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Laisser la mer tranquille: l’océanoptimisme en Flandre et aux Pays-Bas

Par Tomas Vanheste, traduit par Ludovic Pierard
23 octobre 2024 13 min. temps de lecture Avec la mer du Nord

Nombreux sont les fléaux qui dévastent les mers. Surpêche. Changement climatique. Acidification. Pollution. Perte de biodiversité. Pourtant, le Flamand Jan Mees et la Néerlandaise Eline van Onselen estiment que l’optimisme reste de mise. Selon ces deux experts, ce ne sont pas les solutions qui manquent. La première et la plus simple: laisser de grandes zones océaniques tranquilles.

Le jour avant ma rencontre avec Jan Mees, directeur du VLIZ (Vlaams Instituut voor de Zee – Institut flamand de la mer), est paru un rapport aux conclusions peu réjouissantes sur la situation des animaux migrateurs de notre planète. En 1979, les Nations unies ont ratifié une Convention sur la conservation des espèces migratrices. Mais quarante-cinq ans plus tard, le bilan est sans appel: le problème n’a fait qu’empirer, notamment pour les poissons, qui sont plus que jamais en danger. 97 % des espèces reprises sur la liste des Nations unies sont en effet menacées d’extinction. C’est par exemple le cas de la raie bouclée et de l’esturgeon atlantique, deux ex-habitués de la mer du Nord qui en ont aujourd’hui pratiquement disparu.

Un constat peu enthousiasmant, donc. Mais qu’à cela ne tienne, j’allais justement voir Jan Mees dans le but de reprendre espoir. «Les mers sont extrêmement robustes. Elles sont capables de se régénérer», avait-il fait noter dans la revue de lage landen. Dans le livre De onbekende zee (Les Mystères de la mer), qu’il a récemment publié avec Colin Janssen, professeur d’écologie marine, Jan Mees assure que nous devons rester optimistes. Nous faisons certes face à un flot de problèmes interreliés tels que l’érosion de la biodiversité, le réchauffement planétaire et la pollution, mais des solutions existent et elles sont à portée de main.

Je suis également parti chercher une dose de courage aux Pays-Bas, et plus précisément auprès de l’écologiste marine Eline van Onselen. Elle travaille actuellement à la création d’une «boîte à outils» pour la Stichting De Noordzee (Fondation néerlandaise pour la mer du Nord). Il s’agit d’un ensemble de méthodes qui sera bientôt disponible sur le site Internet The Rich North Sea, qui regorge d’informations pratiques, de solutions concrètes et de projets inspirants destinés à celles et ceux qui souhaitent donner un coup de pouce à la mer du Nord. «Nous pouvons nous recroqueviller dans un coin pour pleurer, mais ça ne fera pas avancer les choses, donc autant rester optimistes», me dit-elle lors d’un appel vidéo.

Enrayer le trio dévastateur

Jan Mees qui, en plus d’être directeur du VLIZ, est également professeur de biologie marine à l’université de Gand, plaide en faveur d’une approche fondamentale. «Il faut avant tout s’attaquer aux causes de la perte de biodiversité», m’annonce-t-il dans son bureau, situé dans le port d’Ostende. «Pour la mer, il s’agit de la pollution, de la destruction d’habitat, de la surpêche et du changement climatique. Le réchauffement de la planète entraîne un trio de facteurs dévastateurs pour la vie marine: la température augmente, la mer s’acidifie et la quantité d’oxygène diminue. Et ces trois problèmes ont une seule et même cause: l’utilisation de combustibles fossiles.»

Dans De onbekende zee, il explique par le menu que les océans menacent de suffoquer. Ils absorbent pas moins d’un quart du CO2 émis par l’homme, ralentissant ainsi le réchauffement de la Terre. Mais ce phénomène n’est pas sans conséquences. Dans l’eau de mer, le CO2 se dissout pour former de l’acide carbonique, ce qui a pour effet d’acidifier l’eau.

Dans cet environnement acide, les organismes calcifiants comme les coquillages ont du mal à construire leur squelette calcaire. De nombreuses espèces de phytoplanctons -des microorganismes qui flottent dans la mer- ont également un squelette calcaire. Or, la diminution de la quantité de phytoplanctons dans les océans pose un double problème, car il s’agit, d’une part, du premier maillon de la chaîne alimentaire marine et, d’autre part, du plus grand producteur d’oxygène de la planète.

Pour freiner le réchauffement climatique et ses conséquences néfastes sur la vie marine, nous devrons «nous affranchir de notre dépendance au carbone», pour citer Mees. «Le plus tôt sera le mieux.»

