Avec la série «Passage», nous explorons les institutions culturelles des deux côtés de la frontière franco-belge. Mais destination le monde cette fois-ci avec l’Orchestre international du Vetex. Serbie, Argentine, Chine, Canada, Italie… le Vetex est peut-être le groupe musical du secteur qui tourne le plus à l’extérieur de la France et de la Belgique. Logique, finalement, pour un orchestre qui fait fi des frontières.
Vingt ans! Ce sera l’âge vénérable du Vetex l’an prochain, en 2024. Pourtant, rien ne le prédestinait vraiment à franchir les deux décennies. En 2004, cette formation est née un peu par hasard quand les habitants du quartier et des artistes ont entrepris de sauver une ancienne filature de Courtrai, le Vetex. «Pour sauvegarder cette friche industrielle, une pièce de théâtre avait été montée et il fallait des musiciens pour accompagner cette initiative, rappellent les musiciens Benoît Blanc, Tomas Bulcaen, Thomas Morzewski et Matthieu Levecque accompagnés de Trui Dewaele, qui s’occupe du management, autour d’une bière à Froyennes. Sauf que de fil en aiguille, l’expérience a duré. Tiens, et si vous jouiez pour notre braderie? Pour notre course cycliste? Comme il y avait une bonne connexion entre nous, nous avons continué… »
© Nicolas Montard
La folle aventure du Vetex était lancée. Désormais, la quinzaine de membres, dont la moitié est présente depuis les débuts, assure quarante à soixante-dix concerts par an, en répétant au moins une fois par semaine! Dans la région, mais bien au-delà donc: Serbie, Argentine, Chine, Canada, Italie… L’orchestre aux cinq albums de composition qui s’est formé par cooptation plutôt que par audition, est capable de jouer dans les plus grands festivals comme le Sziget de Budapest, mais aussi lors de mariages, voire de funérailles. «Notre force, c’est d’être flexibles et motivés. Nous venons de la rue, nous avons réussi à transposer cette énergie sur scène».
Et il y a évidemment cette musique entrainante et mélodique dans laquelle les musiciens se donnent toujours à fond, au point que le premier concert de la saison est toujours une épreuve physique: «1 heure 30 avec des instruments qui sont le prolongement de notre corps, c’est très sportif. Comment nous qualifier? Le Vetex est une fanfare à l’esprit un peu punk de musique du monde inspirée des Balkans et de la Méditerranée. Nous prenons une culture, nous nous en inspirons mais en en faisant quelque chose à nous, avec notre bagage. Mais nous ne sonnerons jamais comme une véritable fanfare des Balkans. Il y a parfois un côté mélancolique, nostalgique. En tout cas, la mélodie est primordiale».
Une longévité qui s’explique
Comment expliquer cette longévité, assez exceptionnelle pour un groupe qui mêle à la fois des intermittents du spectacle et des musiciens qui ont un autre travail à côté (professeur, assistants sociaux, etc.)? Les facteurs sont multiples, répondent-ils d’office. Le fait d’avoir un management depuis le début, Via Lactea, qui les débarrasse des contraintes administratives, de la gestion financière, est une première explication. Les musiciens peuvent se concentrer sur la musique, tandis que Trui Dewaele et Piet Decoster se chargent de les diffuser «même si c’est parfois difficile à vendre car ça ne rentre pas toujours dans des cases très précises! Rappelons qu’au lancement de l’Orchestre, nous avons pu bénéficier du soutien d’Interreg, ça a aidé aussi au projet».
© Cramakamarky Photography
Autre explication qui transparaît vite: avoir vieilli ensemble et être devenu une famille qui a vu des couples se faire et se défaire, des enfants naître et grandir. «Un groupe qui ne s’entend pas, ça se voit sur scène, reprennent les musiciens. Nous nous retrouvons régulièrement ensemble en dehors des concerts, nos enfants se connaissent, certains demandent déjà quand ils pourront rejoindre l’orchestre!»
La famille n’est pour autant pas fermée: de petits nouveaux rejoignent l’aventure, comme Stan Neman, accordéoniste qui était fan depuis son plus jeune âge. Cet ensemble de facteurs crée une confiance, inébranlable. Au point que quand ils sont sur scène avec leurs trompettes, trombone, sousaphone ou encore autres percussions, chaque musicien sait que la moindre défaillance –ils jouent par cœur, sans partition– sera rattrapée par un collègue bienveillant.
Des différences? Quelles différences?
Quant aux différences entre Belges et Français, elles amusent les membres du groupe. «Les premières fois, quand on allait répéter en Belgique, on se disait qu’on allait en Belgique, expliquent les Français. Depuis, c’est tout à fait naturel». La langue n’est pas vraiment une barrière, même si celle de Molière est privilégiée. «Pour les éléments plus techniques, plus sérieux, ça reste plus facile de s’exprimer dans notre propre langue. Mais on a nos propres expressions “Vetex”: par exemple “ni moule, ni pêche», ça veut dire “mi-figue, mi-raisin”».
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Les différences, ils les voient plutôt dans le public, avec des Français ou Wallons tout de suite plus dans l’ambiance, tandis que les Flamands forment un public plus discipliné… Ou quand on leur parle de leur côté transfrontalier à l’étranger… «À Montréal, on nous a demandé : “Mais vous êtes vraiment un groupe de Flamands, Wallons et Français? Nous pensions que vous étiez en guerre civile?”». «En fait, la vraie difficulté, plaisantent ces joyeux lurons, c’est plus pour le catering. Les Flamands veulent manger à 18h, les Français après le concert!» Avant d’ajouter plus sérieusement: «Le fait qu’on existe ici, ça veut dire qu’un mariage est possible.»
À bientôt 20 ans, les membres du Vetex se projettent-ils plus loin? «On va devenir le Buena Vista Social Club! Plus sérieusement, pour le moment, il n’y a pas de lassitude, nous sommes vraiment dans le côté “pourvu que ça dure”, ça a aussi un côté sympathique d’être devenu une référence dans le modèle des fanfares. Finalement, nous sommes une belle utopie!»