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arts

Arpaïs Du Bois trouve son souffle dans le dessin

Par Maya Toebat, traduit par Sophie Hennuy
1 septembre 2025 7 min. temps de lecture

L’artiste anversoise Arpaïs Du Bois crayonne et croque ses impressions du monde dans des cahiers ou, parfois, sur de plus grands formats. Presque toujours, ses dessins s’accompagnent de phrases en français, langue qu’elle a héritée de son père. Pour elle, mots et images sont inextricablement liés.

D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Arpaïs Du Bois a toujours dessiné. Son crayon à la main, ses pensées s’activent, sa respiration s’apaise. Elle en a d’autant plus fait l’expérience durant la formation en graphisme appliqué qu’elle a suivie à l’école d’art Sint Lucas à Anvers. «Nous travaillions pour atteindre un résultat», explique-t-elle, «nous étions donc supposés abandonner certaines choses en cours de route. Je trouvais ces limites passionnantes. Toutefois, j’ai très vite su que ce n’était pas ma voie. Depuis, j’ai continué à dessiner pour garder mes idées en mouvement.»

Durant cette période, elle a également traversé des événements qui ont bouleversé sa vie et qu’elle a souhaité immortaliser. Elle s’épanche peu sur cette époque. Elle précise cependant que les choses devaient aller vite, car tout était sur le point de changer. «C’est à cette époque que j’ai ouvert mes premiers carnets», indique-t-elle. «Grâce à leur petit format, je les ai toujours sous la main. Ils m’aident en outre à rassembler mes pensées et à les structurer de manière séquentielle. Une page que l’on tourne invite la suite du cheminement des pensées. Le carnet donne une orientation».

Lorsque l’on tourne une page et que l’on referme le carnet, on clôture une étape. Pour Arpaïs, toutefois, les cahiers connaissent une prolongation infinie. «La texture de la page, son bruissement lorsqu’on la tourne: c’est comme une respiration… Je ne peux plus vivre sans». C’est le cas également du papier, support qu’elle s’est pleinement approprié. D’abord au crayon et au fusain, puis à la peinture. «C’est une sorte de conversation: le papier est fragile, il se froisse, absorbe, il réagit et répond. Cela implique que j’observe un certain rythme dans mon travail. Lorsque je travaille le papier trop longtemps, il se rebiffe. Je dois alors parfois prendre le temps de laisser sécher la première couche. Depuis peu, je travaille également sur du bois, mais je traite d’abord le matériau dur pour qu’il se rapproche davantage du papier. Je le ponce, le dompte et le blesse pour appeler l’interaction que je ressens avec le papier.»

Le papier n’est pas seulement la matière première d’Arpaïs. C’est un moteur qui maintient son œuvre en mouvement. C’est également ce qui se produit lorsqu’elle travaille non plus dans un carnet, mais sur un plus grand format. Parfois, elle remarque qu’un petit format ne suffit pas. «Pour certains projets, je dois me tourner vers d’autres formes. Mon poignet, mon coude et le haut de mon corps se synchronisent. C’est très physique, tout comme le fait de se pencher sur un petit carnet concentre mes pensées sur l’essentiel».

Un rituel

Elle parle de ses dessins comme s’ils la tenaient dans le creux de leur main, et non l’inverse. «Un dessin arrive en effet sous l’impulsion d’une urgence absolue. Bien que mon travail soit tout sauf paisible, je sens à ce moment-là que je suis à ma place. Sinon, je ne passerais pas autant d’heures chaque jour dans mon atelier». Il s’agit également de consacrer du temps à ce dont on a besoin et pour Arpaïs, dessiner est un rituel quotidien. «Aucun jour ne passe sans que j’aille dans mon atelier», ajoute-t-elle. «Parfois, je crée une seule œuvre, parfois plusieurs. Je ne me lève jamais avec un projet, car je dois d’abord m’imprégner de ce que j’esquisse ou écris».

Pour ce faire, elle laisse d’abord la vie s’empreindre en elle en journée. Le matin, elle s’occupe des aspects pratiques. Une fois par semaine, elle donne aussi des cours à l’école d’art Sint Lucas d’Anvers. Ce n’est que le soir que le besoin de créer se fait sentir. «Alors, le monde extérieur ralentit, je me replie sur moi-même et je peux me concentrer sur la relation avec les événements de la journée». La quiétude vespérale l’aide à trouver l’introspection qui s’exprime dans son travail. Cela ressemble à un murmure qu’elle laisse échapper depuis l’intérieur, encore et encore. «C’est un processus intense durant lequel je mets tout de côté, car je ne peux pas le faire à moitié. Je dois être accessible de tout mon être».

