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société

Les Juifs sont la cible pour toutes sortes d’extrémistes

Par Hind Fraihi, traduit par Marcel Harmignies
5 janvier 2021 6 min. temps de lecture Hind Fraihi

Dans sa troisième chronique sur la polarisation et la défiance à l’égard de l’ordre établi, Hind Fraihi, par la voie de l’extrémisme climatique, débouche sur l’antisémitisme renaissant. Car quand les extrémistes se perdent dans leur radicalisme, ils se rassemblent autour de l’antisémitisme, comme s’il s’agissait d’un poteau-repère commun. C’est une évolution fâcheuse, mais n’annoncez pas maintenant que «les années 1930» sont de retour, écrit Fraihi. Une telle mise en garde est contre-productive et risque d’acquérir le statut de fruit défendu.

Le passé n’est pas révolu. En des temps de polarisation tels que ceux d’aujourd’hui, il est fait référence à tort et à travers aux années 1930. Il n’est pas rare que des parallèles avec le nazisme soient établis, et on ne craint pas non plus de relativiser ses atrocités. Cela s’est produit il n’y a pas si longtemps sous un angle inattendu: l’activisme climatique, perçu comme de gauche ou détourné par la gauche.

Roger Hallam, l’un des fondateurs du mouvement climatique radical Extinction Rebellion (XR), qualifie l’Holocauste de «juste une grosse merde dans l’histoire de l’humanité». Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire allemand Die Zeit à la fin de 2019, il a relativisé l’Holocauste de différentes manières.

Après bien des controverses et la prise de distance de diverses sections des XR, Hallam a affirmé en présentant ses excuses que ses remarques avaient été sorties de leur contexte. «Je veux reconnaître complètement l’inimaginable souffrance causée par l’Holocauste nazi qui a amené l’Europe entière à dire “plus jamais ça”».

Et il a poursuivi: «Mais cela se reproduit, à une bien plus grande échelle et à la vue de tous. L’hémisphère nord rejette des niveaux mortels de CO2 dans l’atmosphère et dresse en même temps des barrières toujours plus grandes à l’immigration, ce qui transforme des régions entières du globe en zones de mort. C’est la terrible réalité».

Il a ajouté: «Nous autorisons nos gouvernements à participer, volontairement et en toute connaissance de cause, au génocide de nos jeunes et des populations du sud du monde en refusant de prendre les mesures d’urgence pour diminuer les émissions de carbone.»

Hallam parle en fait d’écocide. Cette notion fait allusion à la destruction à grande échelle de la nature et de ses écosystèmes. La revendication des activistes climatiques, parmi lesquels Greta Thunberg, est donc de punir l’écocide en tant que crime international devant la Cour pénale internationale.

Écocide, génocide nazi, bonnet blanc et blanc bonnet? L’Holocauste était l’extermination et la persécution systématiques des Juifs par l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale et un repère historique, sans aucun doute. Mais aussi un point de comparaison. Cela se reproduit, déclare Hallam à propos du réchauffement climatique, mais à plus grande échelle et ouvertement.

La mesure du mal absolu n’a cependant pas du tout sa place sur un tableau comparatif. Et pourtant l’Holocauste doit être confronté au génocide arménien ou à ceux du Rwanda, du Kosovo, du Darfour et aux atrocités commises dans différentes colonies de l’Europe. Comme si, quelque part sur une chronologie morale, se déroulait une olympiade de l’horreur où, selon des extrémistes climatiques comme Hallam, le déclin de la terre se présente sur le podium en grand vainqueur.

Les perdants sont immanquablement les mêmes: les Juifs. Pour les extrémistes de toutes sortes, les Juifs sont la cible incontestable. Quand des extrémistes se perdent délibérément dans leur radicalisme envahissant, ils se rassemblent autour de l’antisémitisme, comme un poteau-repère commun.

Si c’est urgent? Et comment. Rien qu’au cours du mois de novembre 2020 on peut citer deux exemples manifestes. Lors d’un attentat terroriste du djihad à Vienne, la fusillade a éclaté tout près d’une synagogue qui heureusement était fermée à ce moment là.

L’extrême droite n’est pas étrangère non plus à l’antisémitisme qui prend les années 1930 comme prétexte. C’est ainsi que Carrera Neefs, du Vlaams Belang, a déposé des fleurs sur la tombe d’un SS à l’occasion de l’Armistice. Neefs a partagé son hommage sur son compte Instagram avec quelques photos de sa visite au cimetière militaire allemand d’Ysselsteyn, aux Pays-Bas. Elle pose près de la tombe de Willem Heubel, un nazi néerlandais notoire.