Le jour de notre entretien, il faisait gris et brumeux, mais, en temps normal, la fenêtre de son bureau offre une vue sur la mer et, par temps clair, se dessinent à l’horizon les éoliennes de C-Power, le premier parc éolien installé en mer du Nord belge.

«En Belgique, nous sommes des pionniers», affirme Mees. «Nous nous y sommes mis très tôt et nous avons déjà rempli une bonne partie de notre portion de mer du Nord. Nous avons bien entamé notre sortie des énergies fossiles. Mais, en réalité, il faudrait tout bonnement arrêter d’extraire des combustibles fossiles du sol dès aujourd’hui. Chaque dixième de degré compte.»

Laisser la mer tranquille

Soyons de bonne foi et imaginons que l’humanité parvienne à se libérer de cette dépendance. Il lui resterait encore pas mal de mauvaises habitudes à éliminer. La surpêche, par exemple. «Notre cabillaud se fait rare», déplore Mees. «Nos précieuses crevettes sont également en difficulté. On constate que certaines populations de poissons sont mises à rude épreuve, entre la surpêche et le trio dévastateur du changement climatique. Nous risquons de nous retrouver dans une situation où la pêche commerciale ne sera plus possible et où les écosystèmes ne fonctionneront plus.»

Comment endiguer ce phénomène? «C’est assez simple», estime Mees. «En laissant de grandes zones océaniques tranquilles. Je ne parle pas seulement d’aménager des parcs sur le papier, mais de délimiter concrètement des zones dans lesquelles la pêche et toute autre activité seraient interdites. Les organismes pourraient ainsi s’y rétablir, puis retourner dans des zones où l’activité est autorisée.»

Pour l’instant, même les zones de protection du réseau européen Natura 2000 sont toujours accessibles aux pêcheurs. Dans la partie belge de la mer du Nord, seules deux zones sont complètement interdites à la pêche. Le dépôt de munitions Paardenmarkt. «Perturber le fond risquerait de faire remonter du gaz moutarde. Mais c’est une toute petite zone», nuance Mees. Et les parcs éoliens. «On ne peut ni y naviguer ni y pêcher et on ne peut pas non plus en perturber le fond. Il s’agit des premières véritables zones d’interdiction de la mer du Nord belge. Mais cela vient surtout du fait que ces installations sont bien trop chères pour risquer qu’un bateau les accroche.»

En plus de produire de l’électricité verte, les parcs éoliens ont donc le mérite d’offrir de petits coins de mer relativement calmes. Et c’est une chance que nous devons saisir, d’après la Stichting De Noordzee.

«Lorsque vous installez du matériel en dur dans la mer, vous créez un effet récif », explique Eline van Onselen, impliquée dans le programme The Rich North Sea. «Les récifs naturels ont pratiquement disparu au cours des deux, trois derniers siècles. Nous avions des récifs pleins de coquillages. Nous y avons pêché et amené des maladies. Mais si nous installions de nouveaux substrats durs dans la mer, de nouveaux récifs se formeraient.»

On est en train de poser des blocs de granit autour des fondations des éoliennes pour les protéger contre l’érosion. «Cela profite à toutes sortes d’espèces», se réjouit la biologiste. «Mais on pourrait peut-être aider encore plus la nature en optimisant le format et le choix du matériau de ces blocs, en créant par exemple plus d’angles et de creux. Notre boîte à outils inclut plusieurs suggestions en matière de formes et de matériaux.»

The Rich North Sea aimerait que la qualité des mesures de renforcement de la nature fasse partie des grands critères de tout marché public lancé par le gouvernement en vue de créer un nouveau parc éolien. Jusqu’ici, cela n’est arrivé qu’une fois. Le projet a alors été attribué à Ecowende, dont le parc sera construit à plus de cinquante kilomètres de la côte néerlandaise, près d’IJmuiden. Un nouvel appel d’offres écologiques est en cours pour la zone d’IJmuiden Ver. «Les Pays-Bas jouent un rôle de pionnier», estime Van Onselen. «C’est le seul pays qui impose des critères écologiques dans ses appels d’offres.»

La biologiste marine doit toutefois reconnaître que le renforcement de la nature dans les parcs éoliens n’a rien d’une panacée. «Cela ne résout en rien le problème de la perte de biodiversité, mais grâce à ces mesures de renforcement de la nature et à la tranquillité qu’offrent les parcs éoliens, nous pouvons aider la nature à se relever. Nous avons surexploité la mer du Nord pendant des siècles et des siècles. Le fait que nous nous en sommes rendu compte constitue déjà un grand pas en avant.»

