Duran Lantink, le nouvel enfant terrible de la mode réinvente l’avenir du vêtement
Le designer néerlandais, basé entre Amsterdam et Paris, entame une nouvelle ère en tant que directeur créatif permanent, fraîchement nommé à la tête des collections haute couture et prêt-à-porter de Jean Paul Gaultier. Zoom sur cette valeur montante, qui allie upcycling et déconstruction, collage et portabilité, volumes et formes, le tout concocté avec audace, humour et inventivité.
Dans l’histoire de la mode, rares sont les designers néerlandais à occuper le poste de directeur créatif pour des grandes maisons de luxe. Et encore moins pour des griffes françaises emblématiques. À travers le temps, étendu sur plus d’un siècle de style, se compte ainsi sur les doigts d’une main la présence des Pays-Bas. À l’exemple de Lisi Herrebrugh et Rushemy Botter pour Nina Ricci, Josephus Thimister pour Balenciaga ou encore Paul Helbers pour Fforme (aussi directeur de studio pour Maison Margiela et directeur créatif homme pour Louis Vuitton). L’accession de Duran Lantink chez Jean Paul Gaultier ce 15 avril sonne d’autant plus comme un événement.

© Walter Pfeiffer
Depuis ses adieux en 2020 après cinquante ans de carrière, l’ex-«enfant terrible de la mode» de 73 ans a choisi d’inviter des créateurs à revisiter ses archives, comme Chitose Abe, Glenn Martens, Olivier Rousteing, Simone Rocha, Nicolas Di Felice et Ludovic de Saint Sernin en janvier dernier. Il s’agit donc ici, aussi, d’une première nomination à la tête de la maison, propriété du groupe espagnol Puig.
Polyvalence du vêtement
«Je vois en lui l’énergie, l’audace et l’esprit ludique que j’avais à mes débuts: le nouvel enfant terrible de la mode. Bienvenue, Duran.», déclarait Jean Paul Gaultier lors de l’annonce de son arrivée. À la vue de son parcours et de ses collections, on ne s’étonne guère. Ce natif de La Haye de 37 ans, diplômé de la Gerrit Rietveld Academie et du Sandberg Instituut, sous le professorat de Christophe Coppens et de Walter Van Beirendonck des Six d’Anvers (son idole), a réussi en quelques saisons à imposer son nom sur la scène mode, à travers son approche durable et circulaire, attrayante et ludique. «Je recycle depuis l’âge de 12 ou 13 ans», a très vite précisé celui qui récupérait les vêtements et les tissus de famille pour réinventer les modèles existants.

Courtesy of Duran Lantink
Ses premières pièces changeaient alors une robe en pantalon ou en chapeau. «Enfant, j’étais obsédé par la forme des vêtements, mais pas par le tissu plat. J’ai donc commencé à les transformer très jeune, et c’est devenu mon écriture et ma façon de communiquer mes goûts.» Jeans usés, vieilles nappes, textiles invendus et usagés… Duran Lantink s’amuse ainsi à expérimenter l’habillement en redéfinissant la façon de le porter.
Il intègre ainsi très vite l’idée du recyclage dans son travail, bien avant que cela ne devienne la ritournelle de l’industrie de la mode, l’un des plus gros pollueurs au monde. Depuis lors, Duran Lantink observe la fast fashion, la surproduction des grandes marques, et façonne son vestiaire avec des pièces d’occasion, des stocks invendus et de nouvelles matières durables. Si l’écoresponsabilité et le upcycling font partie de ses maîtres-mots, il introduit aussi d’emblée la technologie dans ses shows: de l’utilisation des drones pour retransmettre l’événement en direct (pandémie oblige) à la fusion des techniques de sculptures 3D avec le savoir-faire artisanal traditionnel.

Courtesy of Duran Lantink / photo © Shoji Fuji
Des bulles, des formes et du ski
Duran Lantink s’installe à Amsterdam en 2010 pour poursuivre ses études et conçoit sa première collection en 2016, en collaboration avec son ami photographe Jan Hoek. Ce show indépendant donne un avant-goût de sa vision esthétique de la mode en s’inspirant des looks de plusieurs travailleuses du sexe transgenres du Cap, en Afrique du Sud, créant une série photographique et une ligne à partir de matériaux ordinaires. Mais c’est son «pantalon vagin» rose, porté par l’actrice et chanteuse Janelle Monáe dans son clip Pynk en 2018, qui le sort de l’ombre des coulisses.
L’année suivante, il fonde son label éponyme, basé aujourd’hui entre Amsterdam et Paris. Son style enchaîne dès lors les fulgurances avec ses pièces «bulles», déconstruites et gonflées comme des gilets de sauvetage, ses silhouettes flottantes, ses hauts coniques (clin d’œil à Jean Paul Gaultier), ses robes décolletées en forme de cœur bombé et ses vestes larges aux épaules droites. Son goût de l’excentricité et son sens de l’humour ne cessent de revendiquer cette liberté inhérente et nourricière. À travers chacun de ses défilés, tout converge à l’évidence à sa nomination chez celui qui a taillé sa réputation «d’enfant terrible» avec ses coupes extravagantes, ses jeux de volumes, sa rébellion iconoclaste et ses positions contestataires.

