Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Décolonisation : l’homme blanc est aux commandes
© T. de Haan.
© T. de Haan. © T. de Haan.
Hind Fraihi Le passé colonial
Société

Décolonisation : l’homme blanc est aux commandes

Sur un laps de temps particulièrement court, la question de la décolonisation a investi une grande partie du débat public. Un fil conducteur flagrant traverse ce débat, largement guidé et déterminé par «l’homme blanc».

Presque quotidiennement les médias sociaux s’enflamment sous les polémiques. Sans doute le phénomène fait-il rage, pour l’instant, principalement aux Pays-Bas mais quand il pleut à Amsterdam, ça goutte à Anvers, pour paraphraser le dicton bien connu des néerlandophones.

Le débat n’est plus de savoir si Zwarte Piet - le serviteur noir de saint Nicolas - doit sa couleur à la suie ou à son ADN. De même, aujourd’hui, la question de la pertinence des rues et des monuments dédiés au roi des Belges Léopold II, avec ou sans plaques d’avertissement, est dépassée. Plus rien n’est sûr, tout semble observé à travers des lunettes en noir et blanc. Les activistes climatiques Greta Thunberg et Anuna De Wever sont-elles «trop blanches», les héros de la mer néerlandais méritent-ils bien leurs plaques de rues et leurs statues, l’AfricaMuseum de Tervuren (près de Bruxelles) n’est-il pas trop sévère pour les anciens coloniaux ou justement trop indulgent? Et le siècle d’or néerlandais, le siècle de Rembrandt, Vermeer et cie, n’était-il pas seulement de clinquant ou même de plomb?

On se bat à mort sur des dossiers purement symboliques.

Mais un fil conducteur traverse ces débats. Au centre, là où toutes les fibres nerveuses sous tension se rassemblent, se trouve «l’homme blanc». Étrange, pourrait-on penser à première vue.

S’il est un débat qu’on s’attend à voir lancé par des minorités, c’est bien le débat sur la diversité à tous les niveaux. Pourtant rien n’est moins vrai; son déroulement et son objet sont fixés en grande partie par des hommes blancs.

Pas tous les hommes blancs naturellement, mais des Blancs occupant une position particulière. Une caste qui a eu le privilège de grandir et de faire carrière au sein d’une structure sociale taillée sur mesure selon genre, origine, race et niveau d’instruction.

Un groupe qui considère le monde de plus en plus complexe et divers autour de lui avec incompréhension, jalousie et parfois même hostilité, et essaie pour cette raison d’encadrer cette transformation dans des niches et des systèmes pyramidaux. Dans une tentative pour conserver les commandes.

Pour le moment, ils y parviennent excellemment car dans les lieux qui comptent (directions de partis, conseils d’administration, universités, rédactions, …) ils détiennent toujours le pouvoir.

Mais bizarrement, ils réussissent sans qu’il y ait concertation. Mieux encore, pour comparer le débat autour du racisme, de la décolonisation et de la diversité avec un concours de tir à la corde, on trouve des Blancs des deux côtés. Qui, évidemment, s’estiment les plus forts. Aucune des deux équipes ne parvient à faire franchir la ligne à l’autre et on file par conséquent toujours plus de corde. Un monde divisé en camps a tôt fait de se réduire au schéma artificiel «bien» et «mal». Avec un milieu qui s’effrite jusqu’à disparition. Une société dans laquelle chacun doit choisir son camp.

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Cela a été joliment illustré à la fin de 2019 dans la discussion autour de Zwarte Piet, le débat initial du mouvement décolonial. L’ influent vidéo-blogueur noir Defano Holwijn a offert à ses plus de 240 000 abonnés, sur YouTube et Instagram, une diatribe contre Zwarte Piet. «La discussion est un processus ouvert à tout le monde. Tout le monde a besoin de temps pour lire sur le sujet, pour oser s’exprimer. Mais on ne peut plus rester neutre dans cette discussion», dit-il. Holwijn obtint le soutien immédiat du rappeur Ronnie Flex et de la dj Vanessa Ackah. Selon eux, les Néerlandais noirs (et blancs) qui ne se prononcent pas sur cette question sont dans l’erreur. «Si on ne s’exprime pas, cela montre où l’on se situe dans le débat. Maintenant la question devient vraiment: de quel côté es-tu?»

Même s’ils se tournent en premier lieu vers des compatriotes connus, le sous-entendu est tout à fait évident. Il n’y a plus de neutralité médiane. Plus d’endroit où se dissimuler, plus de repos, plus de répit. Tu es pour ou contre nous. Tu es du «mauvais» côté jusqu’à ce que tu nous rejoignes, du «bon» côté.

Que de l’autre côté on ressente la même chose, l’attaque, lors d’une réunion du groupe d’action Kick Out Zwarte Piet (KOZP) en novembre 2019 à La Haye, en est la preuve. Des feux d’artifice furent lancés contre un bâtiment, des vitres furent brisées et des véhicules détruits. Quand on est à bout d’arguments, on en vient manifestement à la violence. Même un jour de fête des enfants.

«Nous vivons dans une société dans laquelle les Blancs ne constituent pas une race. C’est invisible. Ceux qui ne sont pas blancs sont constitués en race, contre notre volonté. Pour moi, la race est imposée socialement. Mais tant que cela se fait aux dépens de notre bien-être matériel et de nos chances de nous épanouir, nous devons dénoncer cela», pose Reni Eddo-Lodge, l’auteure britannique de Le racisme est un problème de Blancs.

En cela, elle a raison. Nous devons être woke - éveillés -, mais tout aussi bien pour les excès, la mise en subordination et les abus à l’intérieur même des communautés. Là aussi nous devons oser tout désigner. Dans un débat public.

Se confiner dans la défensive et crier à l’autre bord à quel point sa vision est erronée, n’est pas une solution. Tout au plus une poignée de « renégats » franchissent ce no man’s land. Ceux qui mènent le combat souvent de manière isolée mais plus hargneuse en allant clamer des opinions peu nuancées et précipitées qui ne représentent guère l’avis ou les préoccupations du groupe dont ils estiment «prendre la défense», ne sont guère représentatifs.

Par conséquent, nous devons oser désigner les choses. Un débat honnête, sans complaisance, mais également sans haine de soi.

Le mouvement décolonial ne pourra jamais mettre un terme au racisme individuel. Ou même à tous les usages et dénominations au passé équivoque. C’est une utopie. Certaines personnes préféreront s’enfermer dans un bunker plutôt que d’amender leur vision du monde. Mais ce n’est pas, par principe, son combat. Nous ne devons pas non plus vouloir le mener. La décolonisation doit en premier lieu en finir avec le racisme structurel qui a une emprise beaucoup plus profonde sur notre vie quotidienne. Et c’est bel et bien un objectif réaliste.

Mais nous devons d’abord rester forts et oser voir et attaquer nos propres problèmes qui sont sous nos yeux. Ensemble. Pour cela, nous n’avons pas besoin de l’aide ou de la supervision blanches.

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