Étaples, cimetière militaire et point de départ possible de la grippe espagnole
Les plats pays continuent leur exploration des lieux de guerre du nord de la France. À Étaples-sur-Mer, port de pêche qui fait face au Touquet, des milliers de soldats britanniques dorment pour l’éternité. Pourtant, on ne s’est jamais réellement battu ici.
De la route D940, qui sillonne le littoral du nord de la France, on commence à l’apercevoir par la droite en contrebas. Il faut cependant arrêter le véhicule sur le côté, en descendre et passer un portail entouré de deux pilastres pour en prendre réellement la mesure.
© Nicolas Montard
Depuis une grande terrasse de 70 mètres dont le centre est surmonté d’une croix avec l’inscription «Their name-liveth for ever more» et dont les extrémités sont occupées par d’immenses arches aux drapeaux de pierre, la vue est presque vertigineuse. Des milliers des tombes s’alignent à nos pieds. Les noms s’égrènent: W.J Armstrong, mort le 15 octobre 1917, R.E.C Chittock mort le 10 octobre de la même année, Robert Gordon, décédé le 4 décembre 1916, Philippe Tillard-Foyster le 11 décembre de l’année précédente…
© Nicolas Montard
Nous sommes ici dans le plus grand cimetière du Commonwealth en terre hexagonale. Conçu par Sir Edwin Lutyens, l’un des plus grands architectes britanniques de son temps, il est la dernière demeure de 11 436 hommes et femmes, dont une immense majorité de Britanniques (8817), mais aussi des Canadiens (1145), des Australiens (464), des Néo-Zélandais (261), etc.
© Nicolas Montard
À l’arrière du front
Pourtant, ici, on ne s’est pas réellement battu pendant la Première guerre mondiale. Mais Étaples, ville de 5 000 habitants, était stratégique: c’était la plus grande base militaire des forces britanniques et de son Corps expéditionnaire britannique en Europe continentale. Les raisons de ce choix sont multiples. Éloignée du front, la cité est à proximité des ports de Calais et Boulogne-sur-Mer, permettant d’acheminer hommes et matériel, mais aussi en liaison directe avec le front de la Somme. De plus, il y a de l’espace pour construire. Car après les tentes, on bâtira en dur pour édifier jusqu’à 20 hôpitaux, des camps de renforcements, des camps d’entrainements. 22 000 blessés pouvaient rester sur place, des logements étaient prévus pour 100 000 hommes! 2 500 femmes participaient aussi à la vie militaire des lieux: infirmières professionnelles, auxiliaires de la Croix-Rouge, femmes en cuisine, boulangères, conductrices d’ambulances. En 1917, jusqu’à 40 000 blessés transitent chaque mois…
© Nicolas Montard
La vie n’y est pas rose. Le poète britannique, Wilfried Owen, qualifiera les lieux d’«immense campement épouvantable, une sorte d’enclos où des bêtes sont parquées quelques jours avant le carnage final». Tolkien, le père du Seigneur des Anneaux, est aussi passé par ici. Les conditions sont tellement difficiles, les instructeurs tellement intransigeants que c’est ici qu’éclatera l’une des seules mutineries britanniques de la Première guerre mondiale, en 1917. Le point de départ aurait été l’arrestation d’un caporal qui conversait –c’était interdit– avec une infirmière. La révolte durera plusieurs jours. Une grande partie des mutins devra gagner le front, d’autres seront condamnés à des peines de détention. Un des meneurs est passé par les armes.
© Nicolas Montard
Ce sont tous les morts dans les hôpitaux locaux et des alentours qui sont enterrés ici, en bord de Canche, à partir de 1915. Après l’Armistice, les croix de bois sont remplacées par des stèles. Le cimetière, inspiré du Anglo-Boer War Memorial de Johannesburg, sera inauguré par Georges V en 1922. Un siècle plus tard, il reste l’ultime réelle trace de l’immense camp d’Étaples. Un endroit où fourmillait tellement de monde qu’une hypothèse l’évoque comme l’un des points de la grippe espagnole qui décimera après la planète après la guerre.