Partagez l'article

littérature

Noëlle Michel, une migrante linguistique, des romans dystopiques

20 juin 2025 7 min. temps de lecture

Née à Dijon, l’autrice et traductrice Noëlle Michel s’est installée à Gand voilà plus de deux décennies. Ingénieure en biologie de formation, son coup de foudre pour le néerlandais l’a fait migrer vers de nouveaux horizons. Demain les ombres, son deuxième roman, est traduit en néerlandais et le sera bientôt en anglais.

Elle a la réticence du traducteur mais la substance de l’écrivain, la modestie de celles et ceux qui travaillent avec les textes des autres mais la puissance de son propre récit. La Gantoise Noëlle Michel écrit des romans en français, sa langue maternelle, mais traduit aussi du néerlandais. Elle adore les langues, bien qu’elle soit ingénieure en biologie de formation. Un profil atypique? À priori, oui, mais ce n’est pas ainsi qu’elle le voit elle-même.

«Au départ, je voulais devenir vétérinaire,» raconte Noëlle Michel, «mais comme j’ai échoué à l’examen d’entrée, je suis devenue ingénieure en traitement d’eaux usées. J’aurais tout aussi bien pu me spécialiser en biologie marine ou en archéologie. À l’époque, j’ai trouvé un emploi près de Gand et me suis mise à apprendre le néerlandais. À un certain moment les gens pensaient que j’étais assez douée. Quand j’ai commencé à faire des traductions techniques, j’ai eu envie d’en faire plus. J’ai fini par entrer dans le monde de la traduction littéraire».

Quiconque a lu son roman Demain les ombres, un thriller dystopique plein de questions éthiques, anthropologiques et écologiques, fera facilement le lien avec la formation antérieure de Noëlle Michel. L’histoire, qui se déroule dans un futur proche, raconte comment une équipe de scientifiques gantois parvient à ramener à la vie un groupe de Néandertaliens grâce à une expérience génétique. «Mes études comportaient également un volet génétique, donc oui, j’en savais un peu plus à ce sujet. Et ma passion pour la biologie n’aura probablement pas échappé au lecteur. Par contre je connaissais très peu de choses sur les Néandertaliens et la préhistoire, j’ai donc consulté des spécialistes.»

Traductrice traduite

Noëlle Michel travaille à partir du néerlandais et a traduit en français des œuvres de Hanna Bervoets, Dirk De Wachter et Jan Brokken, entre autres. Elle rêve aussi de travailler, un jour, sur l’œuvre des autrices Gaea Schoeters ou Caroline Trujillo. Mais traduire vers le néerlandais son propre roman, écrit en français? «Quand même pas, non. J’ai appris à lâcher Demain les ombres, j’ai consulté plusieurs fois les traductrices, Nathalie Tabury et Ghislaine van Drunen, que je connaissais des ateliers de traduction et du circuit de la traduction. J’avais une grande confiance en elles et les avais proposées à l’éditeur moi-même. Lorsqu’elles ont commencé la traduction, j’ai fait quelques suggestions, oui, mais pas plus. Je leur ai laissé toute liberté, car la traduction, c’est de l’écriture. Une traduction n’est jamais la retranscription exacte d’une œuvre. On gagne, on perd parfois quelque chose, un traducteur essaie de rester neutre et modeste, mais au final, sa sensibilité et sa vision du monde transparaissent».

Depuis vingt-trois ans, Noëlle Michel vit à Gand. «Ce fut un véritable coup de foudre. Je venais de la région de Dijon, et bien que cette ville compte une importante population étudiante aussi, Gand était différente. Multiculturelle, vivante, ouverte sur le monde, progressiste. Je suis venue pour travailler, mais entre-temps mes enfants grandissent ici, dans les deux langues, et mon partenaire est flamand.»

Tout comme la ville, la langue aussi lui a fait tilt. Immersion et cours du soir: voilà comment elle a appris le néerlandais. «Le travail de traduction technique en entreprise m’a finalement donné envie de devenir indépendante, j’ai sauté le pas et je ne l’ai pas regretté un seul instant.»

Mais évidemment, le néerlandais n’est pas le français: «c’est une langue plus dense, plus concise, avec des mots comme “stoer” ou “gezellig”, qui veulent dire plein de choses mais rien que l’on puisse facilement coller en français.»

Le néerlandais est également une langue qui autorise aisément les néologismes ou utilise des prépositions qui suggèrent le mouvement de manière nuancée –«des choses pour lesquelles il faut parfois recourir à de longues périphrases en français».

«Si les traductions techniques ou commerciales sont très différentes, la traduction littéraire a été une véritable révélation pour moi», s’amuse Noëlle Michel. «Cela a commencé par un atelier où nous nous étions acharnés, avec d’autres traducteurs, pendant tout un après-midi sur une seule page. Un vrai travail d’artisanat. À la fin de l’après-midi, je m’étais dit: “déjà?” C’est là que j’ai su que c’était pour moi.» (rires)

Écologie, suspense et féminisme

Elle a beau avoir une passion pour la biologie et la génétique, Noëlle Michel a toujours été au contact des livres. Si elle a lu des classiques comme Alexandre Dumas ou Émile Zola, c’est avec des auteurs comme Stephen King, dans sa jeunesse, qu’elle a trouvé le véritable amour de la littérature. «Le suspense, l’horreur, la science-fiction, les policiers et le fantastique, voilà ce que j’aime. Des auteurs français comme Alain Damasio, par exemple, ou Serge Brussolo, dont je ne comprends pas qu’il ne soit pas plus connu, parce qu’il a une imagination incroyable. Ou bien, il y a l’Américain Dan Simmons, qui lui aussi m’inspire beaucoup. J’ai également lu tout Simone de Beauvoir et j’adore le travail de Virginie Despentes, car le féminisme me tient à cœur».

