In Flanders Fields Museum raconte la Première Guerre mondiale telle que vécue par les témoins
Sous les Halles aux draps d’Ypres, In Flanders Fields Museum fait partie du décor depuis près de 30 ans. Mais le musée consacré à la Première Guerre mondiale reste méconnu de l’autre côté de la frontière. Prévue à l’horizon 2029, la nouvelle scénographie, qui tissera des liens avec la Seconde Guerre mondiale ainsi que les conflits actuels, changera-t-elle les choses? Un nouvel épisode de notre série Passage.
© Nicolas Montard
Ils s’appelaient Pierre Teilhard de Chardin et David Hunter. L’un est né en 1881 à Clermont-Ferrand et était prêtre. L’autre, natif d’Irlande du Nord en 1875, avait émigré en Australie, où il exercera comme prédicateur méthodiste. Ces deux hommes ont en commun d’avoir participé aux combats de la Première Guerre mondiale sur les terres belges. Mais leur destin n’a pas été le même. Pierre Teilhard de Chardin s’en sortira et vivra ensuite à Paris, en Chine et à New York. David Hunter, lui, mourra le 28 septembre 1917, touché par un obus près du bois de Zonnebeke.
Tout visiteur qui entre au musée In Flanders Fields a la possibilité de suivre au fil du parcours permanent le destin de deux personnes qui ont vécu la Première Guerre mondiale. Ce qui rend forcément l’expérience unique puisque 850 parcours de vie différents sont proposés. Cette immersion dans les destins personnels est le fil rouge du musée: ici, on veut raconter la guerre, essentiellement en Flandre-Occidentale, autant que possible par les témoins, par ceux qui l’ont vécue. L’expérience personnelle (et le lien avec le paysage) plutôt que la grande Histoire ou l’historiographie. 850 objets –sur les 13 000 que compte le musée, sans oublier les 45 000 photos et 700 documents du fond– sont ainsi présentés à l’étage des Halles aux draps reconstruites après le conflit. Uniformes, écrits, objets parfois surprenants comme un biberon ou une collection de chars miniatures, tableaux, sont prétextes à évoquer ces temps meurtriers, comme le rappelle une liste de noms qui défilent, correspondant aux soldats et citoyens tués sur le sol belge chaque jour du conflit.
Stephen Lodewyck est directeur d’In Flanders Fields Museum depuis 2021.© Nicolas Montard
Un nouveau musée en 2029
Les années sont désormais comptées pour cette exposition. C’est acté, en septembre 2028, le musée, point de départ et porte d’entrée vers le patrimoine de la Grande Guerre d’Ypres et alentours (la Porte de Menin, la tranchée Yorkshire Trench & Dug-out, les cimetières militaires, le cratère Saint-Éloi) fermera ses portes jusqu’en avril 2029. Objectif: mettre en place une nouvelle scénographie, alors que l’actuelle date de 2012 et avait connu mise à jour importante en 2021. Éloignement progressif du centenaire de la Première Guerre et effacement du lien avec un aïeul ayant combattu sur ces terres obligent, il faut se réinventer pour continuer d’attirer. Jusqu’à la crise du COVID, le musée accueillait en moyenne 200 000 visiteurs par année.
La scénographie, installée en 2012, va être totalement revue en 2028 pour une réouverture au printemps 2029.© Nicolas Montard
Parmi les axes qui vont être développés, il y a celui de «faire la connexion avec la Seconde Guerre mondiale, détaille Stephen Lodewyck, directeur du musée. Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale s’explique par les conséquences de la première, nous souhaitons donc présenter les choses du point de vue de la génération qui a vécu les deux conflits». Sans cacher une motivation plus stratégique: dans les prochaines années, les projecteurs vont être braqués sur le centenaire de 1939-1945. «Même si bien sûr, nous gardons notre spécificité d’être un musée de la Première Guerre, nous pouvons arriver à combiner les deux».
Dans ce même ordre d’idées, compte tenu des interrogations des visiteurs de plus en plus fréquentes sur ces sujets et qui donnent déjà lieu à des échanges avec les guides, une réflexion est aussi menée sur les liens avec la géopolitique actuelle et conflits contemporains (Gaza, Ukraine, etc). «Nombre de personnes cherchent des réponses dans le passé. Notre rôle est aussi de parler du monde d’aujourd’hui car ne l’oublions jamais, les guerres sont le choix des hommes».
Le musée raconte la guerre par ceux qui l’ont vécue. On y suit des destins, on y retrouve des objets de la vie quotidienne aussi, comme ce biberon qui a nourri un bébé d’Ypres ayant fui en Angleterre avec sa mère.© Nicolas Montard
Faut-il s’attendre à plus de digitalisation –déjà exploitée intelligemment dans le musée actuel– voire de la réalité virtuelle? Stephen Lodewyck, à la tête du musée depuis 2021, et convaincu qu’un «établissement n’est pas une île, mais doit évoluer en permanence», est plus réservé: «La digitalisation est très importante, elle sera là, mais parmi le public, il y a aussi une appétence pour les pièces présentées de manière authentique. Les deux doivent fonctionner ensemble. Sur la réalité virtuelle, c’est complexe. Les jeunes ont l’habitude de jouer à des jeux de guerre développés par des studios aux moyens sans commune mesure». Comprendre qu’un musée aurait donc bien du mal à égaler techniquement de telles machineries et qu’il ne faudrait pas décevoir un visiteur avec une expérience de VR au rabais.
Ces destins, comme celui de Pierre Teilhard, permettent d’humaniser cette Grande Guerre.© Nicolas Montard
Attirer les Français, pas une mince affaire!
Cette nouvelle scénographie, à plusieurs millions d’euros, sera-t-elle l’occasion de bousculer les rapports de flux de visiteurs au musée? Actuellement, derrière les Belges –54%–, les Britanniques et les Néerlandais constituent la première clientèle (26% pour les premiers, 13% pour les seconds). Les Français ne constituent que 3% des visiteurs du musée inauguré en 1998. Un pourcentage relativement stable et donc faible alors que tout est traduit en quatre langues, audioguides compris, et surtout que la métropole lilloise se trouve à deux pas.
Les Français ne constituent que 3% des visiteurs, un pourcentage relativement faible alors que tout est traduit en français et que la métropole lilloise se trouve à deux pas.© Nicolas Montard
«Je pense que les Français vont plus facilement voir un musée sur la guerre dans la Somme ou à Verdun et ne pensent pas à pousser la porte quand ils viennent à Ypres, décrypte Stephen Lodewyck. Dans notre communication, nous essayons de combiner avec la ville d’Ypres, le shopping… Nous mettons aussi l’accent sur les cimetières militaires français, comme ceux du Kemmelberg ou Saint-Charles de Potyze. Nous n’avons pas encore trouvé la recette miracle». Alors que la Grande Guerre est bien un sujet transfrontalier en témoigne le classement récent de 139 sites français et belges à l’Unesco. «Actuellement, nous travaillons avec Franck Viltart, qui dirige la mission patrimoine de la Première Guerre mondiale (couvrant des collectivités du grand nord de la France). Nous collaborons ainsi dans le cadre d’un projet Interreg d’Europe centrale visant à mieux faire connaître le front de l’Est».









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