Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Frans Masereel, père du roman graphique
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Frans Masereel, père du roman graphique

Le 30 juillet 1889 naquit le sculpteur sur bois, peintre et dessinateur flamand Frans Masereel. En France, il est longtemps resté un illustre inconnu, mais aujourd’hui son œuvre y suscite un intérêt croissant.

Curieusement, la nécrologie de Frans Masereel (1889-1972) parue dans le New York Times en janvier 1972, n’évoque pas les «romans en images» ou les «histoires sans paroles», qui assurent aujourd’hui à l’artiste flamand une place exceptionnelle dans l’art graphique européen de l’entre-deux-guerres. Aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne, le monde de l’édition, durant des décennies, ignore totalement les qualités universelles de ces merveilleux recueils de bois gravés comme Mon livre d’heures (1919), Le Soleil (1919), Idée (1920), La Ville (1925) ou L'Œuvre (1928). La première édition anglaise de La Ville (The City, Londres 1988), volume de bois gravés évoquant la vie urbaine des années 1920, inspire au journal The Guardian le commentaire laconique «only 65 years late» - «seulement 65 ans de retard». En 2017, lors d’une exposition d’une cinquantaine des cent bois de l’édition originale à l’Institute of Contemporary Arts de Londres, le commissaire de l’exposition, Matt Williams, ne peut que constater que Frans Masereel «n’avait jamais véritablement percé au Royaume-Uni».

Les premières éditions française et espagnole de La Ville, sorties respectivement aux maisons Cent Pages (Grenoble 2011) et Nórdica Libros (La ciudad, Madrid 2012), sont par ailleurs une surprise tout aussi étonnante pour la presse qui découvre là «un ouvrage pionnier à bien des égards». Pourquoi avait-il fallu au monde de l’édition français «près de quatre-vingt-dix ans pour le comprendre et réévaluer sa portée historique»?

Ce n’est donc qu’au début du nouveau siècle que l’édition française enfin commence à s’intéresser à Frans Masereel, alors qu’à New York, les auteurs cultes du graphic novel, comme Art Spiegelman et Eric Drooker, conscients de l’influence décisive de Masereel sur leurs débuts, l’honorent déjà comme le père du roman graphique américain. En 2002, aux éditions Cent Pages paraît la toute première édition française de Mon livre d’heures, le plus célèbre roman graphique de Masereel (l’édition populaire allemande de 1926 est préfacée par Thomas Mann). En 2008, la même maison, basée à Grenoble, sort une édition bibliophile monumentale de La Ville, disponible aussi en poche depuis 2011 dans sa collection Cosaques.

Et en 2015, les éditions du Ravin bleu, à Paris, reprennent l’un des plus beaux «poèmes en images» de Masereel qui est Le Soleil. Mais c’est la grande monographie bilingue Frans Masereel. L’Empreinte du monde. Der Abdruck der Welt, parue en 2018 aux éditions Martin de Halleux, qui permet de découvrir toute l’ampleur et la diversité de l’œuvre graphique de Frans Masereel: «Virtuose du noir et blanc et de la narration sans paroles, ce grand précurseur du roman graphique fait l’objet d’une imposante monographie […] qui lui rend enfin justice.» (Télérama, 26 novembre 2018). Grand admirateur de Masereel depuis des années, l’éditeur parisien Martin de Halleux réussit à réunir les conditions nécessaires au succès d’un projet ambitieux comprenant une série de rééditions des romans graphiques les plus connus de Masereel. Il publie ainsi successivement Idée (2018) - «chef- d’œuvre joliment réédité» (Le Monde) -, La Ville (2019), L'Œuvre (2019) et 25 images de la passion d’un homme (2019), ce dernier titre accompagné de Passion moderne, une suite de dessins au pinceau encore inédite depuis 1919. Le Soleil et Mon livre d’heures sont annoncés pour 2020 chez le même éditeur dans la même collection.

D’autre part, le film documentaire Les Mains libres: un voyage dans l’œuvre de Frans Masereel (2017) réalisé par Jérôme Laffont, complète avec bonheur les rééditions publiées chez Martin de Halleux.

En dehors de toutes les conventions du cinéma documentaire, le réalisateur s’engage dans un dialogue personnel avec l’œuvre graphique de Masereel visant à exposer les parallèles que l’on peut établir entre les problèmes sociaux auxquels était confronté l’artiste à son époque et les défis sociétaux du XXIe siècle.

En voyant le film, on se rend compte que l’œuvre de l’humaniste et pacifiste Masereel garde toute son actualité.

C’est bien le message que l’on retrouve dans le second volet du roman graphique de Guy Nadaud, alias Golo, sur la vie errante de l’écrivain roumain d’expression française Panaït Istrati (1884-1935). Vers la fin de la Première Guerre mondiale, Istrati se retrouva notamment à Genève, employé au journal pacifiste La Feuille auquel Frans Masereel contribuait chaque jour en réalisant un dessin anti-guerre pour la une. Dans Istrati! L’écrivain, Golo évoque sur une planche entière (page 28) l’activité pacifiste de Masereel à Genève: un montage de dessins des années de guerre ainsi que la gravure iconique Assez! (1918), reprise maintes fois dans la presse pacifiste d’après-guerre.

Cette portée universelle de l’œuvre graphique de Masereel est illustrée de manière tout à fait convaincante dans la conférence musicale Wordless! (Sans paroles) conçue en 2014 par Art Spiegelman en collaboration avec le saxophoniste Phillip Johnston. Sur un écran géant, Spiegelman projette, entre autres, des images extraites des woodcut novels (romans en bois gravés sans légendes) de Frans Masereel, pour montrer jusqu’à quel point l’œuvre de cet artiste a influencé la naissance du roman graphique américain. En 2014 et 2015, Spiegelman présente Wordless! dans plusieurs universités américaines, en 2017 au Barbican Hall de Londres, en 2018 à la Philharmonie de Paris.

En 2019, les bois gravés de Mon livre d’heures et Le Soleil - datant l’un et l’autre de 1919 - ont exactement 100 ans. Mais, comme le nota James Stern dans le New York Times lors de la sortie de Passionate Journey, première édition américaine d’après-guerre de Mon livre d’heures : «À la différence de bien d’autres livres de lecture ou d’images sortis dans les années 1920, Passionate Journey n’a pas pris une ride.»

Voir aussi JORIS VAN PARYS, Frans Masereel, une biographie, AML éditions, Bruxelles, 2008 (deuxième tirage en 2009).
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