Eline van Onselen: Nous pouvons nous recroqueviller dans un coin pour pleurer, mais ça ne fera pas avancer les choses, donc autant rester optimistes

Les autorités néerlandaises désignent à présent, au compte-gouttes, des portions de mer où toute activité est interdite. Cela vaut non seulement pour la pêche, mais aussi pour l’extraction de sable ou de gaz et pour le stockage de CO2. «C’est beaucoup trop lent», déplore Van Onselen. «Environ cinq pour cent de la mer du Nord néerlandaise sont actuellement protégés, mais il faudrait que ce soit au moins vingt, et de préférence trente.»

Un avis entièrement partagé par Jan Mees. «Un accord a été trouvé au niveau des Nations unies pour protéger trente pour cent des océans au-delà des zones économiques exclusives des différents pays. Je pense que nous devrions faire de même pour toutes les mers, et le plus simple serait d’organiser cela à l’échelle nationale. Cela veut dire que les Pays-Bas, la Belgique, la France, etc. devraient tous veiller à ce que trente pour cent de leurs eaux territoriales soient protégés. La biodiversité pourrait ainsi se régénérer dans ces zones où toute activité serait bannie.»

Interdire les méthodes de pêche destructrices

Pour Jan Mees, il faut également interdire les méthodes de pêche destructrices. «Malheureusement pour nos pêcheurs néerlandais et belges, cela inclut les chaluts, ces immenses filets lestés qui raclent le fond et emportent tout sur leur passage, anéantissant de ce fait l’hétérogénéité qui devrait normalement régner dans les fonds de la mer du Nord. Face aux chalutiers, les bancs d’huîtres et de moules n’ont aucune chance. La pêche au chalut en eau profonde a déjà été interdite au niveau européen, mais il faudrait l’interdire aussi dans d’autres zones.»

Jan Mees: L’aquaculture peut être une bonne solution, à condition qu’elle n’aggrave pas la surpêche

Dans De onbekende zee, on retrouve un graphique fascinant qui montre que la pêche de poissons sauvages stagne, tandis que la production de poissons d’élevage explose. La production de l’aquaculture a rattrapé celle de la pêche vers 2010. Pour l’instant, il s’agit surtout de poissons d’eau douce élevés en Chine, mais d’après Jan Mees cette tendance devrait se poursuivre et gagner le reste du monde, y compris pour les espèces marines.

«L’aquaculture peut être une bonne solution, à condition qu’elle n’aggrave pas la surpêche», déclare-t-il. «Si nous concentrons l’aquaculture sur des prédateurs comme le saumon, qui ont besoin d’autres poissons pour grandir, cela ne nous avancera à rien. On pêche déjà énormément de petits poissons pour nourrir les saumons d’élevage, sans parler de tous ceux qui sont transformés en farine pour l’alimentation des poulets ou des porcs. Ce sont des pratiques épouvantables dont on ne parle pas assez.»

L’aquaculture à laquelle aspire Mees puise les nutriments nécessaires dans l’océan et ses déchets avec, par exemple, des moules, des huîtres et des algues qui se nourrissent de plancton, ou des poissons herbivores qui mangent des algues et d’autres coquillages et crustacés. «Avec les technologies modernes, ce sont des aquacultures que nous pourrions mettre en place pour nourrir le monde tout en respectant l’environnement.»

Arrêter de polluer

Un autre fléau que nous devons combattre est la pollution des océans. Le monde compte environ 350 000 substances chimiques, dont la plupart finissent dans nos mers.

«C’est un problème tellement énorme que le cerveau humain n’est pas capable d’en mesurer l’ampleur», constate Mees. «Les produits chimiques lâchés chaque année dans l’environnement sont tellement nombreux qu’il est impossible de connaître l’impact de chacun. En réalité, on peut comparer la pollution à une hydre à plusieurs têtes. Et c’est pour cela que les décideurs politiques ont tant de mal à la combattre. Avant, on s’inquiétait surtout pour les métaux lourds. Puis ça a été au tour des PCB. Aujourd’hui, on s’attaque aux PFAS et aux perturbateurs endocriniens.»

Alors que Jan Mees est généralement plein d’entrain, il me semble ici avoir un peu de mal à se montrer optimiste. «Apparemment, nous sommes bloqués dans un schéma où nous agissons toujours quand il est trop tard. Le temps que nous réalisons que quelque chose ne va pas, le mal est déjà fait. Quoi qu’il en soit, nous devrions au moins avoir le réflexe d’intervenir plus vite, dès les premiers signes du problème.»

