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littérature compte rendu

Le roman bilingue de Christophe Deborsu: pas un objet belgicain, mais une ode à la Belgique

7 mars 2025 5 min. temps de lecture

Avec Bente et Baudouin, La dernière histoire belge, Christophe Deborsu propose un Roméo et Juliette à la sauce belge: une histoire d’amour, en deux langues, entre un Wallon et une Flamande sur fond de déchirure du pays.

Bilingue, vivant et travaillant en Flandre et en Wallonie, Christophe Deborsu est marié à une journaliste flamande et a déjà écrit trois livres de non-fiction en néerlandais pour expliquer les Wallons aux Flamands. Avec son premier roman, Bente et Baudouin, La dernière histoire belge, il se présente comme le premier wallon à écrire un roman en néerlandais. Bien que cela ne soit pas complètement faux, cette formule forte invoque des catégories linguistiques et littéraires binaires éminemment contemporaines, mettant de côté maints écrivains ayant eu des activités d’écriture dans l’autre langue.

Bente et Baudouin s’ouvre avec la fin de la Belgique suite à la séparation des communautés linguistiques en 2026. Comment en est-on arrivé là? Ce livre raconte l’histoire d’amour entre deux adolescents belges: Bente, une Flamande d’Essen, et Baudouin, un Dinantais en quête d’identité. Ce dernier passe un semestre à Essen pour apprendre le néerlandais et tombe amoureux de Bente, fille de nationalistes flamands. Baudouin est intégré à la famille et se transforme progressivement en «vrai flamand». Jusqu’à kidnapper Bart De Wever et mettre l’existence-même de la Belgique en péril. Cette histoire d’amour va-t-elle précipiter la fin de la Belgique, ou la sauver?

L’intrigue est originale, et la forme du livre l’est tout autant: deux versions, l’une en français, l’autre en néerlandais, se trouvent tête bêches dans un même volume. Le travail symbolique sur ce que l’auteur considère comme «le premier livre belge» en deux langues va jusqu’à la répartition des numéros de page: paires pour la version en français, impaires en néerlandais, en souvenir de la scission de l’université de Louvain et des collections de sa bibliothèque à la fin des années 1960.

Christophe Deborsu n’est pas étranger aux questions communautaires belges. Journaliste politique belge à la télévision francophone, il a notamment participé au canular télévisé «Bye Bye Belgium» (1), auquel la scène d’ouverture du livre fait d’ailleurs penser. Il est aussi connu en Flandre –son éditeur le présente comme le second wallon le plus connu en Flandre après Paul Magnette (politicien, président du parti socialiste et bourgmestre de Charleroi)– où il participe à des talk-shows et anime des chroniques sur la Wallonie dans différents journaux.

L’auteur a donc d’abord écrit le texte original en néerlandais, avant de le traduire lui-même en français, sa langue maternelle. Comme il l’explique dans son livre, ce roman ne devait initialement paraitre qu’en néerlandais, mais son éditeur gantois Borgerhoff & Lamberigts a eu l’idée d’y ajouter la traduction en français. Dans l’introduction en français, Deborsu conseille à qui en est capable de privilégier la version néerlandaise, selon lui bien plus travaillé, et faisant 90 pages de plus.

Dans son processus d’auto-traduction, il a tenté de conserver des caractéristiques du néerlandais, en jouant par exemple sur les sons «entre prosonomasie et paronomase, comme on adore le faire en Flandre». Le multilinguisme dans le texte –des mots en français dans la version néerlandophone et inversement– renforcent l’impression d’incompréhension linguistique entre des personnages.

Christophe Deborsu annonce et joue avec les différences entre les deux versions du texte: il explique qu’une blague sur les Flamands dans la version française ne figure pas dans la version néerlandaise, «histoire de ne pas braquer le lecteur du nord dès le début». Il utilise le même stratagème dans l’autre partie du livre, et justifie ces différences avec humour: «En Belgique, on ne dit pas toujours la même chose des deux côtés de la frontière linguistique».

Bente et Baudouin est une lecture divertissante à l’intrigue originale, dans laquelle on apprend beaucoup sur la Belgique. On reconnait la pratique journalistique de l’auteur à l’utilisation récurrente de statistiques et de notes de bas de pages. Ce dernier ajoute également au récit de nombreux commentaires personnels et traits d’humour. On aboutit alors à un récit noyé d’interruptions et de «fun facts», au détriment parfois de la narration et du réalisme des dialogues. L’auteur traite aussi avec ironie des clichés que les deux communautés linguistiques entretiennent l’une sur l’autre. Poussant avec humour la carricature, la répétition en émousse cependant le mordant. Les monologues internes et dialogues manquent parfois d’authenticité, nuisant ainsi à la crédibilité des personnages et à l’immersion dans le récit.

Ce livre, Christophe Deborsu ne le veut pas comme un objet belgicain, mais comme une «ode à la Belgique […] à nos paysages, à nos villes, à nos gens». C’est le pari réussi de ce volume qui regorge de références culturelles à la Belgique –les trains y sont évidemment en retard et le policier est le «Maigret namurois».

Paru en avril, Bente et Baudouin s’ancre dans le contexte de l’approche des élections belges de juin 2024, lors desquelles un raz de marée du parti d’extrême droite flamand Vlaams Belang était craint.  L’auteur affiche à plusieurs moments du texte son rejet de l’extrême droite et du séparatisme flamand. Mais il appelle aussi Wallons et Flamands à ne pas se jeter mutuellement la pierre et à continuer à se rencontrer au-dessus de la frontière linguistique, et par-delà les déchirures politiques.

À travers cette histoire d’amour, Christophe Deborsu veut aussi nous inviter à réfléchir à l’avenir de la Belgique, ce qu’il fait à l’aide d’un procédé original: la fin du livre est déterminée par un petit questionnaire qui teste le nationalisme du lecteur, avec deux fins possibles: la Belgique survit ou la Belgique se scinde et disparait. Appel est alors fait à la responsabilité du lecteur pour le futur de la Belgique, lui rappelant qu’elle appartient à tous et toutes, Wallons comme Flamands, Bente comme Baudouin. Pour le meilleur et pour le pire.

Christophe Deborsu, Bente et Baudouin, La dernière histoire belge/ Bente en Boudewijn. Een Belgisch liefdesverhaal, Gand, Borgerhoff & Lamberigts, 2024.

Note

1. «Bye Bye Belgium» est un faux documentaire télévisé diffusé en 2006 sur la chaine publique La Une simulant la fin de la Belgique. Juste après le journal télévisé, une émission spéciale interrompt le programme et annonce la déclaration d’indépendance de la Flandre, et la fin de la Belgique.

Clara Folio

Clara Folie

chercheuse doctorante à l’UCLouvain

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