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pays-bas français, société

Retour à l’Yser VI

Par Katrien Vandenberghe, traduit par Michel Perquy
25 juin 2019 4 min. temps de lecture Retour à l’Yser

L’Yser coule dans le subconscient de Katrien Vandenberghe. En cette première saison de l’année, elle a longé le fleuve à pied en suivant la GR 130. De retour chez elle, elle revit ses expériences par l’écriture.

Aujourd’hui, trois étapes en une. Le vent est tombé et l’air matinal, lavé par une averse de grêle nocturne, présente toute une palette de teintes et de formations nuageuses. Étales, floculantes ou rayonnantes, en rouleaux cotonneux ou en turbulences menaçantes, lointains petites rideaux de douche en diverses directions, de nuance anthracite, gris souris, bleu pâle chaleureux, orange délavé, rose tendre, blanc comme linge et toutes les teintes intermédiaires.

Un beau gallicisme dans la tournure syntaxique

Je gare ma bécane à Bambecque, un nom que j’ai entendu de temps en temps dans ma jeunesse, et je poursuis ma route jusqu’à Esquelbecq. Une nouvelle fois, je goûte le charme de la place du marché (relativement bruyante à cause des pavés ronds et de la circulation de transit), une nouvelle fois, j’entre au café Rando (où on joue aux cartes, on se bécote, on joue au Loto, on boit du café et où les verres à bière vides sur le comptoir sont vite débarrassés). Hier soir, j’étais encore entrée de justesse dans la Maison du Westhoek/Huis van de Westhoek, un office de tourisme très bien documenté avec un petit musée en annexe où de grands panneaux dans la cave fournissaient une quantité de renseignements que je n’avais plus pu assimiler. En hiver, il est fermé le dimanche. L’église Saint-Folquin, selon un panneau Village du Patrimoine, a brûlé en 1976 ; seules les superbes façades étaient restées debout. Il y a un orgue – rare – au tempérament mésotonique. L’église est dédiée à saint Folquin, un cousin germain de Charlemagne, qui joua un grand rôle dans l’évangélisation de la région. Évêque de Thérouanne, il mourut lors d’une visite pastorale à Esquelbecq. Les panneaux sont bilingues, mais la deuxième langue est de façon assez inattendue le ouest-flamand local. Une traduction très convaincante présente sur deux panneaux une tournure syntaxique avec des gallicismes remarquables : « Van de plaetse, je kunt oek de klokken van den beiaerd zien » (De cet endroit, on aperçoit aussi les cloches du carillon.) Du ouest-flamand francisé ?

Le 28 mai 1940

Je traverse l’Yser (le nom Esquelbecq vient de « eik » (chêne) et « beke » (ruisseau, c’est-à-dire l’Yser) par un pont au garde-fou invariablement vert. Dans la discrète brasserie Thiriez, une ancienne brasserie de ferme active jusqu’en 1945, on produit de nouveau de la bière (Blonde d’Esquelbecq). Jadis, Esquelbecq comptait cinq brasseries et des dizaines d’estaminets.

Je prends ici la rue des Dunkirk Veterans. Le chemin monte légèrement (accompagné du crépitement omineux d’un pic) vers la Plaine aux Bois, un plateau où quelque quatre-vingts prisonniers de guerre britanniques furent abattus par les SS le 28 mai 1940. Lorsque les Allemands en route vers Dunkerque attaquèrent le carrefour stratégique de Wormhout, les soldats britanniques offrirent une résistance héroïque dans le cadre de l’opération Dynamo destinée à permettre aux troupes britanniques de se rembarquer à Dunkerque, mais ils durent finalement se rendre. Les prisonniers de guerre furent amenés de Wormhout vers une grange dans ce coin-ci, dans laquelle des membres de la garde personnelle d’Hitler lancèrent cinq grenades en dépit de toutes les conventions internationales. Ils abattirent les survivants de sang-froid.

Aujourd’hui, il y a un mémorial de guerre visible de loin et quelques grands chênes issus de graines britanniques. Les mémoriaux et des détails sur le déroulement des faits (comme le soldat Bert Evans qui fit le mort dans la mare après avoir reçu pourtant une balle dans la nuque et qui revint annuellement en cet endroit jusqu’à un âge très avancé), rendent une visite très poignante. Sur un panneau d’information, on retrouve encore dans la version ouest-flamande cet ordre des mots français intrigant : « Den 28sten van meie 1940, de Duutsche soldaeten blokkeeren… » (Le 28 mai 1940, les troupes allemandes bloquent l’accès…).

Wormhout industrieuse

De retour sur la route principale, avec une vue directe sur la douce crête du mont Cassel qui s’était déjà montré plusieurs fois en fond de décor lors des précédentes étapes, je me fais rejoindre par un promeneur chevronné wormhoutois qui adapte aussitôt son rythme à mon allure pourtant pas si lente. Il me raconte qu’un bout de la route de Compostelle a récemment été réaménagé à partir de Bergues.

Wormhout, chef-lieu du canton du même nom, est sans doute un des rares noms de lieux locaux qui sont orthographiés de la même façon en néerlandais et en français. Toutes proportions gardées, la ville est relativement grande. L’abbaye que saint Winoc avait fondé ici en 750 a été détruite au milieu du IXe siècle par les Vikings. À la fin de ce même IXe siècle, elle fut reconstruite à Bergues. La grande église-halle dédiée à saint Martin a été édifiée après que l’église précédente avait été en grande partie détruite en 1566 par les Gueux. J’y entre un moment pour admirer les stalles finement sculptées en bois. Le plafond est parsemé d’étoiles.

La grande place du marché irrégulière dégage un air industrieux : restaurants, fleuristes, un bureau de poste, une poissonnerie, une agence « L’immobilière du Houtland », une pharmacie dont la façade porte l’inscription « Pharmacie de 1ère
classe » en stuc… Le kiosque élégant a été transféré pièce par pièce de Cassel en 1920. Trois drapeaux flamands ont été hissés et un grand cruchon rouge entre des violettes fraîchement plantées est décoré d’un lion flamand en relief.

Je retourne à l’église où commence du côté gauche la cinquième étape GR. À suivre…

Katrien-Vandenberghe

Katrien Vandenberghe

Katrien Vandenberghe est traductrice et a traduit e.a. des romans de Tanguy Viel, Mathias Enard et de Lutz Bassmann.

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