Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

Johannes Lievens – Chêne pédonculé
© Collection Rijksmuseum, Amsterdam / Marianne Hommersom
© Collection Rijksmuseum, Amsterdam / Marianne Hommersom © Collection Rijksmuseum, Amsterdam / Marianne Hommersom
Le calme avant la tempête
Littérature

Johannes Lievens – Chêne pédonculé

Dix-huit jeunes écrivain∙es de Flandre et des Pays-Bas donnent la parole à un objet du XIXe siècle exposé au Rijksmuseum. Ils et elles ont écrit une histoire en se posant la question suivante: que voit-on lorsqu’on regarde ces objets dans la perspective d’une catastrophe imminente? Avec Johannes Lievens, nous nous penchons sur l’encrier du baron Chassé. «La perspective d’une catastrophe majeure nous rassure.»

Chêne pédonculé

  «J’ai l’honneur de signaler à Votre Altesse Roïale que rien ne s’est produit ici ni dans les environs jusqu’à ce moment.»

  Nous étions en 1832 et le général Chassé était assis dans sa chambre, dans la citadelle d’Anvers. Celle-ci était le seul endroit de Belgique à être encore aux mains des Néerlandais. Le général attendait une attaque. L’attaque. Il était dans l’armée depuis ses dix ans. À présent, tout allait changer.

  Seulement voilà, l’attaque n’avait pas encore commencé. Aussi le général Chassé dévissa-t-il le bouchon de son encrier, trempa-t-il sa plume dans l’encre et regarda-t-il fixement devant lui. Il se demandait quoi écrire dans son courrier quotidien au roi.

  En général, il trouvait quelque chose. Il décrivait comment l’ennemi s’était rapproché encore un peu, ou bien ce qu’il restait de provisions dans la citadelle.

  Mais pas aujourd’hui. Il n’avait plus d’idée. Il nota:

  «J’ai l’honneur de signaler à Votre Altesse Roïale que rien ne s’est produit ici ni dans les environs jusqu’à ce moment.»

  La perspective d’une catastrophe majeure nous rassure. Le changement climatique est l’une des catastrophes majeures de notre époque, et pourtant, nous en sommes encore à parler de promesses pour 2030, de mesures pour 2050 et de conséquences pour 2100.

  Tandis que nous attendons la fin, écrivains, artistes, journalistes et activistes se chargent de nous fournir un avant-goût des désastres à venir. Des images de sécheresses, d’inondations, de vagues migratoires, de pénuries d’eau potable, de feux de forêt.

  Et pourtant, ce n’est jamais assez. La catastrophe est encore plus grave! Encore plus inimaginable! Nous avons besoin d’encore plus d’imagination!

  Mais dire que cette catastrophe requiert notre imagination revient aussi à dire que rien ne s’est produit ici ni dans les environs jusqu’à ce moment.

  Trois soldats porteurs de ce message du général Chassé ont traversé l’Escaut à bord d’un bateau postal pour aller retrouver le roi des Pays-Bas. En chemin, leur voile a été mise en pièces, et ils ont bravé la mer du Nord. En fin de compte, le message est arrivé jusqu’au roi, et plus tard jusqu’à moi, et à présent jusqu’à vous.

  «J’ai l’honneur de signaler à Votre Altesse Roïale que rien ne s’est produit ici ni dans les environs jusqu’à ce moment.»

  Toutes sortes de choses s’étaient pourtant déjà produites.

  Dans le Caucase, un buis avait poussé jusqu’à avoir un tronc épais comme le bras. On avait abattu l’arbre et fait sécher le tronc, que l’on avait découpé en forme d’encrier.

  Une poignée de sable quartzeux avait été chauffée dans un four à bois jusqu’à ce qu’elle fonde, puis soufflée en forme de flacon d’encre par les poumons d’un être humain.

  L’encre du flacon avait été fabriquée à partir de noix de galle écrasées, ces cocons de mésophylle que confectionnent les mères cynipidés pour leurs larves sous la feuille du chêne pédonculé.

  Mais le général n’en vit rien. Il trempa sa plume dans l’encre et regarda fixement devant lui. Il écrivit que jusque-là, rien ne s’était produit.

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