Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

Guillaume de Rubrouck visite l’Empire mongol
Histoire mondiale de la Flandre
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Histoire

Guillaume de Rubrouck visite l’Empire mongol

1254

Au XIIIe siècle, l’Europe est fragilisée d’un point de vue géopolitique. L’islam continue de s’étendre, malgré les croisades, et les Mongols progressent. Un moine franciscain provenant de Flandre française est envoyé dans l’Empire mongol afin de conclure un pacte avec eux contre les musulmans.

Le marchand vénitien Marco Polo est connu pour être le premier correspondant européen à avoir rapporté un témoignage oculaire de Chine. Son compte rendu est donc d’une importance essentielle pour les Européens, qui se font ainsi une image et engrangent des connaissances à propos de l’Asie de l’Est. Marco Polo voyage en 1271, sous la protection de Kubilai Khan, le petit-fils de Gengis Khan, devenu grand khan des Mongols. Il longe la Route de la soie à travers l’Asie centrale et s’arrête à Cambaluc (Khanbalyk), la capitale de l’Empire mongol, l’actuelle Pékin. Le traitement privilégié que lui réservent les Mongols lui permet d’accéder à de nombreuses informations et de visiter certaines parties de l’Empire où aucun Européen n’était encore jamais allé.

Si un tel voyage est possible, c’est à mettre au crédit d’une formidable constellation géopolitique en Asie centrale, elle-même le résultat de la création de l’Empire mongol au cours du XIIIe siècle. Les Mongols, connus pour être de féroces conquérants, encouragent aussi le commerce de longue distance à l’intérieur de leur empire ; c’est ce qui explique pourquoi des marchands comme Marco Polo pouvaient s’y déplacer en relative sûreté. Dans une étude consacrée à l’économie mondiale aux alentours de l’an 1300, l’historienne américaine Janet Abu-Lughod accorde une attention particulière à l’ouverture commerciale qui suit la Pax Mongolica. Selon elle, le trafic commercial qui transite alors via la Route de la soie en fait temporairement une liaison importante entre la Chine, le Proche-Orient et l’Europe, à côté des routes maritimes existantes en bordure de l’océan Indien. Le commerce de longue distance entre l’Asie et l’Europe a donc connu un réel essor durant l’Empire mongol.

Marco Polo n’est toutefois pas le seul Européen, ni même le premier, à avoir pu profiter de la fenêtre ouverte sur l’Orient grâce à la Pax Mongolica. Vingt ans auparavant, certes dans à la faveur d’une offensive diplomatique, un moine franciscain originaire de Rubrouck (aujourd’hui en Flandre française) avait été envoyé chez les Mongols en tant que missionnaire et ambassadeur informel ; il avait ensuite rédigé un rapport de sa mission. Les circonstances de son voyage font de lui un témoin privilégié d’un épisode de l’histoire mondiale remarquable.

Au XIIIe siècle, l’Europe se trouve en effet confrontée à deux grandes menaces : l’expansion de l’islam, qu’on ne pouvait retenir malgré les croisades, et les attaques des Mongols qui, de 1236 à 1242, sous la conduite du petit-fils de Gengis Khan, Batu, avaient envahi l’Europe de l’Est et l’est de l’Europe centrale, infligeant de sévères défaites aux troupes des souverains européens. L’offensive ne prendra fin qu’au décès inattendu du grand khan Ögedeï, cet événement provoquant la retraite des dirigeants mongols vers la capitale Karakorum, dans l’actuelle Mongolie, pour se choisir un successeur. En 1245, le pape Innocent IV convoque un concile à Lyon afin de discuter de la stratégie à adopter en Orient. Il fait aussi envoyer des émissaires auprès de plusieurs chefs de file mongols, leur recommandant de cesser leurs assauts sur l’Europe et de se convertir au christianisme. La réponse de Batu se veut prometteuse : selon lui, il existe déjà des Mongols chrétiens et il a d’ailleurs bien l’intention de faire baptiser son fils. Fort de ces perspectives, mais aussi ragaillardi par les rumeurs persistantes selon lesquelles il existerait un puissant royaume chrétien en Orient, le royaume du prêtre Jean, capable de faire basculer l’équilibre des pouvoirs entre chrétiens et musulmans, le pape envisage de conclure une alliance avec les Mongols contre les Sarrasins. En 1246, une nouvelle ambassade est envoyée à l’est ; elle se compose cette fois de Jean de Plan Carpin, un religieux franciscain, et de Benoît de Pologne, un frère mineur polonais.