Courtesy of Duran Lantink / photo de la collection Duran Ski FW24 © Shoji Fuji
En 2023, le créateur néerlandais fait ses débuts à la Fashion Week de Paris. Sa collection automne-hiver (AW24), Duran Ski, s’inspire de la mode alpine, avec pour postulat: «Comment s’habille-t-on en montagne maintenant qu’il fait un peu plus chaud?». Au programme, doudounes et pantalons de ski à bulles aux allures de quaterbacks, mini-shorts, crop tops, mini-robes bouffantes. La dérision s’invite sur le podium, au rythme de la fabrication durable à travers le Knitwear Lab d’Amsterdam, qui utilise des fils recyclés et des techniques de tricotage 3D.
Obsession animale et cap vers la plage
Avec son show Duranimal (FW25), il s’éloigne de son style «bulle» et présente des looks jouant avec les imprimés animaliers entre vestes en poney zébré, peau de serpent retravaillée, velours imprimé léopard et cuir de vachette recyclé issu des stocks invendus de LVMH. L’ensemble se mêle aux motifs camouflage et au style Americana à la croisée du Far West et de l’univers futuriste. Là encore, des robes entrelacées sont tricotées en laine mérinos aux Pays-Bas. Mais le plus fantasque réside dans les mannequins ornés de prothèses mammaires, les présentant comme des figurines, quand d’autres sont peints en zèbre et en léopard, jouant avec le «mauvais goût», de son propre aveu.

Courtesy of Duran Lantink
Duran Lantink continue ainsi de surprendre, ne cessant de transformer une pièce originale en quelque chose d’autre. «Imaginons que vous achetiez une veste en 2024 et que vous ne l’aimiez pas en 2025. Nous pouvons la transformer en robe ou en mini-short.» Dans ce processus circulaire, il trouve le moyen de conserver ses créations dans la boucle.
Pour sa collection printemps-été (SS25), il s’inspire des plages d’Ibiza, modifiant les formes tridimensionnelles en vêtements expérimentaux, avec un zeste de rétrofuturisme et de surréalisme. Il présente des soutiens-gorge ultra-bombés, des sacs en cuir remaniés en chapeaux, des robes et des jupes en couvre siège auto orné de billes de bois, des chapeaux aux allures napoléoniennes. Il fait également place aux rayures et au style marinière (autre clin d’œil à Jean Paul Gaultier) dans des hauts de bikinis dotés de frites de piscine, des combinaisons de bain entourées de ceintures-bouées, des leggings asymétriques… «Il était vraiment important de penser davantage à la portabilité, mais toujours de manière très ludique.» La technologie s’invite aussi avec une robe équipée d’un écran retransmettant en direct le défilé. Et un final emmené par Naomi Campbell, vêtue d’une robe fluide et simple.

Courtesy of Duran Lantink
Dans les pas d’un démiurge rebelle
Mélange des styles, constructions créatives, réflexion sociale sur le monde… La réinvention se fait ainsi reine sur le runway de Duran Lantink. Et les stars l’ont bien compris. Beyoncé, Lizzo ou encore Billie Eilish s’emparent de ses pièces comme son trench doré, son poncho argenté et sa doudoune noire upcyclée. Si cet adepte du réemploi a décidé de freiner la récupération des dead stocks chez les grandes maisons, comme Gucci et Balenciaga, pour éviter toute dépendance, il ne cesse de mixer, d’hybrider et de réinterroger les concepts d’une mode radicale et éthique.

Courtesy of Duran Lantink
Et les récompenses affluent. Il a remporté le prix spécial de l’ANDAM (2023), le prix Karl Lagerfeld de LVMH (2024) et plus récemment le prix Woolmark (2025). Certaines de ses pièces figurent également déjà dans les collections permanentes du MET Costume Institute, du Victoria & Albert Museum, du Stedelijk Museum d’Amsterdam et du Centraal Museum d’Utrecht.

© Courtesy of Duran Lantink
Sa première ligne de prêt-à-porter pour Jean Paul Gaultier sera présentée pendant la Fashion Week de Paris en septembre 2025, celle dédiée à la haute couture sera dévoilée en janvier 2026. «Je considère Jean Paul Gaultier comme un génie. Il fait partie de cette génération qui a ouvert les portes pour permettre à des personnes comme nous de les franchir librement et de s’affirmer sans complexe», réaffirmait-il lors de sa nomination. «Il représente l’incarnation même de l’esprit créatif et du savoir-faire. Elle est provocatrice et repousse constamment les limites. C’est la marque qui rassemble diverses disciplines autour de la mode pour créer des mouvements culturels, transformant le langage vestimentaire et la façon dont nous le portons dans la rue.»
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