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littérature

La littérature belge d’expression néerlandaise dans ses plus beaux atours

Par Hans Vanacker, traduit par Jean-Marie Jacquet
21 mars 2019 6 min. temps de lecture

«Flirt Flamand», le programme que la
Flandre a eu l’occasion de présenter à la Foire du livre de Bruxelles, devrait donner un coup
d’accélérateur à une évolution positive.

«Tiens, il y a aussi des Flamands!»
Depuis le siècle dernier déjà, l’institution culturelle
flamando-néerlandaise Ons Erfdeel vzw, éditrice entre autres
de Septentrion, participe à la Foire du livre de Bruxelles
dans ses localisations successives: d’abord un des palais du
Heysel, puis les parkings couverts transformés en salles
d’exposition sous le mont des Arts et la place Rogier, et
aujourd’hui, depuis bon nombre d’années, le magnifique site de
Tour & Taxis.

Les personnes qui ont tenu le stand de
Ons Erfdeel vzw vous diront toutes qu’elles ont dû, un jour
ou l’autre, faire face à des regards interloqués. Souvent seule
représentante du monde néerlandophone à cette manifestation
francophone, mais présentant, il est vrai, des livres et revues
francophones, Ons Erfdeel vzw a toujours un peu fait figure de
vilain petit canard, de petit canard, surtout, solitaire. Il
n’empêche que nous étions aussi privilégiés en tant que témoins
au premier chef d’une évolution intéressante. Au début, les
questions qui vous étaient posées étaient d’ordre très général
et souvent accompagnées d’un petit rire d’excuse («Je ne
connais aucun auteur d’expression néerlandaise. En fait, qui sont
les écrivains flamands et néerlandais les plus connus?»); ces
dernières années, de plus en plus fréquemment, le visiteur se
renseigne au sujet d’un auteur déterminé («Avez-vous déjà
publié un article sur Tom Lanoye, Stefan Hertmans, David Van
Reybrouck, sur les écrits d’Arnon Grunberg, de Kader Abdolah?»).

«Flirt Flamand» a été composé et
présenté par Flanders Literature (Fonds flamand des
lettres), institution publique flamande qui entend «pratiquer une
politique intégrée des lettres de façon à créer un tissu
littéraire dynamique et diversifié dans lequel l’auteur et le
lecteur occupent une place centrale». Une partie importante de la
mission de Flanders Literature est de faire découvrir la
«littérature flamande» par les locuteurs d’autres langues. Ainsi
«Flirt Flamand» avait pour première tâche de faire connaître
ladite littérature flamande au public francophone, mais le projet
avait aussi un autre but. En concertation avec les organisateurs de
la Foire du livre, une option s’est dégagée pour un programme
bilingue (français et néerlandais). C’était également une
manière d’attirer davantage de néerlandophones à Tour &
Taxis. Pour ce faire, personne n’a ménagé ses moyens ni sa peine.
On a même eu recours à des traducteurs en «interprétation
chuchotée» disposés parmi le public.

La «littérature flamande» est une pièce d’une grande maison qui s’appelle littérature de langue néerlandaise.

Flanders Literature a pu compter
sur la collaboration de plusieurs autres acteurs du secteur
littéraire, tels que Iedereen Leest, deAuteurs, la
maison internationale des littératures Passa Porta et de
nombreuses organisations littéraires et culturelles bruxelloises ou
situées à Bruxelles, par exemple la bibliothèque Muntpunt,
le centre d’arts Bozar, Art Basics for Children, le
Kaaitheater, le Théâtre royal flamand, les Midis de
la poésie, le musée de la BD et la Pianofabriek.
Septentrion, qui présente depuis près de cinquante ans la
littérature de langue néerlandaise au lectorat francophone, a tout
naturellement apporté sa pierre à l’édifice.

Nous avons mis sur pied 71 un entretien entre trois auteures belges francophones (Caroline Lamarche, Véronique Bergen et Caroline De Mulder), qui ont parlé de leur livre préféré d’un auteur flamand; d’autre part, nous avons contribué à l’organisation d’un dialogue entre la jeune poétesse flamande Charlotte Van den Broeck et sa traductrice Kim Andringa. Il va sans dire que Ons Erfdeel vzw avait de nouveau son propre stand à cette édition de la Foire du livre.

