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société

En Belgique, même les politiciens banalisent l’abus d’alcool

Par Anouk van Kampen, traduit par Alice Mevis
28 février 2025 6 min. temps de lecture

S’il existe une grande différence culturelle entre Belges et Néerlandais, elle réside dans la consommation d’alcool. C’est en tout cas le ressenti de la journaliste néerlandaise Anouk van Kampen résidant en Belgique, qui a constaté que de nombreux Belges trouvent tout à fait normal de commencer à boire dès les premières heures de la journée, voire juste avant de prendre le volant –y compris des politiciens pourtant censés montrer l’exemple.

Je me souviens de cet épisode, il y a quelques années, alors que je vivais en Belgique depuis peu, lorsqu’on m’a aimablement tendu une canette de bière à la gare de Bruxelles-Central. C’était dans le cadre d’une campagne promotionnelle pour une nouvelle bière sans alcool que les voyageurs de passage étaient invités à découvrir. Il était 11 heures du matin. Tandis que je rendais la canette intacte, perplexe, les voyageurs autour de moi dégustaient joyeusement cette nouvelle bière au milieu d’effluves houblonnés. Je n’avais encore jamais ressenti le besoin de ce goût et de cette odeur à cette heure-là, avec ou sans alcool. Même si la bière était gratuite (juste pour le plaisir de placer une petite blague sur les clichés collant à la peau des Néerlandais).

Pas d’alcool, donc pas de problème. Pourtant, cela reste à ce jour l’un des chocs culturels les plus marquants que j’ai vécus en tant que Néerlandaise installée en Belgique. Cette campagne répond apparemment à un besoin, me suis-je dit: celui d’un groupe de Belges désirant pouvoir étancher leur soif d’une bière dès le réveil. Voilà donc LA solution au problème: il est désormais possible de boire de la bière dès le matin tout en arrivant sobre au travail.

Le weekend, bien sûr, cette précaution n’est plus de mise. Le dimanche matin, quand je traverse la place du marché de ma ville de résidence, Gand, les verres sont toujours bien remplis. Devant le Carnavalscafé, les bières sont déjà sur les tables, dans un autre établissement, on trinque au cava, et les stands à café ne sont certainement pas uniquement fréquentés pour leur café, mais parce qu’on peut aussi y déguster un petit genièvre ou un vin chaud. Il est peut-être 17h au Vietnam, mais moi, je viens à peine de finir mon petit-déjeuner.

L’image de bons vivants associée aux Belges est peut-être un cliché, mais en matière d’alcool, ce n’est certainement pas un mythe. Je n’irais pas jusqu’à qualifier les Néerlandais de protestants modérés et abstinents lorsqu’il s’agit de boire: ils savent dûment lever le coude dès que l’horloge affiche cinq heures. Mais en Belgique, on a l’impression qu’il y a toujours de la place pour un dernier verre.

Alors qu’un Néerlandais consomme en moyenne huit litres d’alcool pur par personne chaque année, en Belgique, c’est un litre de plus. Toute occasion est bonne pour lever son verre: une naissance, un événement sportif, ou encore la réception traditionnelle du Nouvel An devant l’hôtel de ville -de nouveau à 11 heures du matin. Il n’est donc pas surprenant que la plupart des Belges choisissent de faire leur mois sans alcool non pas en janvier, mais en février, le mois le plus court de l’année.

Bien que la consommation moyenne d'alcool en Belgique ne se distingue pas tant au niveau international, la consommation problématique d’alcool, elle, se démarque clairement

Il me faut l’admettre, je participe moi aussi pleinement à la consommation d’alcool. Mais cette consommation excessive a évidemment aussi un revers. Bien que la consommation moyenne d’alcool en Belgique ne se distingue pas tant au niveau international, la consommation problématique d’alcool, elle, se démarque clairement. La plupart de mes connaissances peuvent facilement citer cinq personnes parmi leurs amis, leur famille ou leurs connaissances dont elles jugent la consommation d’alcool préoccupante.

