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Retour à l’Yser

18 avril 2019 4 min. temps de lecture Retour à l’Yser

L’Yser coule dans le subconscient de Katrien Vandenberghe. En cette première saison de l’année, elle a longé le fleuve à pied en suivant la GR 130. De retour chez elle, elle revit ses expériences par l’écriture.

À Beveren-sur-Yser où j’ai grandi, notre séjour avait une très grande fenêtre côté rue. Dès qu’il faisait jour, les volets roulants étaient remontés, les rideaux ouverts, et entre les feuilles inaltérables et pointues des langues de belle-mère sur l’appui de fenêtre, cette baie de fenêtre s’ouvrait sur la plaine de l’Yser : deux champs voisins descendaient en pente (nous habitions vers Hoge Seine) et derrière eux s’étendait un vaste pâturage, long et gras, au milieu duquel un petit pont en dos d’âne grisâtre semblait un peu perdu. Du moins, c’est ce qui paraissait au profane ­– une fantaisie subite, une anomalie dans l’opiniâtre pensée utilitaire, mais nous (et en fait tout le monde) étions des initiés : sous ce petit pont coulait l’Yser. À partir de notre rue, nous ne pouvions apercevoir l’eau que quand il y avait des inondations qui prenaient parfois des dimensions impressionnantes du temps de mon enfance. C’est à des moments pareils que nous habitions plus que jamais Bachten de Kupe.

À l’école, nous apprenions que l’Yser faisait partie (avec la Meuse et l’Escaut) des trois « fleuves » que connaissait la Belgique, ainsi que la différence entre les « fleuves », qui se jetaient dans la mer, et les « rivières », qui débouchaient dans des lacs ou des fleuves ou d’autres rivières – une différence dérivée du français, qui ne fait plus cours en néerlandais. L’Yser était le seul « fleuve » belge qui se jetait dans la mer du Nord.

En ces temps inaltérés, l’eau n’était pas si propre, bien que l’on s’y baignât sporadiquement et qu’il y eût régulièrement des pêcheurs. Un jour – j’avais quel âge ? Cinq ans ? – nous pûmes accompagner des Français de notre village dans leur bateau de plaisance (oui, des Français, évidemment…) Ce fut toute une aventure, d’autant plus qu’on ne naviguait que rarement sur l’Yser dans ce coin. Les plaisirs aquatiques locaux se limitaient (outre les susnommés) au petit sentier pédestre cahoteux longeant la rive gauche à partir du « pont de Roesbrugge » et qui proposait une paisible promenade.

Dans mon enfance vraiment précoce, dans ces années qui ne laissent plus tard aucun souvenir, mes liens avec l’Yser avaient même été plus intimes : la maison que mes parents louaient jusqu’à mes trois ans était située près de ce pont de Roesbrugge, à un jet de pierre de l’Yser (dont je demeurais séparée par un haut mur entourant le jardin). L’Yser coule dans mon subconscient.

Une plaquette de deux euros

Au vu de ces diverses circonstances, je ne pus évidemment pas m’empêcher d’emporter à l’Office du Tourisme de la jolie ville fortifiée de Bergues où j’amenai un de mes enfants, une plaquette d’étape à feuillets mobiles pour deux euros, intitulée « GR de l’Yser » (GR étant comme l’on sait le sigle des Grandes Randonnées, ces beaux itinéraires calmes souvent déjà anciens, à la signalisation uniforme, qui sillonnent toute l’Europe à la grande joie des randonneurs). Tout bien considéré, cette brochure n’était pas proposée là par hasard. L’Yser prend en effet sa source à une vingtaine de kilomètres de là, près du marais audomarois, ces marécages entourant Saint-Omer, asséchés au ixe siècle par les moines bénédictins, qui constituent encore toujours une région riche en cours d’eau (où on peut faire du canotage).

Grâce au site internet www.les‑plats­‑pays.com, j’ai finalement ressorti du tiroir le projet déjà empoussiéré de parcourir effectivement cette route. Je joins aujourd’hui, par étapes, le geste à la parole et ensuite la parole au geste.

Je prends comme point de départ la petite plaquette susdite, une publication pratique et intéressante en français du Conseil général du Département du Nord. La route subdivisée en treize étapes à partie de l’endroit de la source jusqu’à l’embouchure compte un peu plus de 100 km tandis que l’Yser même en compte 78 (dont 45 en Belgique). C’est-à-dire qu’elle dessine quelques contournements, surtout au début, lorsque l’Yser est encore trop frêle pour un chemin de halage ou de promenade sur ses rives. Le trajet ne contient pas de boucles, les étapes mènent bien de A à B, de B à C etc. Je me sers aussi du topo-guide GR 130, correspondant à la GR de l’Yser. L’Internet contient aussi de bonnes informations de promeneurs. Les petites comptes rendus ont un concept impressionniste.

Vers la source claire

J’entame la première étape fin 2018. En voiture jusqu’à la source. Cette source est double : l’Yser a deux sources officielles, l’une à Buysscheure, l’autre à Lederzeele, deux villages français voisins du Nord, formant la pointe tronquée d’un triangle dont la ligne de base va de Saint-Omer à Cassel. L’explication de l’origine du nom est également double. Le topo-guide mentionne que le nom connaissait plusieurs variantes autour du premier millénaire : Isera, Ysara, etc., le suffixe -a désignant l’eau tandis que Yser ou Ysar signifiait « claire ». De son côté, le Wikipédia français remonte à l’indo-européen. Par le biais du celte, le nom serait apparenté (tout comme celui de l’Oise ou de l’Isère, par exemple) à une racine indo-européenne qui signifie « vif, impétueux, vigoureux ».

En marche donc, vers une source claire et/ou impétueuse.

Katrien-Vandenberghe

Katrien Vandenberghe

Katrien Vandenberghe est traductrice et a traduit e.a. des romans de Tanguy Viel, Mathias Enard et de Lutz Bassmann.

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