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Jan Brueghel et Hendrick van Balen, un tandem bien rodé

Par Eric Bracke, traduit par Caroline Coppens
18 août 2025 7 min. temps de lecture

La nouvelle du décès de Jan Brueghel l’Ancien, emporté par le choléra le 13 janvier 1625, a plongé Anvers dans le deuil. Hendrick van Balen, qui avait réalisé quelque soixante-dix tableaux en binôme avec Brueghel, en a été profondément affecté. Quatre cents ans plus tard, le musée de Flandre à Cassel rend hommage à leur collaboration à quatre mains avec l’exposition unique «Brueghel & Van Balen, artistes & complices».

À la fin de l’exposition, un petit tableau me transperce le cœur. C’est la simplicité de la composition robuste qui me frappe. Cette Marie à l’enfant aux côtés de sainte Catherine paraît presque moderne, surtout après tout ce que je viens de voir: quelque soixante-dix scènes mythiques, allégoriques et bibliques finement peintes, grouillant de créatures à demi nues dans un paysage bucolique.

La Vierge en tunique rouge sur le simple panneau pourrait être une adolescente d’aujourd’hui un peu timide, les longs cheveux tombant librement autour de son visage. L’enfant donne du dynamisme à la composition en tendant son bras en diagonale vers sainte Catherine. Le giron sur lequel repose l’enfant n’est pas représenté en détail et l’arrière-plan reste vague également.

L’auteur de cette œuvre est Jan van Balen, fils de Hendrick van Balen. Le texte mural évoque un peintre méconnu, qui a appris le métier dans l’atelier familial et qui, au XVIIe siècle, a été considéré comme un imitateur maladroit de son père. Dans le catalogue, Bert Schepers, de la Rubenhuis (maison Ruben), consacre quelques pages à ce personnage disparu dans les brumes de l’histoire de l’art.

Plus célèbre que Rubens

C’est cependant sur le père de Jan van Balen, Hendrick van Balen (1574/1575-1632), que se concentre l’exposition. Si sa réputation a été très ternie, il était à son époque un peintre très respecté. L’historienne d’art espagnole Jahel Sanzsalazar, spécialiste de l’art anversois du XVIIe siècle, suggère qu’Hendrik van Balen était peut-être plus célèbre –et parfois mieux rémunéré– que son génial concitoyen Pierre Paul Rubens. Son élève le plus célèbre a été le très jeune Anton van Dyck, qui se perfectionnera plus tard dans l’atelier de Rubens. Frans Snyders, connu pour ses scènes de marché avec des victuailles étalées, a également été formé dans l’atelier de Hendrick van Balen. À partir de 1610, Snyders a d’ailleurs lui aussi collaboré régulièrement avec Rubens.

La bibliothèque de Van Balen témoignait d’une riche érudition et d’une curiosité sans limites. Pour ses œuvres mythologiques, le peintre puisait volontiers dans les textes d’Homère et d’Ovide. Son style était moins expressif et flamboyant que celui de ses contemporains baroques. Tout au long de sa carrière, Hendrick Van Balen s’en est tenu à une représentation sobre et délicate des personnages. Sa palette de couleurs équilibrée semble s’inspirer de l’école vénitienne.

Hendrick van Balen était à son époque un peintre très respecté, peut-être plus célèbre et même mieux rémunéré que Rubens

On sait peu de choses sur le voyage que Van Balen a entrepris en Italie. Il se trouvait peut-être à Venise avant 1600, où le peintre allemand Hans Rottenhammer aurait influencé son style. Mais comme il a été admis en 1605 à la guilde des Romanistes, un cercle de voyageurs à Rome dont il est devenu le doyen 12 ans plus tard, on peut supposer qu’il ne s’est pas contenté d’une seule visite à la cité des Doges.

Contrairement à son compagnon Jan Brueghel, dont la mort a mis fin à une collaboration artistique de 25 ans, Van Balen n’était pas issu d’une famille d’artistes. Son père était un marchand anversois qui vendait de l’huile, des bougies et des produits d’épicerie. Selon les sources, Hendrik aurait été formé par Adam van Noort ou Marten de Vos.

Le Brueghel de velours

À Anvers, qui redevenait peu à peu une métropole florissante après la «furie iconoclaste» de 1566, Jan Brueghel et Hendrick Van Balen ont vécu longtemps dans la même rue. En 1604, Brueghel a acheté en effet la maison De Meerminne dans la Lange Nieuwstraat. Peu de temps auparavant, Van Balen avait également ouvert dans la Lange Nieuwplaats son atelier, qui a été rapidement très fréquenté. On peut supposer que les deux artistes, qui étaient amis, se voyaient presque chaque jour.

Jan Brueghel (1568-1625) est issu quant à lui d’une célèbre famille d’artistes bruxellois. Son père, Pierre Brueghel l’Ancien, surnommé «Pier den Drol», est décédé alors que Jan était encore en bas âge. Sa mère était la fille du peintre Pierre Coecke d’Alost. C’est sa grand-mère Mayken Verhulst, veuve de Pierre Coecke et elle-même aquarelliste renommée, qui lui a enseigné les rudiments de la peinture à l’eau.