Chaque année en Belgique, plus de deux mille jeunes sont admis aux urgences à cause d’une intoxication due à l’alcool. Aux Pays-Bas, ce chiffre est trois fois plus bas. Selon une étude de l’OCDE, 28% de Belges ont déclaré boire de manière excessive au moins une fois par mois, un comportement connu sous le nom de binge-drinking. Aux Pays-Bas, ce chiffre est inférieur de 9%. Chaque année, les décès liés à l’alcool sont plus de deux fois plus nombreux chez les Belges que chez les Néerlandais.

Deux fois plus d’alcool au volant

Dans une certaine mesure, cette consommation d’alcool relève bien sûr de leur propre responsabilité, si l’on fait abstraction des coûts sociaux qui s’élèvent en milliards. Seulement voilà, beaucoup prennent également la voiture après avoir bu. Une étude européenne récente a révélé que 19% des Belges ont déjà conduit en état d’ivresse, soit presque deux fois plus que la moyenne européenne. 7% ont déjà été impliqués dans un accident causé par un conducteur ayant dépassé la limite autorisée. Pas étonnant donc que les campagnes BOB contre l’alcool au volant aient été créées en Belgique, où prendre le volant après avoir bu reste encore largement toléré socialement.

«Les gens ne réfléchissent plus à la raison derrière les contrôles. Ils ont surtout l’impression d’avoir eu de la malchance lorsqu’ils se font prendre», m’a confié un policier lors d’un reportage sur les contrôles d’alcool. Le poste de contrôle devait être déplacé toutes les heures car son emplacement était rapidement partagé dans des groupes Facebook comptant des milliers de membres, permettant ainsi à ceux qui avaient trop bu de prendre un autre itinéraire. Je n’ai pas encore rencontré de Flamand qui ne soit pas au courant de la règle permettant de demander légalement un délai de quinze minutes à la police avant de souffler –un délai qui s’avère parfois crucial pour faire baisser le taux d’alcool dans le sang.

En Belgique, on a l’impression qu’il y a toujours de la place pour un verre supplémentaire

On pourrait penser que la politique a un rôle clé à jouer ici, et que les politiciens devraient être les premiers à donner l’exemple. Au lieu de cela, les incidents gênants s’enchaîent. En voici quelques exemples datant de 2023. Les bourgmestres de Bertem et de Beveren ont pris le volant en état d’ébriété, ce dernier provoquant un accident. Des amis du ministre de la Justice ont uriné contre une voiture de police lors de sa fête d’anniversaire, et le politicien N-VA Theo Francken dans un bac à fleurs à Bruxelles. Le président du parti de gauche Vooruit, Conner Rousseau, a tenu des propos racistes sous l’effet de l’alcool. «Qui n’a jamais été ivre une fois dans sa vie?», «je suis un être humain», «ce n’était que des propos d’ivrogne», furent le genre d’excuses qui s’ensuivirent. De tels d’incidents ne sont d’ailleurs pas vraiment nouveaux: plus d’une fois des politiciens ivres ont fait leur apparition au parlement. Ce n’est donc pas un hasard si l’alcool a été interdit l’année dernière à la cafétéria du parlement flamand.

En 2023, le gouvernement fédéral a également lancé un plan en vue de réduire la consommation d’alcool dans tout le pays. Le résultat a été plutôt timide. On peut encore acheter de l’alcool le long des autoroutes, mais plus après 22 heures. Il est interdit de consommer de l’alcool fort avant l’âge de 18 ans, mais la bière est autorisée. Les publicités pour l’alcool ont été interdites à la télévision, mais uniquement avant et après les programmes destinés aux mineurs. Il aura fallu 19 ans de négociations pour parvenir à ce résultat peu convaincant. Cela ne m’a guère étonnée: c’est exactement le genre de résultat auquel on est en mesure de s’attendre de la part d’élus qui devraient se comporter de manière exemplaire, mais qui au lieu de cela banalisent l’abus d’alcool et les actes stupides.

Anouk van Kampen

journaliste

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