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histoire

Les livres d’heures nous offrent une fenêtre unique sur le quotidien au Moyen Âge

Par Lisa Demets, traduit par Sophie Hennuy
22 août 2025 7 min. temps de lecture

À la fin de l’époque médiévale, presque chaque foyer possédait le sien: de véritables talismans regorgeant de suppliques, de psaumes et de miniatures. Les exemplaires les plus raffinés étaient extrêmement coûteux. Le musée Groeninge de Bruges en expose une collection unique.

À l’automne 2024, vous pouviez vous presser dans la fantastique exposition Medieval Women in Their Own Words à la British Library de Londres. Avec un peu de persévérance, on avait le loisir de se pencher pour admirer sur les vitrines avant d’être bousculé du coude. Celles-ci renfermaient de splendides livres d’heures: de petits recueils de prières destinés à conjurer la maladie, à favoriser un accouchement sans complication ou simplement à offrir du réconfort.

Ces joyaux du Moyen Âge jouissent d’une grande popularité en Flandre également. Ils constituent même un investissement de valeur: en 2023, les pouvoirs publics flamands ont acquis un psautier (livre de psaumes) du XIIIe siècle ainsi qu’un livre d’heures du XVe siècle provenant tous deux de l’ancien comté de Flandre, pour les confier à la bibliothèque publique de Bruges. Ces deux manuscrits peuvent être admirés jusqu’au 7 octobre 2025 dans le cadre de l’exposition «Fierté et réconfort: les livres d’heures médiévaux et leurs lecteurs» au musée Groeninge de Bruges. Plusieurs exemplaires issus de la collection privée de la famille noble Caloen y sont également présentés pour la première fois au grand public.

Mange, prie…

Les livres d’heures n’ont toutefois jamais quitté nos musées. Aujourd’hui, quiconque arpentant une collection médiévale de n’importe quel musée des beaux-arts dans le monde y trouvera probablement des tableaux du XVe siècle représentant des hommes et des femmes agenouillés, un petit livre entre les mains ou sur les genoux. Ces témoignages révèlent à quel point les livres d’heures étaient précieux pour les lecteurs du Moyen Âge, ainsi que l’importance de leur présence dans la vie quotidienne.

Certains volumes, modestes, étaient destinés à la production de masse, tandis que d’autres sont de véritables chefs-d’œuvre uniques. On les retrouve dans toutes les couches de la population médiévale (ecclésiastiques, noblesse, bourgeoisie et artisans), mais principalement au sein de la classe la plus aisée. Les propriétaires de ces livrets étaient particulièrement fiers de leur exemplaire coûteux et richement enluminé, souvent acquis au prix de leurs dernières économies. Dans les moments les plus difficiles, la prière leur apportait du réconfort.

Les prières étaient lues à haute voix. Jusqu’au bas Moyen Âge, il était normal de lire à haute voix, même en solitaire

Au cœur de ces ouvrages se trouvent les «heures»: des prières que les moines et les clercs récitaient à des moments précis de la journée. Huit offices rythmaient ainsi le temps. À minuit commençaient les matines ou vigiles, suivies des laudes vers trois heures du matin, des primes vers six heures, de tierce vers neuf heures, de sexte à midi, de none vers trois heures, des vêpres vers six heures ou au coucher du soleil et enfin, des complies vers neuf heures ou avant le coucher. Certaines de ces prières ont survécu dans notre langage courant: pensez à noon en anglais pour (après-)midi ou à sieste, du latin sexta, la sixième heure, celle du repos.

Au Moyen Âge chrétien, les laïcs étaient également tenus de prier quotidiennement, même si les moments de prière étaient moins disciplinés que pour les religieux. Ainsi, les matines et les laudes nocturnes étaient souvent regroupées. Les prières de la journée ne duraient que cinq minutes environ et pouvaient donc facilement être récitées sur le pouce. La culture de la prière au Moyen Âge rappelle ainsi les moments de salat, l’heure de la prière, dans la tradition musulmane.

Culte de la Vierge Marie

Les livres d’heures sont un phénomène propre au bas Moyen Âge. Ils ont été les ouvrages les plus produits en Europe pendant plus de trois cents ans. Du XIIIe siècle –moment où apparaissent les premiers exemplaires– jusqu’en 1571, date à laquelle le pape Pie V en interdit l’usage dans le cadre de la Contre-Réforme et introduit le catéchisme catholique, on les trouvait dans presque tous les foyers (aisés).

Au XIIIe siècle, les nouveaux ordres mendiants, tels que les franciscains et les dominicains, suscitent un intérêt religieux plus large parmi les laïcs, en particulier chez la noblesse. Des livres contenant des prières simples et des psaumes sont réalisés à leur intention. L’exposition présente entre autres le psautier acquis par la Flandre, commandé par Marguerite de Constantinople, qui gouvernera le comté de Flandre et de Hainaut en son nom propre de 1244 à 1280.