Et puis il y a aussi la quantité astronomique de plastique dans les océans. D’après une récente étude, près de 171 000 milliards de particules de plastique flottent à leur surface. Dans De onbekende zee, Mees avance que le recyclage est une solution qu’on surestime. «La seule solution est d’éviter que du plastique soit rejeté dans l’environnement. Une bonne partie de la population a conscience du problème et les politiques commencent également à s’y intéresser. Les consommateurs et les producteurs font tous des efforts pour consommer moins de plastique, mais la question est de savoir si le changement sera assez rapide.»

Dans certains pays africains, comme le Rwanda, les sachets en plastique sont interdits. «Ça devrait également être le cas ici», soutient Mees. «Il y a dix ans, je suis allé au Kenya et en Tanzanie. Les rues étaient jonchées de sacs en plastique. Quand j’y suis retourné, il y a deux ans, ces pays étaient propres et il n’y avait plus de plastique au bord des routes.»

Si nous faisions en sorte que plus aucun plastique ne rejoigne l’océan via nos rivières, tout ce que nous avons produit jusqu’ici formerait, dans le sédiment des océans, une couche géologique qui serait toujours visible d’ici dix mille ans. «Nous en serions débarrassés, parce que l’océan peut se nettoyer en l’enterrant», présage Mees. «Mais nous devons faire quelque chose. Tant que ces microplastiques sont présents en grande quantité dans l’eau, ils interfèrent avec l’écologie alimentaire des espèces. Elles ingèrent ces petits grains au lieu de manger des particules de nourriture et pensent qu’elles sont rassasiées. Mais elles ne le sont pas et elles finissent par mourir de faim.»

Collaborer

L’un des grands messages de De onbekende zee est qu’il n’y a qu’un seul et unique océan ; que toutes les mers sont liées. Cela signifie en toute logique que les solutions locales ne pourront pas tout régler et que nous avons besoin d’une approche internationale.

L’une des grandes menaces pour l’océan, qui requiert une coopération internationale, n’est autre que l’exploitation minière des grands fonds marins. «J’ai milité pour mettre un frein à l’exploitation minière des grands fonds marins avant même qu’elle commence», se rappelle Mees. «Cela revient à pêcher au chalut pour récolter des nodules de manganèse dans le plus vieil écosystème du monde. Tout ce qui sera extrait de ces fonds sera perdu à jamais. Si on se lance là-dedans, je ne donne pas cher de l’avenir des océans.»

La Belgique et les Pays-Bas sont deux pays qui ont encore beaucoup à apprendre l’un de l’autre, notamment en ce qui concerne l’aménagement des parcs éoliens installés de part et d’autre de leur frontière commune

Atteindre un consensus international pour empêcher l’exploitation minière des grands fonds marins serait un véritable tour de force. Mais une collaboration accrue entre les Pays-Bas et la Belgique dans notre petit bout de mer du Nord serait déjà un bel accomplissement. «La nature se moque des frontières», indique Eline van Onselen. «Il est important de tenir compte de l’ensemble de la population. Chez les oiseaux, vous avez des zones de reproduction et des routes de migration. Nous devons tendre vers un plan global qui tiendrait compte de tout cela. Nous devons trouver un moyen de protéger efficacement les habitats et les espèces, indépendamment des frontières.»

Pour la biologiste de The Rich North Sea, il existe un autre point sur lequel la Belgique et les Pays-Bas pourraient s’accorder davantage. «Je pense que la Belgique et les Pays-Bas sont deux pays qui ont encore beaucoup à apprendre l’un de l’autre, notamment en ce qui concerne l’aménagement des parcs éoliens installés de part et d’autre de leur frontière commune.» Du côté des Pays-Bas, on dénombre trois parcs éoliens au large du village zélandais de Borssele. Un peu plus loin se trouve une série de parcs installés à hauteur de Knokke, en Belgique. L’idéal aurait été d’élaborer un plan commun afin de laisser un couloir pour les oiseaux migrateurs.

«Le faire d’un côté, mais pas de l’autre revient plus ou moins à ne rien faire. Et du côté belge, cela n’a pas été fait», regrette Van Onselen. Ce qui est fait est fait. Mais il n’est jamais trop tard pour commencer à se concerter. «Ce serait génial de pouvoir dialoguer davantage avec l’autre côté de la frontière pour déterminer quand arrêter les éoliennes en vue de la migration des oiseaux.»

Tomas

Tomas Vanheste

journaliste indépendant et rédacteur en chef adjoint des publications de de lage landen.

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