Le programme concocté par Flanders
Literature
était en tous points remarquable. Dans un espace de
250 m2 les genres et sous-genres littéraires les plus divers, sans
ordre préconçu, ont été mis en évidence. Cela se passait souvent
de manière originale et accrocheuse, avec des débats animés, des
présentations en duo, des ateliers de toutes sortes. On a vu à
plusieurs reprises un illustrateur ou une illustratrice de livres
pour enfants s’appliquer sur place à une démonstration de son
art. Les auteurs contemporains (Tom Lanoye, Lize Spit, Jeroen
Olyslaegers, Chris De Stoop, Annelies Verbeke et bien d’autres) ont
retenu l’attention, sans pour autant éclipser les «classiques»,
parmi lesquels Paul Van Ostaijen (1896-1928) et Willem Elsschot
(1882-1960).

À diverses reprises, la question de la
passerelle entre les mondes culturels néerlandophone et francophone
est venue sur le tapis. Plusieurs entretiens et présentations ont
bénéficié du concours de représentants renommés des milieux de
la culture ou du journalisme de Belgique francophone. Dans ce
contexte, l’importante place réservée au traducteur n’était
que justice. Plus d’une fois, un traducteur ou une traductrice
(ainsi, Philippe Noble, Isabelle Rosselin, Alain van Crugten, Kim
Andringa et Daniel Cunin) a dialogué avec l’auteur d’un livre
qu’il ou elle avait traduit. Rien que des moments de bonheur.

Le succès d’un projet tel que «Flirt
Flamand» n’est évidemment pas facile à mesurer dès l’abord,
aussi frustrant que cela puisse être. Il faudra quelques années
pour constater si l’intérêt pour la «littérature flamande» et
sa connaissance en Belgique francophone ont ou non évolué (de
manière substantielle). Mais il est possible, en marge de ces
considérations, de formuler dès à présent quelques réflexions
critiques. Ainsi, le fait que la Flandre a été invitée comme hôte
d’honneur dans son propre pays (et dans sa propre capitale) a déjà
amené Philippe Noble à nous confier, avec une verve qui
n’appartient qu’à lui, son étonnement à la fois amusé et
attendri. Au passage, il déplore que la Flandre et les Pays-Bas ne
se soient pas présentés ensemble à Bruxelles. La «littérature
flamande» est en effet une pièce d’une grande maison qui
s’appelle littérature néerlandaise ou, mieux, pour couper court à
toute nouvelle confusion, littérature de langue ou d’expression
néerlandaise. Une maison qui, ne l’oublions pas, héberge aussi
bon nombre d’écrivains talentueux du Surinam ou des Antilles
néerlandaises. On peut dans une certaine mesure comprendre, mais en
même temps regretter que «Flirt Flamand» ait à peine fait un pas
vers les autres pièces de la maison. Il n’était pas absolument
nécessaire pour cela d’inviter, en marge ou non, des auteurs
néerlandais ni, a fortiori, des écrivains venant de territoires
d’outre-mer. Il n’en reste pas moins qu’il était possible,
dans la présentation du programme, de faire ressortir le lien avec
les Pays-Bas. Une belle occasion manquée. Il faut avouer que le nom
même du projet avait une résonance réductrice et prêtant
fâcheusement à confusion. Toutefois il n’est pas facile de
trouver une appellation à la fois plus attrayante et plus juste. Le
titre de notre article, à lui seul, révèle une certaine
complexité, car il accuse un double défaut: il manque d’élégance
et ne recouvre pas totalement le propos (d’aucuns se demanderont
s’il existe une «littérature belge»).

Nous retiendrons toutefois que «Flirt
Flamand» aura été une réussite en termes d’échange culturel,
un grand rassemblement durant lequel les responsables du stand de
Ons Erfdeel vzw
n’ont pas été le point de mire de regards
étonnés, une fête où, pas une seconde, ils n’ont fait
tapisserie.

HV

Hans Vanacker

secrétaire de rédaction de Septentrion

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