La réponse du nouveau khan est cependant décevante : il appelle le pape à devenir son vassal et lui fait clairement savoir qu’il n’a aucun intérêt à conclure une alliance contre les musulmans. Les choses ne se passent guère mieux lors de l’ambassade suivante, en 1249. Alors qu’il perçoit une fois de plus des signaux positifs de la part d’Eljigidei, commandant mongol en Perse, le roi de France Louis IX envoie André de Longjumeau à Karakorum. Mais à l’arrivée de ce dernier, le khagan suprême Güyük vient de décéder et sa veuve fait à nouveau savoir qu’elle ne veut pas entendre parler d’une quelconque alliance.

À ce moment, Guillaume de Rubrouck se trouve dans un couvent franciscain à Saint-Jean d’Acre, où il a probablement atterri en 1248 dans le cadre de la septième croisade. Sans doute né aux alentours de 1215 à Rubrouck, un petit village situé près de Cassel, en Flandre française, il entre au couvent chez les frères mineurs, un ordre de création récente. En 1231, on le rencontre à Paris. Après avoir entendu les nouvelles des émissaires précédents, il se propose de partir comme missionnaire en Asie afin d’y prôner le christianisme et d’y intervenir en tant que pasteur auprès des prisonniers allemands détenus par les Mongols.

Pour ce faire, il reçoit une lettre de recommandation de Louis IX, qui se trouve alors en Terre sainte en raison de la croisade, mais cette missive lui causera bien du souci. Les encouragements que lance Louis aux Mongols afin qu’ils deviennent les « ennemis des ennemis de la Croix » sont interprétés comme un nouvel appel à conclure une alliance militaire, et Guillaume est donc considéré comme un émissaire du roi. Après de premiers contacts avec divers chef mongols, non loin de la mer Noire, il est invariablement redirigé vers un membre supérieur de la hiérarchie ; il s’agit en effet d’une question d’un grand intérêt politique. Au bout de plusieurs mois de voyage à travers l’Asie centrale en compagnie d’un autre frère mineur, d’un interprète et d’un guide mongol, il rencontre enfin le grand khan Möngke et l’accompagne ensuite à Karakorum, où il finit par arriver au printemps 1254 après onze mois de pérégrination. Mais Möngke n’est pas non plus favorable à une alliance militaire ; il renvoie Guillaume au bout de trois mois et le charge de transmettre sa réponse au roi de France. Guillaume demande encore à pouvoir retourner en Mongolie après son retour, afin de s’y établir en tant que missionnaire, mais le khan ne réagit pas à sa requête. De retour à Saint-Jean d’Acre, Guillaume devient lector au couvent franciscain de la ville et écrit, au cours des deux années suivantes, le compte rendu de son voyage sous forme de lettre destinée à Louis IX. En 1257, il est finalement de retour en France.

Le récit que nous livre Guillaume de son périple à travers les interminables étendues d’Asie centrale et de son séjour de trois mois à Karakorum comprend une description très précise du pays, mais aussi des conditions de vie des Mongols ; il aborde aussi bien leurs idées politiques que leurs convictions religieuses. « Lorsque j’entrai parmi eux, il me sembla véritablement que j’entrais en un autre monde ! », dit-il à propos de sa première rencontre avec les Mongols. Guillaume est impressionné par leurs grandes maisons sur roues et par la taille de leurs campements, composés de centaines de maisons de ce type et d’innombrables chariots chargés de grandes valises tressées. Il porte aussi beaucoup d’attention à leurs coutumes alimentaires et à leurs habitudes de consommation. S’il trouve le koumis, une boisson fermentée à base de lait de jument, plutôt bon, en revanche, il n’apprécie pas le lait battu, la boisson aigre dont il devait pourtant se contenter la plupart du temps.