Au croisement de l’écologie, de la tension et de l’avenir, voilà où se situe l’univers littéraire de Noëlle Michel. «J’y travaille depuis longtemps, j’ai commencé à écrire bien avant de commencer à traduire. J’ai rédigé des textes courts, des nouvelles aussi, et puis, il y a environ douze ans, j’ai eu cette envie de me lancer dans un roman».

Demain les ombres n’est pas sa première œuvre. Cet honneur revient à Viande, paru en 2020, qui plonge le lecteur dans l’imaginaire de l’élevage intensif, du spécisme et de la violence économique et industrielle. Mais avant de déballer un troisième roman – «Je ne peux pas encore en dire beaucoup, sauf qu’il parle de l’effondrement des sociétés en Europe et de la migration d’Européens vers l’Afrique du Nord»– Noëlle Michel attend surtout avec impatience l’accueil de Demain les ombres dans le monde anglo-saxon. «Mon éditrice l’a recommandé à Olivia Taylor Smith de Simon and Chuster, qui a également publié Houellebecq et Despentes en anglais, et où l’on a beaucoup aimé mon livre. Il sortira donc en traduction anglaise à l’été 2026. C’est très excitant!»

Une profession artisanale

Si le vaste monde anglophone n’est déjà que peu ouvert aux traductions du français –une réalité que Le Monde des Livres a récemment détaillée– qu’en est-il de la réception des œuvres néerlandophones dans le monde francophone, domaine de prédilection de Noëlle Michel? «Bien sûr, le néerlandais n’est pas l’anglais, mais regardez des auteurs comme Lize Spit, qui marchent bien en français. Je constate que des efforts sont faits pour présenter la littérature néerlandaise au public francophone, par exemple à la Foire du Livre de Bruxelles. La Fondation néerlandaise pour la littérature  (Letterenfonds) et Littérature Flandre (Literatuur Vlaanderen) sont également des acteurs importants. Si vous y êtes accrédité en tant que traducteur, cela vous facilite l’accès et vous avez des propositions. En ce moment, je suis par exemple en train de traduire Leer me alles wat je weet (Apprends-moi tout ce que tu sais), une autre œuvre de Hanna Bervoets.»

Traduire est une tâche ardue, et Noëlle Michel doit parfois mettre son travail en suspens parce que la solution à tel ou tel problème ne s’est pas encore présentée, ou parce qu’elle n’est pas encore satisfaite de sa trouvaille. Elle se remet alors, le temps d’une pause, à l’écriture de son roman ou à un travail de traduction technique. Mais ce dont elle est sûre, c’est qu’elle ne veut changer de métier pour rien au monde.

Seul bémol: est-ce qu’il a encore un avenir? De nombreux traducteurs craignent que l’intelligence artificielle ne s’immisce bientôt dans leur travail. «Je n’ai pas de boule de cristal et je ne doute pas que l’IA aura un impact sur certaines professions.» «Mais sur la traduction littéraire? Avec toute la sensibilité que ce métier exige? Nous n’en sommes pas encore là, quand même! Si jamais nous avons moins de travail, ce sera plutôt pour des raisons économiques».

Dissuaderait-elle pour autant les jeunes de se lancer dans la traduction? «Ah non. Je ne me laisserais certainement pas décourager par de tels scénarios. En revanche, je recommanderais aux jeunes de suivre des cours et des ateliers de traduction, de se constituer un réseau et d’apprendre. La traduction est une profession très artisanale, mais on apprend aussi énormément, dans tous les domaines. Je pense que c’est un métier formidable».

Lode delputte

Lode Delputte

journaliste indépendant

Commentaires

  • Karel Appelmans

    Félicitations pour la Française, pourquoi les nombreux francophones qui habitent la Flandre belge ne peuvent- ou veulent-ils pas apprendre le néerlandais ?

Laisser un commentaire

Lisez aussi

		WP_Hook Object
(
    [callbacks] => Array
        (
            [10] => Array
                (
                    [0000000000002a730000000000000000ywgc_custom_cart_product_image] => Array
                        (
                            [function] => Array
                                (
                                    [0] => YITH_YWGC_Cart_Checkout_Premium Object
                                        (
                                        )

                                    [1] => ywgc_custom_cart_product_image
                                )

                            [accepted_args] => 2
                        )

                    [spq_custom_data_cart_thumbnail] => Array
                        (
                            [function] => spq_custom_data_cart_thumbnail
                            [accepted_args] => 4
                        )

                )

        )

    [priorities:protected] => Array
        (
            [0] => 10
        )

    [iterations:WP_Hook:private] => Array
        (
        )

    [current_priority:WP_Hook:private] => Array
        (
        )

    [nesting_level:WP_Hook:private] => 0
    [doing_action:WP_Hook:private] => 
)