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Rie Mastenbroek, la championne qui a remporté l’or au mauvais endroit

Par Marian Rijk, traduit par Marcel Harmignies
24 juin 2021 6 min. temps de lecture En quête d’or

Un nom important manque à la mémoire collective sportive néerlandaise. Rie Mastenbroek (1919-2003) était pourtant, dans les années trente, une nageuse reconnue dont tous les Néerlandais étaient fiers. Mais après la guerre est tombée dans l’oubli celle qui avait remporté quatre médailles aux Jeux olympiques de 1936 qui sont entrés dans l’histoire comme un événement de propagande pour le régime nazi.

Rie Mastenbroek est née dans le centre de Rotterdam, au-dessus du bistrot de ses grands-parents. Sa mère avait dix-huit ans et était célibataire, son père était absent. À l’âge de cinq ans, Rie sauta pour la première fois dans l’eau lors d’une baignade gratuite en plein air. Elle flotta à merveille. Heureusement, car savoir nager était une nécessité vitale dans la ville portuaire, et il n’y avait pas d’argent pour des leçons de natation.

Quand Rie eut dix ans, sa mère et elle déménagèrent pour la Tuinderstraat où se trouvait l’unique piscine couverte de Rotterdam. En faisant des courses pour la caissière de l’établissement, Rie était parfois autorisée à entrer dans l’eau. Dans le même bassin, Ma Braun, entraîneuse fédérale à succès, formait ses élèves: des nageuses de niveau international. Rie aimait faire des farces et attendait sous l’eau les nageuses de dos crawlé appliquées pour les tirer d’un coup sec vers le fond. Quand Ma Braun vit cela, Rie se fit copieusement sonner les cloches et elle dut, sous l’œil critique de l’entraîneuse, faire une longueur. Un peu secouée par la réprimande, Rie nagea aussi vite qu’elle le put. Cela suffit à Ma Braun: elle promit de faire de Rie une championne olympique et la prit dans son équipe de natation.

La percée

Rie tira profit des entraînements: elle pouvait libérer son énergie et noua des amitiés avec d’autres nageuses. L’élégance n’était pas son affaire; elle nageait, puissante et féroce, et pouvait piquer un sprint final fantastique. Très vite, elle se rendit chaque week-end en train dans des piscines des Pays-Bas, de Belgique et d’Allemagne pour participer à des compétitions.

Rie combinait l’école avec des entraînements toujours plus intensifs. Son assiduité fut payante. En août 1934, alors âgée de quinze ans, elle fut sélectionnée pour les championnats d’Europe à Magdebourg, en Allemagne. Durant le voyage en train, elle eut ses premières règles. Elle n’avait aucune idée de ce qui lui arrivait, et Ma Braun ne montra aucune compassion. On ne parlait pas ouvertement des problèmes féminins, et il n’existait aucune forme d’assistance médicale. Le code vestimentaire strict de la Fédération néerlandaise de natation se révéla utile. Dans son maillot de bain de laine noir avec jambes et, en dessous, un slip de bain et un épais bandage, Rie réussit à dissimuler son état et remporta quatre médailles: l’or pour le 100 m dos, le 400 m nage libre et le relais, et l’argent pour le 100 m nage libre. Sur le coup, Rie était devenue une Néerlandaise célèbre et, grâce à ses répliques spontanées et enjouées, gagna de nombreux cœurs.

Les Pays-Bas sont fiers

Les Jeux olympiques de Berlin en 1936 offrirent à Rie la possibilité de concourir également au niveau mondial car il n’existait pas de championnats du monde de natation. En Allemagne, Hitler avait été élu chancelier du Reich trois ans plus tôt. Sa campagne de discrimination et de persécution de la communauté juive en Allemagne n’était pas passée inaperçue. Cependant, le Comité international olympique estima –même après les concertations nécessaires – que le sport et la politique intérieure devaient être considérés séparément, et par conséquent le monde du sport se rendit à Berlin en août 1936. Tout ce débat échappa complètement à Rie. Sa vie, c’était l’école et la natation.

Le 13 août 1936, elle avait le trac sur le plot de départ pour sa première finale olympique: le 100 m nage libre. Elle fit un mauvais départ, toucha les flotteurs de lignes, prit un virage inefficace et se retrouva en quatrième position après 75 m. Fichu, semblait-il. Mais à dix mètres de l’arrivée, la situation se modifia de manière sensationnelle. De plus en plus vite, ses bras battaient l’eau. Rie entama un sprint phénoménal et gagna. Pendant la cérémonie, elle se tenait, fière et souriante, entre l’Argentine Campbell et l’Allemande Arendt, qui fit le salut hitlérien. Ce moment allait poursuivre Rie sa vie durant.