Les contacts avec les Mongols s’avèrent rugueux ; ils sont méfiants vis-à-vis de Guillaume et de ses compagnons, et se montrent même parfois grossiers avec eux. Ils lui réclament des cadeaux et lui dérobent de la nourriture et d’autres choses, comme des livres ou des objets liturgiques, ce dont Guillaume se plaint continuellement. Le comportement des dirigeants mongols face à la mission européenne est certes hautain, mais généralement correct.

Guillaume fournit également une longue description de la capitale mongole. C’est surtout l’immense palais du khan qui retient son attention. En soi, la ville n’est pas si grande – il la compare à Saint-Denis, près de Paris –, mais la cour du khan fait exception. La capitale se compose de deux quartiers : un pour les Sarrasins, où l’on trouve de nombreux marchands et émissaires, et un pour les artisans chinois.

Le récit de Guillaume n’est pas le premier texte occidental à propos des Mongols. Jean de Plan Carpin avait en effet déjà écrit un important texte à ce sujet, l’Ystoria Mongalorum (1340). En raison de ses descriptions objectives et détaillées, le compte rendu de Guillaume est toutefois d’une valeur particulière pour les historiens, les ethnographes, les géographes, les spécialistes des sciences religieuses et les linguistes. Contrairement à Marco Polo, Guillaume ne s’est jamais rendu en Chine, mais il est néanmoins entré en contact avec des Chinois, étant donné que nombre d’entre eux s’étaient installés à Karakorum. Il est pour cette raison le premier Européen à connaître beaucoup de choses intéressantes sur la Chine. Mais malgré le caractère innovant et la grande qualité de ces informations, ses écrits restèrent relativement peu connus durant le Moyen Âge, contrairement à ceux d’auteurs tels que Marco Polo ou Odoric de Pordenone. Seul Roger Bacon y fait référence dans son Opus Majus de 1267. Il faut attendre la célèbre compilation de récits de voyage rassemblés par Richard Hakluyt au XVIe siècle pour que Guillaume de Rubrouck soit connu du grand public.

Au retour de la mission de Guillaume de Rubrouck, il apparaît évident qu’aucune alliance ne sera conclue entre les Mongols et le pape ou le roi de France. Le khan n’a même probablement jamais eu l’intention de l’accepter, mais les Européens avaient ainsi exprimé leurs douces illusions. À propos du rapport de forces entre les Mongols et le pape, il régnait une divergence fondamentale. Les deux camps attendaient, ou plutôt exigeaient, la soumission de l’autre. Les chances de collaboration diminuèrent encore plus à partir du milieu du XIIIe siècle, époque à laquelle les différentes parties de l’Empire mongol commencèrent à s’affronter. À la fin du XIIIe siècle, les dirigeants de l’Ilkhanat de Perse, la partie la plus occidentale de l’Empire, se convertirent même à l’islam, signant ainsi la fin de l’unité de l’Empire mongol et de la Pax Mongolica, peu après le voyage de Guillaume au milieu du XIIIe siècle.

Il faudra attendre plus de quarante ans pour qu’une nouvelle mission franciscaine soit envoyée chez les Mongols. En 1299, Jean de Montecorvino recevait l’autorisation de Témur Khan, le successeur de Kubilai Khan, le premier empereur mongol de Chine, pour construire une église à Cambaluc ; il devint le premier archevêque de Pékin en 1307. Il existait donc une communauté catholique en Chine aux alentours de 1300, entre autres composée de marchands tels que Marco Polo. Le nombre de Chinois qui se convertirent resta en revanche limité. Mais ce succès fut également de courte durée. Avec l’apparition de la dynastie Ming et la fin de la domination mongole en Chine, le rideau qui s’était ouvert avec la Pax Mongolica se referma à nouveau.

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