Plus tard, les livres de prières ont trouvé également leur place parmi les couches plus larges de la population. Au XIVe siècle, les bouleversements causés par la peste noire (1348-1349) donnent naissance à de nouveaux mouvements religieux et renforcent la vie associative religieuse au sein des confréries et des sororités laïques. Au cœur de ces mouvements se trouvait un rapprochement des fidèles à Dieu, ce que permettaient les livres d’heures en offrant aux laïcs la possibilité de prier sans l’aide d’un prêtre. Nombre de leurs heures et prières étaient adressées à la Vierge Marie, principale intermédiaire entre Dieu et l’homme.

Presque exclusivement rédigés en latin au XIIIe siècle, les psautiers et livres d’heures ont vu peu à peu apparaître des traductions en néerlandais ou en français dans nos contrées, notamment sous l’influence de Geert Grote, théologien et grande source d’inspiration de la Dévotion moderne (un courant de réforme spirituelle), ou de Christine de Pisan, écrivaine française majeure du début du XVe siècle. Les livres d’heures sont ainsi des témoins indirects de l’alphabétisation croissante de la population médiévale.

Ils étaient également utilisés dans l’enseignement. Certains exemplaires destinés aux enfants et comportant souvent un abécédaire –sorte d’alphabet rimé– ont été conservés. Parfois, parmi les prières en latin, figurent également des aides en néerlandais ou en français, de courtes rubriques et des annotations pour faciliter la lecture et la consultation des textes latins pour un public peu familiarisé avec cette langue.

Petit format, grande valeur

En parcourant l’exposition au musée Groeninge de Bruges, il faudra parfois vous pencher pour coller votre nez à la vitrine: les livres d’heures sont petits, voire minuscules (des loupes sont toutefois mises à votre disposition). Leur petit format indique qu’ils n’étaient pas conçus pour une lecture collective, mais individuelle, et pour être transportés dans une pochette ou dans un coffret, occasionnellement doté d’un compartiment secret (pour y dissimuler des lettres?). Vous pouvez d’ailleurs admirer un de ces coffrets dans les vitrines de l’exposition. Les prières étaient lues à haute voix, comme la plupart des livres au Moyen Âge. Jusqu’au bas Moyen Âge, il était normal de lire à haute voix, même en solitaire.

La plupart des livres d’heures sont des objets de luxe, comparables à des bijoux. Les exemplaires les plus précieux contiennent de magnifiques enluminures et miniatures. Au bas Moyen Âge, le marché international du livre à Bruges était particulièrement axé sur la production et l’enluminure de livres d’heures luxueux destinés aux marchés internationaux et régionaux. Des livres d’heures standard étaient expédiés en masse vers l’Angleterre pour y être personnalisés et vendus.

Le nombre de femmes propriétaires de livres d'heures est particulièrement frappant. Ils se transmettaient de mère en fille

Des peintres médiévaux renommés tels que Jan van Eyck réalisaient des miniatures pour les livres d’heures. Cependant, il s’agissait la plupart du temps de miniaturistes spécialisés comme Willem Vrelant, originaire d’Utrecht, qui s’était installé à Bruges et avait fondé un atelier spécialisé dans l’enluminure de livres d’heures. Plusieurs femmes y travaillaient d’ailleurs comme miniaturistes.

Véritables égo-documents, les livres d’heures se transmettaient de génération en génération ou étaient offerts lors d’un mariage en tant que documents de famille. Le nombre de femmes qui en étaient propriétaires, et ce, pendant plusieurs générations, est particulièrement frappant. Les livres d’heures se transmettaient ainsi de mère en fille, d’une mère par alliance à sa belle-fille ou encore d’une belle-maman à sa bru, tel un bijou précieux. Le texte de ces livres n’était pas «fixe»: on y ajoutait parfois une prière, un chant ou une petite note personnelle, comme la date de naissance ou de décès d’un enfant. Il s’agissait de véritables talismans. La miniature de sainte Marguerite, garante d’un accouchement rapide, présente souvent des traces d’usure dans de nombreux exemplaires. En effet, les femmes en fin de grossesse la frottaient à de multiples reprises avant d’entrer en travail.

Malgré leur petite taille, les livres d’heures sont au plus près des véritables lecteurs du Moyen Âge. Ainsi, il est de notoriété commune que la comtesse flamande Marguerite de Constantinople a réellement tenu ce livre entre ses mains et l’utilisait quotidiennement. Bien plus que de simples recueils, les livres d’heures sont des fenêtres uniques sur le quotidien de nos ancêtres médiévaux.

L’exposition «Fierté et réconfort: les livres d’heures médiévaux et leurs lecteurs» est présentée jusqu’au 7 octobre 2025, au musée Groeninge de Bruges. 

Lisa Demets

historienne à l’UGent

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