À partir de 1583, Jan s’installe à Anvers pour travailler dans des ateliers de peinture en tant qu’assistant ou «compagnon». Il ne tarde pas à révéler son ambition à travers ses propres œuvres, dans lesquelles transparaît l’héritage de son père. Il a 20 ans à peine lorsqu’il entame un voyage de quatre ans en Italie, voyage qui le mène, probablement via l’Allemagne, à Naples et à Rome. Ce ne sont pas seulement les ruines antiques, les torses classiques et les paysages italiens qui ont marqué ce voyage, mais aussi les rencontres avec des artistes locaux et les Fiamminghi, des artistes des Plats Pays qui s’étaient installés dans la région.

L’un d’eux était Paul Bril, maître dans la représentation des paysages italiens. Sa rencontre avec Bril à Rome en 1591 a éveillé chez Jan un goût prononcé pour les paysages. Bril construisait des paysages à partir d’éléments réels, mais les dessins italiens de Brueghel étaient plus fiables sur le plan topographique.

Grâce à sa virtuosité dans l’expression des matières, Jan était surnommé le Brueghel de velours

Cet aspect, les dessins à l’encre brune, est également mis en évidence dans l’exposition. La chercheuse Louisa Wood Ruby, de la Frick Art Research Library à New York, estime que c’est surtout dans les dessins de Jan Brueghel, et non dans ses peintures, que l’on retrouve les traces d’innovations artistiques. Contrairement à son frère aîné, Pierre Bruegel le Jeune, qui a continué à travailler dans le style reconnaissable et donc très commercial de son père, Jan a choisi sa propre approche. Lui aussi représentait la vie populaire, mais ses personnages ont généralement le visage détourné et, contrairement à celles de son père, ses œuvres ne véhiculent aucune morale. Il accordait toutefois beaucoup d’attention au raffinement d’une perspective subtile dans les paysages sillonnés de rivières et de routes.

Une fois membre de la guilde de Saint-Luc, Jan s’est intégré rapidement dans le milieu artistique anversois. L’un de ses bons amis était Rubens, qui a réalisé un portrait célèbre de Jan avec sa deuxième femme et leurs deux enfants. Il était le parrain des enfants et, après la mort de Jan, il a été chargé, notamment avec Van Balen, d’exécuter le testament. Rubens et Van Balen ont également été nommés cotuteurs des enfants après le décès de Jan.

Grâce à son lignage et à son réseau, Jan Breughel avait facilement accès aux princes et aux cardinaux. Il est ainsi devenu peintre officiel des archiducs Albert et Isabelle, et a reçu des commandes du frère d’Albert, l’empereur Rodolphe II du Saint-Empire romain germanique, et de Sigismond III, roi de Pologne. Il a aussi entretenu une relation de longue date avec le cardinal Federico Borromeo à Milan, même si pendant longtemps, la communication écrite avec le cardinal s’est faite par l’intermédiaire de Rubens.

Grâce à sa virtuosité dans l’expression des matières, Jan était surnommé le Brueghel de velours. L’exposition présente notamment une série de petites scènes bibliques peintes sur cuivre, dans lesquelles le peintre démontre ses compétences techniques à petite échelle. Deux représentations de l’enfer attirent particulièrement l’attention.

Sur une série de petits panneaux en bois, il a représenté des paysages boisés, parfois avec de minuscules personnages bibliques ou des chasseurs profanes. Bien sûr, les natures mortes florales, avec ou sans diamants au premier plan, et les couronnes de fleurs et de fruits ne pouvaient être absentes de cette rétrospective.

Chacun sa spécialité

Bien que Jan Brueghel l’Ancien et Hendrick van Balen aient eu leurs propres spécialités –le premier excellait surtout dans les paysages, les fleurs et les fruits, le second dans les personnages en mouvement (à demi nus)–, il est difficile de déterminer qui a peint quelle partie des 13 œuvres communes présentées dans cette exposition.

Cela n’a rien d’exceptionnel. Une telle répartition du travail était déjà courante à Anvers et la cohérence des produits qui sortaient des nombreux ateliers était généralement étonnante. Il a sûrement fallu un dialogue sensible pour faire disparaître la «patte» individuelle des différents coauteurs dans l’ensemble. L’un donnait-il l’impulsion et le second essayait-il ensuite de poursuivre dans les mêmes tons chromatiques et avec un coup de pinceau similaire? Ou bien le premier retouchait-il par la suite les parties peintes par son partenaire?

Il est difficile de répondre à ces questions aujourd’hui. On peut toutefois supposer que dans les tableaux où de nombreux personnages occupent la plus grande partie de la surface, comme dans «Pluton enlevant Proserpine», Van Balen a donné le ton et Brueghel a joué un rôle secondaire, au sens propre comme au figuré.

Il existe un dessin antérieur de Van Balen conservé au Louvre, inspiré de ce panneau provenant d’une collection muséale de Brighton (Royaume-Uni). En comparant les deux œuvres, on constate que la composition a subi quelques modifications mineures: un cupidon apparaît derrière Pluton et la voiture de Pluton a été ajoutée au loin. Le panier de fleurs qui occupe le centre du dessin a été déplacé complètement à gauche et, dans le tableau, la nymphe est coiffée d’un chapeau orné d’une fleur. Ces modifications seraient-elles de la main de Brueghel?

C’est une question à débattre après la visite du musée, sur une terrasse de la Grand-Place. Mais ce qui m’intéresse encore plus, c’est ce Jan van Balen. Cette exposition permettra-t-elle au fils de Hendrick d’être redécouvert?

«Brueghel & Van Balen, Artistes & complices» se déroule jusqu’au 28 septembre 2025 au musée de Flandre à Cassel.

EB

Eric Bracke

critique d'art

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