Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

Yaïr Callender fait entrer le quotidien dans l’art cérémoniel
© Yaïr Callender
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Yaïr Callender fait entrer le quotidien dans l’art cérémoniel

Les sculptures et installations de Yaïr Callender s’inscrivent dans une tradition en partie religieuse, même s’il est difficile de réduire l’artiste néerlando-surinamien à une seule dimension: tant son art que lui-même sont aussi philosophiques que pratiques.

Qu’est-ce que l’art? La réponse la plus pragmatique est: l’art est ce que l’on trouve entre les murs blancs et neutres d’un musée. Pour ce qui est des pièces archéologiques et des objets du Moyen Âge, la réponse est un peu plus nuancée: on sait que ces pièces ont eu une fonction dans la vie quotidienne ou spirituelle, ne serait-ce que parce que les textes de la salle nous en informent. Mais même dans ce cas, on les juge probablement aussi selon des critères esthétiques. Il est alors tentant de voir dans les propriétés formelles le résultat d’un choix artistique conscient.

Le regard muséal n’est cependant qu’une approche parmi d’autres, note l’artiste plasticien Yaïr Callender (°1987). L’homme a un penchant pour l’art cérémoniel et religieux, d’origines et de traditions diverses, qui répondent souvent à des règles strictes. Pour l’objet rituel x, par exemple, on ne peut utiliser que le matériau y. Et l’objet z ne peut être vu qu’à la pleine lune.

L’exposition classique en salle n’est qu’une façon parmi d’autres de présenter l’art, souligne Callender. Son propre travail se trouve régulièrement dans le «cube blanc», comme on appelle l’espace neutre des salles d’exposition. Il a notamment participé à des expositions de groupe et a présenté un solo à l’espace d’art 1646 (La Haye) en 2018. Il trouve intéressant de découvrir comment une œuvre d’art contraste avec son environnement et comment elle y prend place dans la vie quotidienne des autres.

En deux et trois dimensions

Les sculptures et installations de Callender peuvent donc aussi être vues hors des murs des salles d’exposition, dans l’espace public. C’est aussi à l’extérieur qu’il a peut-être eu son premier contact significatif avec l’art: en tant que jeune «glandeur», il avait une préférence pour les endroits présentant des sculptures ou des éléments architecturaux particuliers. Il existe aujourd’hui au Suriname une sculpture permanente de sa main (Monument VI – Monument voor Moengo, 2017). Callender rêve de créer aussi des œuvres d’art permanentes pour l’espace public aux Pays-Bas.

Yaïr Callender décrit son art comme une combinaison de deux et trois dimensions, ce qui le place dans une tradition en partie religieuse: pensons aux sculptures sur bois, aux sculptures de façade et aux reliefs que l’on trouve dans diverses religions. Même lorsqu’il s’agit d’œuvres «plates», telles que des peintures ou des mosaïques, elles s’inscrivent généralement dans le cadre de l’agencement et de la fonction de l’espace.

Cette cohésion évoque une expérience qui peut être sacrée, mais qui n’en est pas moins sincère. Callender, qui est croyant mais ne pratique pas de religion spécifique, souligne le rôle du spirituel dans son art. Pour lui, les deux sont étroitement liés.

Un charpentier avec un CV d’artiste

La spiritualité a un côté très prosaïque. Les gens ont parfois des autels chez eux, et un lieu de culte n’est finalement qu’un bâtiment «ordinaire». Callender n’est donc pas seulement philosophe. Il est également très terre-à-terre et pratique: dans notre entretien, dans son travail et dans sa propre vie. Pour ne pas dépendre financièrement de son activité d’artiste, il travaille comme charpentier dans une entreprise spécialisée dans la restauration de monuments, d’ornements et de sculptures sur bois classiques. Il nous raconte en riant qu’à l’époque, il s’est simplement présenté avec son CV d’artiste.

Il y a aussi quelque chose de très banal dans le choix de ses matériaux. Il utilise le béton, le fer et le bois, mais aussi la tôle ondulée et les fleurs. Il y a toujours un aspect ou un autre qui rappelle des éléments extérieurs à l’espace d’exposition: l’architecture ou le mobilier, l’église que vous pourriez fréquenter, votre propre salon. Il est même possible de s’asseoir sur certaines sculptures –comme une œuvre sans titre de 2014, qui était exposée au salon d’art Unfair.