La même semaine, elle remporta aussi l’or sur le 400 m nage libre et le 4×100 m nage libre. Elle obtint l’argent sur le 100 m dos. Rie Mastenbroek et ses quatre médailles firent l’actualité mondiale. Les Pays-Bas étaient fiers et voulaient le lui faire savoir.

Le voyage de retour en train fut un véritable triomphe. Tout au long du parcours, des gens étaient là pour acclamer leur héroïne. À chaque gare, Rie signait une infinité d’autographes, écoutait discours et chants, recevait des bouquets et des paniers de fruits et serrait des mains innombrables. À Rotterdam, en rangs serrés, des admirateurs criaient et brandissaient des fleurs, des serpentins, des drapeaux et des feux d’artifice. La sobre Rotterdam était transformée en une ville torride. L’extase dura des semaines. Le domicile de Rie était assiégé par les fans, et les paparazzi rapportaient chacun de ses mouvements. La fille de la classe ouvrière était devenue une propriété publique.

La rupture

Le succès olympique de Rie Mastenbroek constituait un magnifique outil de promotion pour la natation. La fédération néerlandaise de natation lui imposait un calendrier serré d’épreuves. Pourtant, Rie était fatiguée. Elle avait besoin de repos et de réflexion mais, à dix-sept ans, il lui était impossible de se soustraire aux obligations définies par les dirigeants fédéraux. Pour aider Rie face à son agenda surchargé, Ma Braun l’accueillit chez elle. Mais Rie étant mineure, l’entraîneuse de natation devait demander pour chaque participation l’autorisation de sa mère, une femme qui n’y connaissait rien. C’était une situation que Ma trouvait insupportable. C’est pourquoi elle demanda la déchéance de l’autorité parentale de la mère de Rie. C’est ainsi que les proches de Rie s’affrontèrent au tribunal. Le juge n’hésita pas un instant: Rie relevait de sa mère biologique.

L’affaire provoqua une rupture pénible entre l’entraîneuse et la nageuse. Rie essaya de poursuivre sa carrière sportive, mais elle avait du mal à trouver sa motivation. Elle prit un petit emploi de monitrice de natation. Comme elle gagnait de l’argent avec son sport, la fédération de natation la déclara professionnelle, ce qui lui interdisait la compétition. Rie haussa d’abord les épaules, mais en 1938, alors qu’elle travaillait comme fille au pair à Anvers, le plaisir de la natation lui revint. Son statut de professionnelle n’étant pas encore confirmé, elle espérait pouvoir reprendre la compétition. En vain, la fédération de natation se montra inflexible. Rie se sentit abandonnée et ne nagea plus jamais.

Stigmatisation durable

Quand, des années plus tard, le monde put mesurer les atrocités commises par les nazis, on se rendit compte que les Jeux olympiques de 1936 avaient été un rideau de fumée. Les Pays-Bas avaient été dupés. En étant présents à l’Olympiade de Berlin, ils avaient participé à la propagande du régime nazi. Les Pays-Bas ne voulaient pas être associés à cela, et donc pas non plus aux quatre médailles de cette nageuse populaire et talentueuse. On préférait regarder vers l’avenir. Le redressement, c’était ce qui comptait.

Néanmoins, tous les quatre ans, à l’approche des Jeux, des journalistes étaient présents sur le perron de Rie. Les médias semblaient sincèrement intéressés par ses succès historiques, mais étaient en définitive surtout curieux d’une chose: «Comment c’était, de nager pour Hitler?» Patiemment, Rie répondait qu’elle n’avait pas pensé à la politique, mais à son sport. Sa réponse tombait chaque fois dans des oreilles de sourds, car tous les quatre ans, on lui posait la même question, encore et encore. Sa patience céda la place à l’amertume. Elle ne se débarrassa jamais du stigmate des Jeux d’Hitler.

Cependant, il est question ces dernières années d’une certaine réhabilitation. Cent ans après la naissance de Rie Mastenbroek, on a donné son nom au bassin de 50 m du Zwemcentrum Rotterdam. Depuis lors, chaque année, on y organise le Rie Mastenbroek-memorial, lors duquel des enfants de Rotterdam reçoivent une formation de natation.

L’année dernière, mon livre Vergeten goud, het levensverhaal van Rie Mastebroek, a été publié aux éditions Ambo/Anthos.

5b Marian Rijk c Ruud Pos 2019

Marian Rijk

écrivaine - rédactrice - journaliste

Photo © Ruud Pos

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