Dix-huit jeunes auteurs et autrices de Flandre et des Pays-Bas donnent la parole à un objet du XVIIe siècle exposé au Rijksmuseum. Ils et elles ont écrit un texte à partir de la question suivante: quelles illuminations ressentez-vous en regardant ces objets? Avec David Weel, nous contemplons l’Adonis mourant du peintre Hendrick Goltzius. «Tu sens? Comme la lumière commence à briller?»
© Rijksmuseum, Amsterdam
Cet après-midi au bois
De même que tu te tiens maintenant aux pieds de cet homme mort, je me tenais aussi aux pieds d’un défunt. Il était peut-être un peu plus gris, un peu plus athée, plus habillé aussi que celui-ci, mais je t’assure que c’était un vrai mort. Et c’est pourquoi j’ose te dire ceci. Attends, je vais te le souffler.
De même qu’il est allongé, la main droite élégamment posée sur le bord du tableau, comme si, pour être sûr, il avait tracé son cadre du bout des doigts avant de mourir: oui, je finirai entre ces quatre lignes. Mais on n’exhale pas son dernier souffle encadré de cette manière.
De même que tu regardes à présent ce cadavre, je regardais le cadavre de son peintre, et c’est pourquoi précisément je m’interroge : où sont les taches mauves sur la peau pâle, comme de la peinture sur les doigts d’un artiste, le mélange de couleurs passé de la palette à la main?
De même qu’il est allongé là, un garçon à qui son père a demandé d’imiter l’Adonis mourant se couche aussi.
Un fils regarde son père, déshabille son propre corps d’homme en devenir, mal à l’aise, s’allonge sur la mousse et fait le mort. Doit-il se laisser aller complètement ou au contraire retenir sa respiration, demande-t-il. Écarter un peu les pieds? Et cette larme…
Un fils regarde son père. Il suit les coups de pinceau et imite. Si tu accentues un peu la couleur ici et que tu repousses cet arbre dans l’obscurité… Tu sens? Comme la lumière commence à briller?
Un fils regarde son père et compte les années où ils ne se connaissaient pas. Où le père n’était pas encore père, où le fils n’existait pas encore. Et le compte se transforme lentement en doute, sa silhouette si souvent capturée sur la toile pour les histoires d’un autre; son père le connaît-il en tant que lui-même?
Un fils regarde son père, le voit tenter de mélanger mythes et pigments et comprend que la réalité est peut-être mieux rendue par des mots que par la peinture.
Un fils regarde son père, l’écrit en une seule phrase sur le papier et voit que, ce faisant, il s’est aussi consigné lui-même. Ils riment.
Un fils regarde son père, il l’examine. Ce corps, raide et affaissé sur le lit. Pas la moindre élégance dans les mains, et il pense constamment: ce n’est pas ainsi que nous avions imaginé la mort cet après-midi au bois.
Et pourtant, il y a quelque chose de juste dans cette toile. Creuse un petit trou dans le sol, laisses-y couler des gouttes qui ne connaissaient auparavant que les veines, recouvre-les de terre. À cet endroit précis naîtra une fleur, plus rouge que tu n’en as jamais vu : une anémone qui, comme le regard du mort, poussera toujours vers la lumière.