Cette distinction entre le spirituel et le pratique est peut-être erronée, me dis-je lorsque Callender évoque avec enthousiasme une tradition séculaire qui consiste à «donner vie» à des sculptures en les promenant. Cela se faisait déjà dans l’Antiquité, chez les Égyptiens et les Grecs, et cela se fait toujours dans les cultures des Caraïbes et du Suriname, notamment.

Enfreindre les règles

L’intérêt de Callender pour les objets cérémoniels se manifeste également par une fascination pour les monuments, qu’il fabrique aussi lui-même. Les monuments constituaient le sujet de son projet de fin d’études à l’académie d’art. Les questions qu’il y étudiait étaient les suivantes: qu’est-ce qui fait qu’un objet est un monument? Suffit-il de l’étiqueter comme tel, ou un monument doit-il répondre à certains critères formels?

Cette étude, il l’a menée parallèlement à son intérêt pour la spiritualité. Il a découvert qu’il existe une longue tradition d’œuvres visuelles qui tentent de capturer une chose que les mots ne peuvent pas exprimer. Ce constat l’a conduit à élaborer des protocoles autour des propriétés formelles: une couleur ou une forme particulière, par exemple, représente une idée abstraite. Ce qui intéresse Callender ensuite, c’est de savoir s’il peut infléchir ou même enfreindre ces règles dans son art.

À titre d’exemple, il cite l’œuvre en deux parties You need the words to see the spaces between them (2018). Une partie est accrochée au mur, légèrement au-dessus du niveau des yeux, l’autre est fixée à une lucarne. Sur la première, il a dessiné une galaxie avec des crayons de cire, crayons qu’il a délibérément choisis pour leur aspect quelque peu enfantin.

Sur la pièce supérieure, il a dessiné une forme géométrique issue de la culture islamique. Contrairement à la coutume, il a supprimé les lignes. Seuls les nœuds subsistent, comme un second ciel étoilé. Cela donne à l’œuvre une dimension superposée: d’abord la réalité avec, un peu au-dessus, la géométrie, et ensuite le ciel que l’on regarde au travers.

Callender ne cherche pas du tout à prouver qu’il existe une sorte de mathématique derrière la réalité quotidienne; il lui faudrait pour cela de solides arguments, admet-il. Mais c’est précisément dans l’art que l’on peut explorer une telle idée sans nécessairement avoir raison ou tort.

Des sculptures basculantes

De nombreuses installations de Callender sont composées de différents fragments ou modules. Ceux-ci donnent l’impression de pouvoir être réarrangés très simplement. Il distingue deux phases de création: d’une part, le processus de fabrication dans l’atelier, où il achève réellement les objets, et d’autre part, l’installation in situ de ces mêmes œuvres.

Sur place, il les voit dans l’espace de présentation physique et dans le contexte de l’exposition pour laquelle il a été sollicité. Ce qu’il a déjà fait lui évoque soudain quelque chose de nouveau. C’est ce sentiment qui le guide lors de l’installation.

Parfois, une intervention s’avère nécessaire. Il cite en exemple l’institution artistique Omstand (Arnhem), où il a exposé ses œuvres dans une espèce de maisonnette en verre. L’espace était loin d’être serein, avec ce verre et une série de poutres. Il a donc décidé de recouvrir le sol de gravier, à la manière d’un jardin zen japonais, dans lequel il a présenté ses sculptures: directement sur le sol, sans socles.

Ce gravier était aussi un moyen de réunir les objets fabriqués individuellement, malgré leurs caractères différents. Ce nouveau contexte leur a donné une dimension inédite, que Callender décrit comme une nouvelle phase de leur vie.

Sur son téléphone, il me montre une œuvre «détachée», semblable à une sculpture murale, qu’il a exposée de différentes manières à Omstand, couchée par terre «sur le dos»; à Kadmium (Delft), en revanche, à hauteur d’yeux, portée par une sorte de chariot. L’objet en béton peut ainsi être présenté de différentes manières, même au sein de l’exposition.

La construction n’est pas seulement basculante, elle est aussi mobile. L’espace d’exposition neutre, d’une part, et le transport des sculptures, d’autre part, se révèlent bien plus proches l’un de l’autre qu’on ne l’imagine de prime abord.

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