Superposition

Au fil des lignes et des formes couleur terre, elle explore les impressions du monde qui l’entoure. Elle les accompagne presque toujours de phrases en français, langue qu’elle a héritée de son père. Langue et image sont en effet inextricablement liées. Depuis notre enfance, des images accompagnent les mots. «Ces deux univers se chevauchent», indique-t-elle, «même durant cette conversation». «Les mots ont immédiatement été présents, dès les premiers cahiers, et cette corrélation n’a fait que se renforcer à mesure que la couleur et la peinture ont pris de l’importance».

«C’est intéressant, car finalement, je superpose deux fonctions cérébrales différentes», observe-t-elle. «J’entends que de nombreux spectateurs considèrent le texte et l’image comme deux couches distinctes, surtout lorsqu’ils ne comprennent pas le français. Cela donne lieu à des conversations fascinantes. Par exemple, il y a 15 ans, j’ai créé un livre avec le photographe Masao Yamamoto.  Comme il ne parlait pas français, il a vu mes mots comme des dessins. Pour lui, il s’agissait de deux couches d’images; tout comme pour moi, mots et images se confondent, mais précisément en raison de la familiarité que j’ai avec le français».

Hong Kong

L’atelier d’Arpaïs, niché dans un immeuble d’angle à Anvers, recèle des centaines de cahiers, rangés de manière aléatoire sur une étagère murale. Cependant, elle s’y replonge rarement, à moins que cela soit nécessaire à la préparation d’un livre ou d’une exposition. Ainsi, dans le livre Hong Kong Whispers sorti récemment, elle dialogue avec les images du photographe allemand Michael Wolf, décédé cinq ans plus tôt.

«Il y a dix ans, alors que je pataugeais un peu, Michael m’avait invitée à Hong Kong, où il résidait», raconte-t-elle. «Je ne savais pas quoi y chercher, car j’avais plutôt besoin d’une prairie et de vaches. Mais son intuition s’est révélée formidablement juste. Ce fut pour moi une période de ressourcement dans un endroit bizarre. Là-bas, toute chose voit son intensité démultipliée, mais c’est dans cet univers bouleversant que je me suis véritablement retrouvée». Au fil de ces semaines, les deux artistes ont façonné des œuvres dictées par la métropole. «Nous avons réalisé une maquette de livre ensemble. Mais à mon retour en Belgique, elle a atterri dans un tiroir. Il y a quelque temps, la veuve de Michael a eu envie de relancer le projet. J’ai d’abord hésité, car je n’aime pas montrer mes anciens travaux et cette période avait remué beaucoup de choses en moi. L’idée m’a quand même semblé pertinente, notamment en mémoire de Michael».

Scénariste

Il est étrange de rouvrir un ancien ouvrage. Arpaïs ressent également cette impression lorsqu’elle assemble des pages de ses cahiers pour créer un nouvel ensemble en vue d’une expo. «Quand je procède à une telle relecture, j’ai l’impression d’être une cheffe d’orchestre ou une scénariste qui rompt l’ordre logique pour donner naissance à de nouvelles histoires. En y réfléchissant, je remarque que je travaille de manière beaucoup plus cohérente que je le pense souvent. Mon processus créatif semble parfois décousu, mais en fin de compte, il s’agit d’une même façon de penser harmonieuse».

Il existe parallèlement une évolution de la façon dont Arpaïs se positionne dans le monde et dont elle filtre l’univers dans ses dessins. «Quand on a vingt ans, on a de grands idéaux, mais on tâtonne un peu. On se trouve dans une petite bulle face à ce monde immense. Un des éléments positifs lorsque l’âge avance, c’est que ce rapport au monde évolue. Notre petite bulle entre davantage en lien avec tout ce qui se passe autour de nous». Cela est peut-être dû au fait que son œuvre revêt de plus en plus une charge politique: ses dessins sont les réflexions d’un individu vivant sur une terre en pleine décomposition, au sein d’une société qui s’étrique. Bien qu’Arpaïs évite les messages explicites, l’obscurité sous-jacente force la réflexion par le biais d’énoncés tels que «cibler l’indicible», «les écailles du monde» ou encore «ranger toutes nos ombres».

Arpaïs pense que c’est là que peut se trouver l’utilité de  l’art en temps de crise: imposer la paix. «On ne peut pas écouter de la musique, lire un livre ou observer un tableau de manière superficielle», affirme-t-elle. «Pour cela, il faut freiner et s’ancrer. Cela peut sembler inconfortable, car le monde continue de tourner et nous entraîne avec lui. Mais pour remettre les choses en question, il faut ralentir. L’art est l’un des seuls moyens d’approcher le temps en pleine conscience».

Hong Kong Whispers a été publié par Hannibal Books.
En savoir plus: arpais.com

Maya

Maya Toebat

journaliste indépendante et éditrice

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