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La jeune photographie face au monde : «Circulation(s)»

30 mars 2020 5 min. temps de lecture Chronique parisienne

Jusqu’au 10 mai devait se dérouler à Paris la dixième édition de Circulation(s). Ce festival de photographie est un projet de FETART, association créée en 2005 pour promouvoir les photographies des jeunes. Pour des raisons bien connues, cette dixième édition ne peut avoir lieu. Heureusement, il y a le site, qui nous présente de nombreux photographes intéressants, également quelques-uns originaires des Plats Pays.

Le Festival Circulation(s) fête ses 10 ans, l’âge de quitter l’enfance pour cette manifestation qui révèle la créativité de la photographie en Europe et au-delà. Parmi ses 45 participants, plusieurs artistes belges et néerlandais présentent leurs projets singuliers.

C’est à Audrey Hoareau que revient le privilège de la sélection du Festival. Jusqu’en 2016, la commissaire œuvrait au musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône, avant de contribuer avec François Cheval au lancement du Lianzhou Museum of Photography, premier musée exclusivement dédié à la photographie en Chine. Le spectre géographique du festival s’étend loin de l’Europe avec la participation de photographes originaires de la Thaïlande ou de la Biélorussie, pays auquel un focus particulier a été réservé. Le ton est radicalement engagé, face à une Europe qui «semble se désunir», souligne Audrey Hoareau dont l’ambition vise à recréer du lien. Le militantisme largement partagé par la jeune génération situe d’ailleurs nombre de propositions à la lisière de la l’art et du photoreportage.

Un regard humaniste

Réparti en plusieurs sections, le Festival s’attache cette année à l’injustice sociale, à l’identité, à la «quête de soi» et enfin à l’avenir préoccupant de la planète.

L’œuvre de la Néerlandaise Marinka Masséus (° 1970) répondait pleinement au cahier des charges, tant elle place la lutte contre toute forme de discrimination au cœur de son travail. En 2017 dans My Stealthy Freedom, elle avait immortalisé la rébellion des Iraniennes contre le port du voile. La même année, elle sublime la beauté solaire des albinos victimes de violence en Tanzanie. L’artiste englobe d’ailleurs toutes ses créations, quel que soit leur diversité, sous le vocable de Radical Beauty. Faisant partie de la section Ceux que l’on ne voit pas, son projet Chosen [not] to be participe bien de cette mise en lumière de la beauté, en l’occurrence celle des trisomiques, à la beauté ignorée parce que trop singulière. Métamorphosées en icônes de la féminité, elles s’offrent au regard dans des clichés en noir et blanc qui relèvent de l’épure. Comme elle avait privilégié le nu d’adolescents albinos, Marinka Masséus retient la sobriété du portrait, l’éviction de la couleur et de tout accessoire, avec pour seul objet la beauté dans toute sa pureté.

C’est avec autant d’humanité que les Belges Maroussia Prignot (° 1976) et Valerio Alvarez, de cinq ans son cadet, abordent le thème de la migration. Ce duo d’artistes respectivement psychologue et ergothérapeute travaillaient déjà de concert en animant des ateliers au sein d’un centre de jour psychothérapeutique. Here, waiting révèle un autre visage de leur attention à l’humain. Leur intention: retracer le quotidien de personnes qui vivent temporairement dans un lieu d’accueil pour demandeurs d’asile de Jodoigne. Au fil des jours, ils se familiarisent avec ces déracinés qu’ils ont photographiés, eux et leur smartphone, afin de connaître les images de leur vie. Ils leur ont ensuite demandé d’intervenir sur leur portrait à l’aide de pastels et crayons de couleurs. Les enfants mais aussi les adultes ont paré leur portrait des couleurs de leurs rêves, inventant ainsi au travers de leurs créations à quatre mains une langue commune.

Conjuguer l’image au passé, au présent et dans le futur

L’illustration du monde de demain revient symboliquement à Debbie Schoone (° 1994), l’une des plus jeunes artistes du Festival. Pour Circulation(s) elle a choisi How to farm a fish, son sujet de diplôme à la Minor Arts and Urbanism (AKV St.-Joost) à Bois-le-Duc. En lien avec les inquiétudes liées aux possibles difficultés d’approvisionnement alimentaire, elle se livre à un travail d’investigation dans le secteur de la pisciculture où peuvent surgir des solutions susceptibles de limiter la surpêche de poissons sauvages.

Circulation(s) interroge enfin son propre média, la photographie, sa surabondance et ses relais de transmission via Internet et les réseaux sociaux. Dans la rubrique L’image à l’excès est abordée la question de l’identité des auteurs menacée par l’appropriation numérique. Anne Geene (° 1983) et Arjan De Nooy (° 1965) rejoignent ces problématiques en questionnant la collecte des données et leur circulation. Flaubert met le duo sur la voie de The universal Photographer, en faisant dire à ses personnages Bouvard et Pécuchet: «Pas de réflexion, copions». Demeurant dans la veine littéraire, les artistes imaginent le personnage de U. (1955-2010), un photographe fictif qui, à l’image des héros de Flaubert, évolue telle une encyclopédie dans tous les domaines sans oublier la sphère de l’intime. Cette figure universelle condense à elle seule l’histoire de la photographie, multipliant les styles, avant de devenir un obsessionnel de la copie et de la collection qu’il modifie à sa guise, en transformant par exemple les fameuses jumelles de Diane Arbus en triplées. Il incarne une sorte une machine à reproduire jusqu’au jour où il photographie une voiture qui le heurte de plein fouet mettant ainsi un terme à sa folle entreprise.

Même maelström de visuels avec le Gantois Jeroen De Wandel (° 1980) qui s’inspire des images stockées dans l’amygdale, cet endroit du cerveau qui engrange les souvenirs liés à des traumatismes. Le flou, l’illisibilité et même l’invisibilité de certaines images d’Amygdala renvoient avec effroi à la peur de la manipulation des consciences, autant qu’au mystère du cerveau, ce grand inconnu. Ses questions prennent une coloration éthique, lorsque l’on sait les pouvoirs de la science et des nouvelles technologies à effacer nos souvenirs ou à modifier nos pensées via les réseaux sociaux.

Circulation(s) nous convie à une formidable exploration du monde. En témoigne Jan Hoek (° 1985), Amstellodamois qui s’est associé au styliste ougando-kényan Bobbin Case. Ce dernier a imaginé des vêtements délirants sur le thème de la customisation pour les Boda Boda, ces motos-taxis qui sillonnent Nairobi.

Le dialogue est multiculturel et multiconfessionnel avec l’Égyptien Marwan Bassiouni (1985) qui vit à Amsterdam. En s’inspirant de la peinture de paysage du XVIIe
néerlandais, il a réalisé New Dutch Views, une série de photos prises aux Pays-Bas dans soixante-dix mosquées. Il réinvente ainsi un regard nourri de deux cultures et de deux religions réconciliées par l’image.

Circulation(s)
s’aventure sur de multiples territoires, soulignant la mondialisation des consciences fédérées par de communes inquiétudes mais également animées d’un même humanisme.

Geneviève-Nevejan

Geneviève Nevejan

critique d'art

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