«Durant la guerre, il y a toujours plusieurs côtés. Je ne suis pas négationniste, mais je n’oublie pas ces personnes-là non plus», a-t-elle écrit dans son message, regardant l’objectif avec un sourire mielleux. Mademoiselle Neefs s’est vêtue pour l’occasion de manière voyante, d’une robe traditionnelle allemande. Dans un fichu dirndl bavarois.

Pour certains, le passé n’est pas du tout révolu. Assassin, l’extrémiste musulman renvoie au VIIe siècle, tandis que la racoleuse de droite se glisse dans le folklore romantique malvenu des années 30. Les extrêmes se touchent, en particulier au point d’intersection que constitue l’antisémitisme. Avec un résultat malheureux: le nombre d’incidents antisémites en Europe a beaucoup augmenté l’année dernière.

Peut-être le milieu aide-t-il un peu les extrêmes? «Les années 1930 sont de retour», dit-on. Des parallèles sont établis, des comparaisons sont faites. Mais ils sont en fait trop grandiloquents pour présenter la moindre efficacité dans la lutte contre l’antisémitisme contemporain et le racisme ordinaire. L’immobilisme se venge avec une poussée de complots dans lesquels l’ennemi de toujours est impliqué.

Par exemple, «les Juifs possèdent des réseaux pédophiles internationaux et orientent massivement des femmes vers la pornographie». C’était l’un des nombreux messages diffusés sur les groupes du JFVD, mouvement de jeunesse du parti néerlandais Forum pour la démocratie. L’agitation qui a suivi a forcé le leader Thierry Baudet, début novembre 2020, à se retirer comme tête de liste pour les prochaines élections et comme président du parti.

Et ce n’est que le sommet. Le Centre néerlandais d’information et de documentation sur Israël (CIDI) enregistre depuis trente ans les faits de discrimination anti-juive et il n’y avait encore jamais eu autant de signalements d’antisémitisme qu’en 2019. L’année record précédente était 2014. «La montée de l’antisémitisme avait alors été reliée à l’éclatement du conflit entre Israël et le Hamas à Gaza. Un tel lien n’existait pas en 2019», selon le CIDI.

Les liens sont révolus.

L’effet de mise en garde des années 1930 menace en fait d’avoir un effet paradoxal. L’avertissement aurait même tendance à acquérir le statut de fruit défendu. La haine du Juif devient de bon ton et cela se manifeste dans toutes les couches de la société, aussi bien les individus que les mouvements sociaux s’en rendent coupables. Tout comme les politiciens, pas obligatoirement issus de la droite. C’est ainsi que l’ancien leader travailliste Jeremy Corbyn a été suspendu pour avoir agi de manière trop laxiste vis-à-vis de l’antisémitisme dans son propre parti.

Les liens sont révolus, mais le passé est dedans.

Dans les périodes d’incertitude, les rétroviseurs renforcent les individus ou les groupes d’extrémistes dans leur recherche de solutions. Ils les trouvent dans un passé qui semble simple comme le jour. Limpidité illusoire.

Dans l’ultime réaction contre l’extrémisme, la référence aux années 1930 est effrayante dans sa simplicité. Elle révèle le manque d’un rétroviseur. Quiconque, pour alerter, s’empare constamment du grotesque du passé dissimule un manque de solutions pour une politique future adéquate.

Par conséquent, à quoi ressembleront les prochaines années trente? 2030 est à notre porte.

Hind Fraihi est titulaire de la Chaire Willy Calewaert de l’Université Libre de Bruxelles (VUB). Sous la bannière ANTIPODE, la chaire organise une série de conférences en quatre parties sur la polarisation croissante de l’extrême droite, la décolonisation, l’islamisme et le climat (en ce moment reportée en raison de la pandémie). Ces thèmes sont un par un des sujets délicats, ce qui peut conduire à un clivage dans la société: un groupe devient l’antipode de l’autre. Dans ses chroniques, Hind Fraihi examine à chaque fois un antipode à la loupe. En novembre, elle a donné un contexte à l’extrême droite aux Pays-Bas et aux extrémistes musulmans. Dans la présente chronique, elle s’arrête sur Extinction Rebellion et l’antisémitisme et, dans la dernière, sur la décolonisation. ANTIPODE est une collaboration avec le Fonds August Vermeylen, PEN Vlaanderen et l’Institut Hannah Arendt.

Portret Hind Fraihi

Hind Fraihi

journaliste d'investigation, chroniqueur et auteur
photo © Mariëlle Degeeter

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