire avait annoncé l’objectif d’un musée pour 2030 à l’occasion des 500 ans de Monsieur Gayant. À la mairie de Douai, on confirme que le projet est en marche: «ce sujet est actuellement à l’étude par nos services: nous avons lancé une consultation pour une assistance à maîtrise d’ouvrage et une audition des candidats est prévue avant en novembre.» «Ce serait utile aussi pour faire perdurer la tradition, car des classes pourraient le visiter», estime Pierre Loyer. Si tant est qu’il ne soit pas consacré qu’aux géants de Douai.

Une histoire à suivre… En attendant la création d’un tel musée, nous pouvons découvrir l’histoire des géants grâce l’exposition au Palais des Beaux-Arts de Lille, ainsi que dans les rues de la Belgique et du nord de la France lors des défilés.

L’exposition «Petite histoire de Géants: la légende de Lydéric et Phinaert» est à voir au Palais des Beaux-Arts de Lille jusqu’au 5 janvier 2026.

Montard

Nicolas Montard

Journaliste free-lance et cofondateur du magazine en ligne DailyNord.

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